Un homme fou, sans nom, sans âge, dans une ville qui, paraît-il aussi, sans nom parce que défigurée par la guerre et le sang, se penche sur les tombes d'enfants, de femmes et d'hommes morts, et leur parle à voix forte du destin d'une patrie meurtrie, l'Algérie qui pleure à chaudes larmes leur absence. Tel un jardinier municipal affecté à l'entretien quotidien du cimetière, le bonhomme en guenilles, un long bâton à la main, harangue des foules qui n'existent que dans son imaginaire et côtoie ces cadavres sous le sol, comme des frères qu'il n'arrive plus à effacer de sa mémoire. Autour des sépultures, il sème des dahlias, des coloquintes et les arrose avec un soin jaloux, comme si le prochain printemps allait illuminer les corps enfouis dans la terre qu'il nourrit. En franchissant le pas, il soulage ses propres souffrances d'orphelin brutalisé par les affres d'une guerre dont il n'a jamais voulu. Quoique métaphorique, cette mémorable séquence du film ‘Chronique des années de braise' de son réalisateur M.L. Hamina, renvoie vite au « devoir de mémoire » qui anime chaque être humain en quête de la sérénité et de « la paix de la conscience ». La mémoire des morts pèse, dit-on, lourd sur le cerveau des vivants et l'habite pour l'éternité des temps. Personne ne peut aller de l'avant s'il ne sait pas d'où il vient ni où il va. Pas de mystère à cela, sinon que la mémoire sert de boussole à nos esprits, quand les choses dérivent, se compliquent, s'obscurcissent.«La mémoire, écrit à juste raison Jean Dutourd, c'est l'identité, c'est quasiment l'âme et les hommes espérant que, s'ils emportent avec eux quelque chose de ce monde après leur mort, ce sera cela.» Oublier alors son passé, c'est comme se trahir, c'est se travestir, c'est s'humilier et assumer une lâcheté qui se fait passer pour du suicide, du nihilisme. Comment serait-il possible, par exemple, d'oublier nos morts pour la patrie sans que justice à leur égard ne soit encore rendue ' Comment pardonner au meurtrier d'hier qui refuse de faire amende honorable '
Dans une célèbre contribution sur la «mémoire collective » parue en 1978, dans l'encyclopédie ‘La Nouvelle Histoire', Pierre Nora précise que l'histoire s'écrit sous la pression des mémoires collectives lesquelles cherchent à compenser le déracinement et l'angoisse de l'avenir par la valorisation d'un passé qui n'était pas, jusque-là, vécu comme tel.
En ce sens, revivre le passé sous les yeux du présent aide beaucoup à réfléchir, à comprendre, à expliquer pour, peut-être, « pardonner ». Voilà le rôle de la mémoire... un vrai butin du passé!
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Posté Le : 20/04/2021
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Kamal Guerroua
Source : www.lequotidien-oran.com