Algérie

Le beurre et l'argent du beurre de Sawiris



Le beurre et l'argent du beurre de Sawiris
En anglais élégant on aurait dit «to have a lot of nerve». En bon français, c'est-à-dire sur un ton plutôt gaulois, on dirait être gonflé, ne pas manquer d'air. Le milliardaire égyptien Naguib Sawiris, qui a longtemps tondu la laine sur le dos du mouton algérien, est certainement un homme d'affaires audacieux mais est surtout sacrément gonflé. Il est même sur le dos des autorités algériennes auxquelles il réclame désormais 5 milliards de dollars de dommages et intérêts après avoir décidé d'intenter une procédure d'arbitrage international. Il est même gonflé à bloc au sujet de Djezzy dont la vente a été bloquée par l'Algérie qui a exercé, à bon droit, son droit de préemption. «Peu importe le temps que cela prendra, j'en fais une question de principe», a-t-il affirmé à notre confrère français le Figaro. Un peu d'histoire est donc nécessaire pour mieux comprendre les ressorts de la motivation du magnat égyptien qui a élargi sa surface financière grâce à des mouvements de culbute, vise à investir dans le GSM européen (France, Italie) et fait désormais de la politique à la tête de son propre parti en Egypte. C'est en juillet 2001 que le patron d'ORASCOM décroche la lune en remportant la deuxième licence de téléphonie mobile en Algérie, pour un dérisoire montant de 737 millions de dollars. Il crée Djezzy et s'offre assez vite, dans un marché très ouvert et peu encadré, une position dominante de premier opérateur mobile du pays avec 16 millions d'abonnés. Le jackpot assuré et la promesse de réaliser de mirifiques plus-values, comme avec le géant sud-africain NTN qui aurait été prêt à racheter l'opérateur à 7 milliards de dollars. Déjà floué dans l'affaire de revente d'une cimenterie au français Lafarge et passablement échaudé, le gouvernement algérien bloque l'opération. Au fond, il est reproché à l'homme d'affaires égyptien une certaine âpreté au gain, et une tendance à prendre l'Algérie pour une vache à lait alors même qu'il y a gagné et en a transféré beaucoup d'argent, énormément même, sans finalement s'inscrire dans la durée et réaliser en Algérie les investissements productifs attendus de quelqu'un qui devait renvoyer l'ascenseur. D'ailleurs, lui-même reconnait avoir acheté la licence au prix bas de 737 millions de dollars et d'avoir ensuite empoché 800 millions de dollars par an. Pour se justifier, Naguib Sawiris évoque une générosité de business angel assez généreux pour venir investir en Algérie parce que à l'époque «c'était la guerre, (et) personne ne voulait investir». Dans les colonnes du Figaro, presque la larme à l''il, il invoque une «jalousie» et des «considérations politiques» qui serait à l'origine de sa mise en échec par le gouvernement algérien. Dans le détail, un empêchement à importer les marchandises dont Djezzy avait besoin, une interdiction de rapatrier ses dividendes et de faire de la publicité sur les télévisions publiques. Il rappelle aussi que son groupe «a investi en Algérie
5 milliards de dollars en infrastructures, versé des milliards de dollars de taxes et crée 24 000 emplois». Encore heureux pour lui. Mais, omettant de mentionner des redressements fiscaux importants et d'infractions multiples à la législation algérienne, il parle d'un rêve brisé de Tycoon arabe des télécoms, le «premier grand opérateur arabe global». On sortirait presque les mouchoirs. La réalité est finalement beaucoup plus prosaïque que ça et obéit surtout à une pure logique financière. Naguib Sawiris est moins un bâtisseur d'empires qu'un amasseur de fortunes. C'est un financier, plutôt qu'un financeur. Un businessman qui s'engage pour mieux se désengager quand il est sûr que l'occasion est propice pour réaliser des bénéfices substantiels. On lui prête d'autre part l'intention d'investir lourdement en Europe. Il a déjà les moyens de ses ambitions et compte sur le complément de 5 milliards de dollars qu'il escompte arracher à l'Algérie grâce à un éventuel arbitrage favorable. En 2011, il a vendu 51,7% de son empire, Orascom Telecom, à Vimpelcom, empochant 1,3 milliard d'euros en cash, plus une participation de 20% dans le géant russo-norvégien, part évaluée alors à 3,5 milliards et qu'il a revendue début septembre ; réalisant au passage une juteuse affaire. Comme disent les Egyptiens eux-mêmes, leur compatriote «sait par où entamer l'épaule grasse du méchoui», surtout si c'est celui du mouton algérien. Dans le conflit qui l'oppose désormais à Naguib Sawiris, l'Algérie est certes dans son bon droit mais l'affaire ne lui est pas forcément favorable. Loin de considérations philosophiques comme le patriotisme économique, la récupération de Djezzy, bien tardive, il est vrai, est une réelle question de souveraineté nationale et touche même au domaine de maîtrises des communications nationales. Il s'agit aussi de rectifier les erreurs du processus d'introduction d'OTH sur un marché subitement ouvert pour devenir rapidement captif. Le retard pris à reprendre la maîtrise des choses, risque de coûter très cher au pays. Le spectre d'un scénario Anadarko-Sonatrach se profile. Les Russes acceptent en effet de céder une participation majoritaire dans Djezzy pour un prix «acceptable» de 7 milliards de dollars. Prix qui ne reflète pas une évaluation pertinente de l'opérateur, selon les experts. Assurément, le montant de 7 milliards de dollars exigé par Vimpelcom n'est pas raisonnable, même si OTA domine un marché de 35 millions de consommateurs. Sans compter les 5 milliards de dollars de
dommages réclamés par Naguib Sawiris. Dans cette affaire, les démêlés de Djezzy avec le fisc et la Banque centrale n'ont pas été utilisés pour refuser de payer le prix exorbitant réclamé par Vimpelcom dont Sawiris est actionnaire. Encore moins pour retirer sa licence à OTA qui a accumulé les infractions fiscales et les délits en matière de change. Surtout que la licence d'exploitation ne doit pas être incluse dans les actifs d'OTA, car elle est la propriété inaliénable de l'Etat algérien. Les Algériens se sont eux-mêmes compliqués la tâche en se refusant de se fixer davantage sur la négociation sur le prix après expropriation d'OTA. Ainsi, en acceptant Vimpelcom comme interlocuteur incontournable, on a chassé Sawiris par la porte pour qu'il revienne par la fenêtre, via ses actions dans Vimpelcom ! Dans ce dossier, Vimpelcom et Sawiris peuvent s'appuyer sur l'article 9 de la convention d'investissement de 2001 entre l'Algérie et Orascom Telecom Holding (OTH) qui bénéficie d'une clause de stabilisation. Or, un tribunal international pourrait faire une stricte lecture de ladite convention et ne pas accorder gain de cause à l'Algérie. Ce dossier est avant tout une histoire de généreuses largesses octroyées au groupe. L'accord engage l'Etat algérien à ne pas remettre en cause les droits et autres avantages «intangibles» concédés à OTA jusqu'en décembre 2016 ! Ces droits sont sauvegardés autant de temps que durerait la convention d'investissements entre l'Algérie et l'Egypte de 1997. Sawiris s'en est d'ailleurs prévalu pour contester les redressements fiscaux dont OTA a été l'objet, estimant qu'ils constituent une atteinte à la convention en question. Pas bête l'Egyptien qui veut le beurre et l'argent du beurre.
N. K.


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