En dépit de la crise sanitaire que traverse le pays ainsi que la crise financière qui frappe des millions de bourses, le business des produits pyrotechniques continue à faire gagner aux vendeurs des sommes colossales.Le meilleur exemple est au niveau de Djamaa Lihoud, haut-lieu de la vente de ces produits. Durant toute une journée, nous avons suivi le jeune Hamada, de son vrai prénom Ahmed. Ce jeune homme, âgé tout juste de 18 ans, vit de la vente de plusieurs produits à longueur d'année.
A notre rencontre au niveau de son étal, dont il est très fier, le jeune garçon raconte sa vie tumultueuse : «J'ai quitté l'école il y a de cela 4 ans. J'ai dû travailler dès mon plus jeune âge, car je dois aider ma famille. Nos conditions de vie sont très dures, et si on ne travaille pas, on ne mange pas», annonce tout de go notre jeune vendeur d'engins explosifs qui ravit chaque année les jeunes et les plus vieux. Nous nous installons ensemble et discutons de ce commerce juteux mais dangereux. «Chaque année, c'est comme ça.
C'est vrai que la quantité mise à la vente a diminué, mais elle est toujours là et, cette année, il y en a plus. Là où il y a un port, vous trouverez des produits pyrotechniques», dit notre jeune interlocuteur quand, tout à coup, la conversation est interrompue par une bagarre entre deux jeunes. Fort heureusement, les esprits se calment rapidement. Hamada mentionne que ce n'est rien et que ce genre d'altercation arrive régulièrement. Notre jeune ami, pour qui nous avons beaucoup de sympathie, nous offre même un café en signe de bienvenue. Autour de ce café, nous continuons à discuter de la vente et de l'origine de ces produits. Il mentionne que les deux points les plus importants sont Alger et El Eulma, wilaya de Sétif. Notre ami affirme aussi que ces produits ne peuvent pas disparaître du jour au lendemain.
D'autres jeunes du quartier, âgés entre 12 et 29 ans, se joignent à la discussion et commencent à nous livrer des informations pour le moins étonnantes sur leur vie et ces produits censés être interdits à la vente. «Il est vrai que c'est interdit, mais la police tolère ça. Cependant, les fusées appelées Bouk attirent les regards des policiers, qu'ils soient en civil ou en uniforme car ils sont considérés comme des armes», déclare l'un de ses amis.
Chose étonnante également, les magasins, ouverts à longueur d'année, qui vendent à la base des produits de cosmétiques ou des vêtements, se sont reconvertis en échoppes de bougies, fusées, Bouk, Zenda et autres produits à la mode depuis plusieurs années, tel Daech. «Celui-là fait trembler les vitres», déclare en souriant le jeune Mehdi. Du haut de ses 12 ans, ce garçon affirme qu'il doit se débrouiller pour gagner sa croûte et aider sa mère. Intéressé par ce petit garçon haut comme trois pommes, on entame la discussion avec lui.
Il est timide et n'ose pas parler devant ses amis de peur qu'on se moque de lui. Hamada, lui, affirme qu'il peut discuter en toute confiance, il n'y a ni caméra ni photo de lui. «La crise a causé beaucoup de tort a ma famille.
Parfois, nous n'avons rien à manger et notre mère nous dit qu'il faut choisir entre manger à midi ou le soir. J'ai décidé de travailler avec mes amis du quartier pour gagner quelques sous et aider ma famille. Quant à l'école, on verra d'ici là, mais pour le moment, je vends des pétards, des bougies, des fusées. Tout ce qui me tombe sous la main», dit-il quand, subitement, tout s'arrête.
La police est là ! Rapidement, nous aidons Hamada à débarrasser une seule table, bien évidemment, il s'agit de celle qui contient les fameuses fusées ou Bouk, aussi grandes que le petit Mehdi. Nous mettons la table à l'abri des regards des agents de police en patrouille dans un gros 4X4 qui a l'air d'un éléphant dans un magasin de porcelaine en raison de l'étroitesse de la ruelle.
Quelques minutes après, tous les jeunes ressortent leurs marchandises comme si de rien n'était. Ahmed dit que tous les jours c'est le même film qui se répète. «Je suis obligé de cacher cette table.
Rien que sur ces 50 cm2, il y en a pour 70 000 DA de marchandise et en plus, elle est sous ma responsabilité. Je dois aussi ne pas trop attirer l'attention des policiers car rapidement ils peuvent envenimer la situation et je pourrai me retrouver au poste en un claquement de doigts», affirme le jeune homme en prenant un air supérieur pour montrer qu'il est le chef ici. Nous lui demandons d'où provient la marchandise qu'il a sur son étal, et ce dernier joue avec les mots et affirme que c'est distribué et dit également qu'il travaille avec ses oncles sans trop rentrer dans les détails.
Un jeune homme à bord de son véhicule s'arrête devant nous et demande le prix des fusées, non pas à l'unité mais à la cartouche.
Hamada lui répond que le paquet de 6 est à 2550 DA et qu'il lui fera un prix s'il en prend. Sitôt dit, sitôt fait, et le jeune conducteur débourse en l'espace de 2 minutes pas moins de 22 500 DA que nous avons nous-mêmes recomptés. Nous redonnons l'argent à Hamada qui le prend tout en esquissant un sourire. Nous lui disons que la vie est belle, et avec un air de réussite et sourire aux lèvres Hamada nous dit : «Ya El Homa, c'est le business. Je porte un ensemble Lacoste qui coûte 60 000 DA et la casquette 10 000 DA, je touche à tout.
A longueur d'année, je suis sur les étals, je vends aux femmes des sacs à main, des bijoux fantaisie, etc.» Ce dernier nous invite à le suivre pour comprendre comment se procurer ces produits au meilleur prix après la fête du Mawlid Ennabawi. Le petit Mehdi continue à vendre et ne s'arrête pas d'organiser avec son ami la petite table. Petite mais bien garnie.
Avant notre départ, le jeune Ahmed nous offre quelques objets et, en bon commerçant, déclare vouloir nous faire un prix imbattable si nous lui achetons quelques petites choses. Nous cédons à la tentation et prenons des bougies et ce qu'ils appellent «l'oiseau» qu'il suffit d'allumer et ce dernier s'envolera dans les airs, dans un spectacle coloré.
Le petit Mehdi nous offre quant à lui des nouwalet, un geste qui va droit au c?ur de la part d'un enfant qui ne sait pas s'il doit travailler pour nourrir sa famille ou aller à l'école le 4 novembre. Nous lui conseillons de ne pas lâcher l'école et Hamada lui dit la même chose : «Si tu lâches, tu le regretteras comme moi.» Avant de les quitter, nous leur demandons de porter une bavette et d'adopter les gestes barrières car le long de toute la rue que nous avons arpentée, aucun commerçant ne portait de bavette.
Plus haut, dans la ruelle, les vendeurs de fruits et légumes n'appliquent nullement les gestes barrières. Quant aux citoyens qui font leurs emplettes, aucun ne semble se soucier de la crise sanitaire qui frappe le pays et qui classe la capitale première wilaya pour les cas de contaminations à la Covid-19.
Les autorités compétentes également semblent ne pas se soucier de ce quartier mythique et historique. Les conditions de vie restent très rudes et la prise de conscience face à la pandémie semble être le cadet des soucis des habitants qui cherchent tant bien que mal à joindre les deux bouts.
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Posté Le : 22/10/2020
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Rachid Larbi
Source : www.elwatan.com