Algérie - Revue de Presse

Le bidonville, ce chancre qui empoisonne la vie des logeurs



Dans sa livraison du 20 courant, sous la plume de M.S. Boureni, Le Quotidien d'Oran annonçait que le département ministériel de l'Habitat et de l'Urbanisme va, dans le cadre d'un projet de loi relatif aux règles de construction, sévir en matière de non-respect des nouvelles dispositions. Les instances techniques locales sont déjà instruites pour la démolition des habitations construites en violation des normes édictées par la réglementation. Est-ce à dire que nous n'avons manqué que de textes juridiques et réglementaires pour que la situation de notre tissu urbain atteigne le point de non-retour ? Où faudra-t-il loger les occupants des logements que le bulldozer aura rasés ? A quoi auront servi les permis de lotir, de construire, les Plans d'occupation des sols (POS), les Plans directeurs d'aménagement urbain (PDAU) ainsi que les défunts Plan de modernisation urbaine (PMU) et Zone d'habitat urbain nouvelle (ZHUN) ? Que dire encore de l'autisme des instances élues quand les réserves foncières communales partaient en lambeaux, d'où l'inexistence, par endroits, d'assiettes pour implanter une école ou un simple dispensaire ? Envisager l'implantation d'un collège ou d'une polyclinique relèverait de la rêverie utopique. Les terrains à haute densité d'habitat ont été livrés sans état d'âme au logement individuel consommateur de grandes assiettes. L'immeuble collectif participant au cachet urbanistique de la ville est relégué à la périphérie des centres urbains, la vieille masure traînera ses vieilles tuiles et porte cochère en plein boulevard; ces vieux logis, souvent dans l'indivision, s'incrusteront durablement dans le tissu urbain. Que dire encore des constructions réalisées sur les servitudes de gazoducs ou des lignes électriques à haute tension ? Ce ne peut être que l'absence de vigilance ou l'excès d'indifférence des services en charge de la veille. L'époque charnière de la décrépitude a commencé dans les années quatre-vingt (80) où l'on avait considéré que le peuple ne mangeait pas à sa faim, d'où la «Papisation» du ventre, que les contraintes du registre du commerce étaient astreignantes, que la commission de choix de terrains devait être décentralisée au niveau communal ainsi que la suppression des enquêtes commodo incommodo et le certificat de conformité de la bâtisse ou de l'activité professionnelle. Ces exigences réglementaires, outils de police urbaine n'étant plus de mise, la voie est ainsi ouverte à tous les dépassements observés jusqu'à ce jour. De petits rus de complaisance devinrent de grands fleuves d'inconséquence et d'incurie. Octobre 88 introduisit le chantage populaire par la culture de l'émeute et le recul de l'Autorité. L'état de décrépitude atteignait ses cimes par l'avènement des Délégations exécutives communales (DEC) avec toutes les prérogatives régaliennes de l'entité élective communale. C'est ainsi que des terres agricoles, des réserves foncières étaient livrées à la curée de gens dont l'intention n'était pas exempte d'arrière-pensées mercantilistes. La période était propice à l'accaparement par tous moyens, elle augurait déjà de l'économie du bazar sous-tendue par la prospérité de l'informel. Le coup de boutoir assené aux exploitations agricoles collectives (EAC) par le désistement et autres subterfuges participait déjà à la rurbanisation effrénée subie lors des années de turbulences. Débidonvillisé au lendemain de l'Indépendance par le parc immobilier dit bien vacant, le pays renouait avec le bidonville avec l'avènement des grandes zones industrielles, le sous-prolétariat d'origine souvent rural se greffait à la population ouvrière urbaine pour assurer des services que personne ne voulait plus assurer, gardiennage, curage d'égouts, travaux de nettoiement et autres tâches insalubres. Se constituaient ainsi de petits ghettos au départ, baptisés du nom de lieux où ils s'implantaient ou du nom de l'ancien colon maître des lieux. Le bidonville s'imposait comme une entité urbaine et faisait l'objet de transactions, il pouvait faire obtenir un logement social plus rapidement que la procédure normale. Le circuit pouvait s'opérer deux jusqu'à trois fois, il suffisait d'une bonne dose de culot. De périurbain, il a évolué, il devient huppé de Béni Messous à Sidi Yahia (Hydra) au bateau cassé (Bordj El-Kiffan). Le frère jumeau du bidonville mais néanmoins non précaire, est le bidonvilla, immenses demeures en monobloc, plus fonctionnelles que belles, garages pour les camions de gros tonnage ou ateliers de ferronnerie, menuiserie et autres. Le nouveau commerce générera des revenus pour l'extension de la construction. En plus des nuisances sonores induites par ces activités indues, les riverains ne pourront faire fonctionner leurs équipements électriques qu'à la nuit tombée. L'énergie fournie pour le quartier n'est pas suffisante et pour les ménages et pour la multitude d'ateliers. Les ornières et autres crevasses empoisonneront la vie des habitants qui pataugeront dans la fange en saison pluvieuse, la poussière envahira les logis dès que le temps est au sec. Et quand le revêtement arrive enfin, il se trouvera des individus qui, sans vergogne, éventreront la chaussée pour un raccordement oublié, ce qui rendra l'ornière à sa place et la boue dans les crevasses. Faut-il aussi rapporter la déchéance qu'au seul auto-constructeur ? Nous pensons que la précipitation et le manque d'intégration et de cohérence des études des lotissements à bâtir, sont pour une grande part dans les désordres observés. Il suffit de prime abord de voir ces rues tortueuses par le non-respect de l'alignement ou ces faits de bâtisses en dents de scie qui partent du niveau zéro au R 5. Le nouveau génie a trouvé la parade pour grignoter sur l'espace, on respecte l'alignement au sol, mais dès l'étage, les tabliers de plus d'un mètre avancent dans le vide pour étreindre un support électrique ou un candélabre luminaire, ce qui donne une image surréaliste et burlesque à la fois. En ce qui concerne le ferraillage d'attente, les terrasses en sont tellement hérissées que son absence devient presque anormale. Et là où il existe, un vieux pneu mis là en évidence renseigne sur l'obscurantisme mystique de l'heureux propriétaire. On dit que le rond du pneumatique symbolise le chiffre 5 arabe ou la fameuse formule populaire «Khamsa fi a'aynac» pour conjurer le mauvais sort des envieux. Question qu'il faudra encore piocher ! Le tracteur agricole qui a depuis longtemps quitté les champs, assure d'autres fonctions de pourvoyeur d'eau par citernage pour les chantiers, il continuera à marauder dans les nouvelles résidences pour ramener de l'eau potable pour le remplissage des bâches et autres réservoirs. Cet état de fait renseigne à lui seul sur la légèreté avec laquelle on a implanté un groupement humain, sans suffisamment de ressources hydrique, électrique et autres attributs urbains. Le cadre urbanistique n'est plus un souci pour quiconque, une forêt de mâts surmontés d'enseignes métalliques envahit les trottoirs, de celle qui annonce le médecin, le notaire, l'avocat ou l'écrivain public. Il se trouve parfois qu'elles sont si denses, qu'il faille slalomer pour se frayer son chemin. Quant aux commerces, notamment ceux de la quincaillerie et de l'ameublement, ils ont depuis longtemps squatté les trottoirs et même la partie de la chaussée en vis-à-vis. Le piéton chassé par le commerçant n'aura d'autre alternative que de braver le flot circulant de véhicules. Les espaces verts quant à eux, convoités par la collectivité locale elle-même pour quelques kiosques à visée clientéliste ou par de lubriques prétendants de tout bord, la survivance de quelques enclaves encore indemnes, n'est le fait que de riverains opiniâtres qui luttent encore contre les moulins à vent. Démunis de l'outil juridique et de guerre lasse, ils abdiqueront vite sous la férule d'une inique délibération de l'assemblée populaire communale.


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