Algérie - Ornithologie

Le baguage du flamant rose en Algérie. Des conséquences scientifiques importantes



Le baguage du flamant rose en Algérie. Des conséquences scientifiques importantes
Le flamant rose phonicopterus roseus est un échassier au bec épais recourbé muni de fanons lui permettant de filtrer sa nourriture (invertébrés, graines, cystes) dans l’eau et le substrat des lagunes et lacs salés qu’il fréquente.

En Algérie, le statut de l’espèce a changé depuis peu, grâce aux efforts des chercheurs du Laboratoire de recherche et de conservation des zones humides (LRZH, université de Guelma, initialement à l’université de Annaba), passant d’hivernant aux effectifs modestes (5 000 oiseaux) à celui de résident avec des effectifs dépassant souvent 30 000 individus. La quête d’une preuve de la reproduction du flamant rose en Afrique du Nord fut longue et souvent frustrante.

En Algérie, la reproduction avérée en 2005 du flamant rose à Ezzemoul, près de Aïn- M’lila, a été l’aboutissement d’une recherche intense menée durant de nombreuses années visant à comprendre la dynamique d’une espèce hautement vulnérable ne se reproduisant que dans un nombre réduit de sites.

Pourquoi s’intéresser à la dynamique des populations d’oiseaux ?

Face au péril de l’émergence des épidémies (SRAS, fièvre jaune, grippe aviaire, west nile, chikungunya, tuberculose, etc.), le biologiste a une responsabilité de comprendre la part des déséquilibres écologiques et de tout autre changement global dans ces phénomènes, de rechercher les origines et d’identifier les mécanismes des maladies émergentes.

De nombreuses espèces forment un réservoir d’agents infectieux pouvant poser un problème de santé publique ou agissent comme vecteurs pouvant disséminer des virus dangereux ou des bactéries mortelles sur de grandes distances. Devant une accélération des échanges mondiaux et une érosion accrue de la biodiversité, une formation ouverte sur les liens entre la biodiversité, la conservation et les maladies infectieuses est à même de produire des chercheurs et techniciens capables de constituer des réseaux efficaces de surveillance et de gérer de manière rationnelle toute crise.

Le baguage est un outil efficace du suivi de la dynamique des populations d’oiseaux et la maîtrise des outils (baguage et analyse des données) est facilement transposable d’un modèle animal à un autre.

L’Algérie, qui possède une riche palette de milieux variés, possède de nombreux complexes de zones humides dont l’importance écologique n’est plus à démontrer.

Notre pays est signataire de nombreux traités internationaux qui engagent notre responsabilité vis-à-vis de la biodiversité.

L’Etat à travers le financement de la formation, de la recherche et des projets de conservation fournit un effort considérable pour concilier développement et conservation des ressources naturelles.

Quel plus bel ambassadeur de cet effort que le flamant rose, espèce emblématique des zones humides ?

Un flamant rose bagué en Algérie avec une bague spécifique pour notre pays devient de fait un porte-drapeau à travers ses déplacements autour du bassin méditerranéen, et ce, pour une durée de 30, voire 40 ans. Des oiseaux bagués en Algérie, outre les nombreuses données scientifiques qu’ils apportent, sont un gage de sérieux et de compétence du savoir-faire de la recherche scientifique en Algérie.

Dans cette optique, le LRZH a initié un vaste programme de baguage des oiseaux d’eau.

Quatre opérations de baguage de flamants roses ont eu lieu en Algérie.

La première opération eu lieu à Ezzemoul en 2006, une année après la première nidification réussie. Près de 120 volontaires constitués de chercheurs et d’étudiants du Laboratoire de recherche des zones humides (initialement localisé à l’université de Annaba et comprenant des chercheurs de diverses universités algériennes : Oum El-Bouaghi, Guelma, Jijel, Tarf. De nombreux riverains participèrent à l’opération. Ces derniers qui représentaient probablement la plus grande menace (prélèvement des œufs) pour la colonie furent conquis par les milliers de poussins qu’ils approchèrent et qui eurent un grand impact sur eux. Pour les étudiants, formés aux théories des techniques captures-recaptures et de la gestion des zones humides, les opérations de baguage sont des «travaux pratiques» grandeur nature.

Un autre enseignement est que grâce à la générosité de l’effort et du travail d’équipe, il est possible de réaliser des prouesses. Les retombées scientifiques du baguage ne tardèrent pas grâce au réseau international d’observateurs répartis autour de la Méditerranée et qui confirmèrent que de nombreux individus bagués visitaient le sud de l’Europe et le reste de l’Afrique du Nord.



La deuxième opération en 2009 fut une véritable expédition au Sahara suite à la première reproduction réussie du flamant rose à El-Goléa, au centre du Sahara algérien. Une trentaine de chercheurs et d’étudiants bravèrent des conditions difficiles et réussirent à baguer 8 poussins dont la dispersion révéla que des échanges entre les colonies du Sahara et celles plus au nord existaient. Des poussins bagués à Ezzemoul en 2006 furent observés nicheurs à El- Goléa, à un âge relativement précoce pour l’espèce.

En 2009, le flamant rose s’est reproduit en masse à Ezzemoul avec un nombre record de couples (supérieur à12 000). Le nombre de poussins bagués fut également inégalé (638) dans le bassin méditerranéen sur un total de plus de 6 000 poussins grâce à une centaine de volontaires composés principalement de chercheurs et d’étudiants. Les riverains étaient également présents et leur apport incontournable. Les poussins algériens se dispersèrent encore une fois tout autour du bassin méditerranéen (du Portugal à la Turquie et de la Mauritanie à la Libye). Des flamants bagués en Turquie furent notés nicheurs cette année-là à Ezzemoul ; une première pour des flamants turcs dont la reproduction n’avait jamais été observée hors de leur pays.

La quatrième opération de baguage en Algérie eut lieu le 23 avril 2011 à Safioune, au nord-est de Ouargla. Des conditions difficiles (éloignement, vent de sable, froid intense, absence de réseau de communication) n’eurent pas raison de la volonté d’une centaine de volontaires (Guelma, Ouargla, Constantine, Oum El-Bouaghi) regroupés autour des chercheurs du LRZH. Un total de 62 poussins a été bagué dans une opération considérée par tous comme la plus éprouvante.

Un plan d’action pour la conservation du flamant rose en Algérie vient d’être formulé avec pour objectif de pérenniser l’hivernage et la reproduction de cette espèce en maintenant les capacités de mise en eau des sebkhas et de protéger les colonies lors des tentatives de reproduction.

Toutefois, les résultats, issus d’une collaboration étroite entre chercheurs méditerranéens, montrent que si le baguage indique une certaine structure des populations (le flamant rose étant philopatrique, préférant se reproduire là où il est né), les échanges entre les diverses colonies sont suffisamment nombreuses pour homogénéiser génétiquement ces colonies : l’analyse des prélèvements d’ADN lors des baguages suggère que le flamant rose est structuré en métapopulation, c'est-à-dire un ensemble de populations séparées dans l’espace mais entre lesquelles des échanges substantiels d’individus ont lieu.

Il est clair alors que la conservation du flamant rose ne peut se faire localement, qu’il est important de gérer cette métapopulation à l’échelle du bassin méditerranéen et qu’il est urgent de connaître l’importance relative des diverses colonies. Il importe donc de poursuivre les directives du plan d’action et d’agir en poursuivant une collaboration internationale entre chercheurs et institutions.

Remerciements : Nous remercions tous les participants qui ont généreusement contribué à la réussite des différentes opérations de baguage.

Nous sommes reconnaissants à Luc Hoffmann et la fondation Mava pour leur support matériel. Le groupe Benamor a généreusement fourni les tenues des participants.

Le travail a été réalisé sous l’égide du MESRS et du ministère de l’Environnement à travers divers projets (CNEPRU, ANDRU, ONEDD, CRSTRA, laboratoire LRZH).

B. S. et F. S.

* Enseignants chercheurs du Laboratoire de recherche et de conservation des zones humides, université de Guelma

Références bibliographiques : Béchet, A & Samraoui, B. (2010). Plan d’action pour le flamant rose phoenicopterus roseus en Algérie. Centre de recherche de la Tour du Valat, Arles, France. 28 pp. Bouchibi Baâziz, N., Bouzid, A., Boulkhssaim, M., Ouldjaoui, A., Baaziz, N., Boucheker, A. Samraoui, B. (2010). A new nesting site for the Greater Flamingo in the Algerian Sahara and an account of the breeding season of 2010.

FLAMINGO 18: 82-87. Samraoui, B. & Samraoui, F. (2008). An ornithological survey of the wetlands of Algeria : Important Bird Areas, Ramsar sites and threatened species. WILDFOWL 58: 71-98. Samraoui, F., Boulkhssaim, M., Bouzid A., Baaziz, N., Ouldjaoui, A. & Samraoui, B. 2010. La reproduction du flamant rose phoenicopterus roseus en Algérie (2003- 2009). ALAUDA 78: 15-25.

Baguage de Flamants roses à Safioune en 2011 : http://www.flickr.com/photos/bsamraoui/s ets/72157626456066037/

Baguage de flamants roses à Ezzemoul en 2009 : http://www.flickr.com/photos/bsamraoui/s ets/72157621795699223/


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