Le cinéaste en gros plan.
Rachid Bensaddek, réalisateur de Montréal la blanche Photo : K-Films Amérique
À l'occasion de la diffusion de son magnifique film à Notre cinéma, le vendredi 19 janvier à 23 h 05, le cinéaste Bachir Bensaddek nous a confié ses meilleurs souvenirs de tournage.
Un texte de Helen Faradji
C’est l’histoire d’une rencontre, presque banale, dans un taxi un soir de Noël. Lui, hanté par un passé traumatique, conduit. Elle, à la recherche de son ex-mari et de sa fille, est passagère. Tous deux sont d’origine algérienne. Dans les rues de Montréal, avec une tendresse lucide, jamais angélique, Bachir Bensaddek réinvente dans Montréal la blanche l’idée même du conte de Noël, les deux pieds ancrés dans notre réalité, autour de ces deux personnages complexes, contradictoires, vulnérables et forts. Une preuve absolue que la diversité des regards, tant devant que derrière la caméra, fait partie de nos plus belles richesses.
Vous souvenez-vous du moment où vous avez su que votre pièce de théâtre documentaire (montée en 2004) allait devenir votre premier film de fiction?
Oui, tout à fait. J’avais fait la recherche et l’écriture pour la pièce, mais au moment des répétitions, j’étais en Europe avec ma petite famille. Je n’ai donc rien vu du processus créatif de la pièce et je suis revenu à Montréal deux jours avant. Quand je suis arrivé au Monument-National pour la générale, ça a été une claque : pendant 1 h 30, des comédiens professionnels donnaient vie à ces mots avec lesquels j’avais joué! Et je me suis dit : « Tu ne peux pas t’arrêter là, ce n’est pas possible. » J’avais vu des gens se parler sur scène alors que je savais bien qu’ils ne se connaissaient ni d’Ève ni d’Adam dans la vie. Je me suis donc donné comme défi de créer encore plus des rencontres entre ces personnages, que j’avais rencontrés individuellement. La fiction permettait ça, plus que le documentaire. J’avais envie que mes personnages s’influencent les uns les autres et qu’ils s’amènent à une autre dimension et à se questionner. Puis, au théâtre, pour que la magie de la neige soit présente, il fallait frotter deux morceaux de sucre au-dessus de la coursive. Au cinéma, on pouvait vivre dedans pour vrai (rires).
Vous souvenez-vous du moment où vous avez su que Karina Aktouf et Rabah Aït Ouyahia allaient jouer vos deux personnages principaux?
Absolument. J’écrivais les dialogues, dont une bonne partie en arabe dialectal algérien, et je me demandais qui allait pouvoir jouer ça. Immédiatement, j’ai pensé à Karina Aktouf. Je la connaissais depuis des années, je l’avais vue dans Jasmine, la série télé de Jean-Claude Lord qui, à mon sens, essayait vraiment de donner un autre visage à Montréal. Dans ma tête, le choix de Karina était évident. Quant à Rabah, pendant longtemps, je pensais faire jouer le rôle par le vrai chauffeur que j’avais rencontré et dans le taxi duquel j’avais passé toute une nuit. Il était d’une telle gentillesse, d’une telle force dans sa simplicité… C’était lui, au point même que je l’ai recroisé plus tard et il m’a raconté qu’une de ses clientes lui avait dit, après lui avoir parlé 10 minutes : « Monsieur, vous me rappelez le chauffeur de taxi de Montréal la blanche! » Mais je savais – plusieurs lecteurs de mon scénario l’avaient remarqué – que le personnage risquait d’apparaître trop gentil, trop bon, et qu’il fallait que l’interprétation d’un comédien puisse y amener une dimension supplémentaire. Un soir, par hasard, à la télé, j’ai revu un de mes documentaires, Seules, sur deux femmes algériennes qui n’avaient pas trouvé le bonheur au Québec et que narrait Rabah, le fils d’une de ces deux femmes, avec qui j’avais également tourné un court-métrage. Lors de ce tournage, il était à un moment donné passé sous un réverbère et j’avais été épaté de la manière dont la lumière tombait sur son visage, de ce qui se passait, même quand il se taisait. Je m’en suis souvenu ce soir-là, et là aussi, c’était évident : c’était lui qui devait le jouer. Je me suis battu pour que ce soit lui. Il était retourné à Alger, il était producteur, il n’était pas nécessairement connu, mais je voulais que ce soit lui.
Vous souvenez-vous de la première projection de Montréal la blanche?
Je me souviens d’avoir montré un premier assemblage, un jeudi matin, au Cinéma du Parc. Il y avait Rabah, ma blonde, mon distributeur, mes producteurs, les représentantes de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et de Téléfilm Canada, mon prof de cinéma de l’université, Henri-Paul Chevrier, et mon monteur. J’étais terrorisé, en boule, au fond de mon fauteuil! Je me répétais : « C’est plate, c’est plate, c’est plate. » Puis, la projection s’est achevée et Henri-Paul, pour qui, à part Providence, d’Alain Resnais, il n’y a rien de valable, m’a dit : « J’ai adoré ça. » Mon comédien a pleuré et ma blonde avait des lumières dans les yeux. Et là, je me suis dit : « Finalement, ce n’est peut-être pas si pire! » (rires) Ensuite, je me souviens aussi de la grande première mondiale, au Festival de Rotterdam. La grande salle se remplissait de plus en plus et je dois avouer que j’avais un peu chaud, à ce moment-là! Puis, le film a commencé et les gens ont ri aux bonnes places. J’étais très touché de voir que ce public, hollandais, pouvait voir quelque chose dans le film qui dépassait son contexte québécois. J’avoue qu’en sortant, ce soir-là, j’étais sur un petit nuage!
Quel est votre plus beau souvenir lié à l’aventure de ce film?
C’est dur! Il y en a plusieurs. Je me souviens d’être en train de me faire interviewer par une étudiante mexicaine pour un documentaire sur les cinéastes d’origine autre au Québec. À ce moment, mon téléphone a sonné. C’était mon producteur, qui m’a dit : « OK, on va le faire, ce film. » Ça, c’était un moment extraordinaire. Il y a aussi cet instant de symbiose entre les comédiens et l’équipe, durant le tournage. On tournait une scène dans un casse-croûte. Les comédiens avaient beaucoup répété, je les sentais dans un moment particulier et dès qu’on a commencé, ils étaient tellement dedans qu’on n’entendait pas une mouche voler! On était accrochés à eux, le chariot ne faisait pas un bruit, c’était véritablement magique. Et il y a aussi le tournage des scènes des musiciens, au début, dehors, sur Sainte-Catherine, en janvier. Les gens s’arrêtaient pour les regarder, en souriant. C’était super.
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Posté Le : 26/01/2018
Posté par : canadalgerie
Source : ici.radio-canada.ca