Algérie

Le 17 octobre, nous serons tous Algériens, Monsieur Sarkozy. Et vous?



Le 17 octobre, nous serons tous Algériens, Monsieur Sarkozy. Et vous?
Bertrand Delanoë dépose des fleurs sur une stèle en hommage aux victimes de l'OAS le 6 octobre 2011 (M. GANGNE/AFP)


Il est temps que le président rende hommage aux civils algériens massacrés pendant la "bataille de Paris" le 17 octobre 1961.

Il y a comme ça des rêves impossibles. Par exemple, imaginer que ce lundi 17 octobre, cinquante ans jour pour jour après le massacre des Algériens à Paris par la police du préfet Papon, un petit homme en costume noir, visage grave, regard humide fixé sur les méandres de la Seine, s’avance seul sur le pont Saint-Michel.

Et, sous le regard d’une poignée d’Algériens en larmes, d’intellectuels français, de syndicalistes, de représentants d’associations franco-algériennes, d’hommes politiques de tous bords réunis dans l’émotion et le souvenir, imaginer qu’il jette une gerbe barrée du ruban bleu blanc rouge de la République française avec ces mots : "Nous ne vous oublions pas. Pardon !"

Il y a des anniversaires que l’on évite

Tant que ce lundi 17 octobre n’est pas passé, on peut en rêver, Monsieur le président. Après tout, même si vos services n’ont noté que du tout-venant sur l’agenda de l’Élysée, même si n’y ont consigné que les rendez-vous habituels la semaine prochaine, (lundi, entretien avec le premier ministre des Pays-Bas ; mardi, déplacement à Nice pour y parler insertion professionnelle ; mercredi, conseil des ministres), vous pouvez céder à l’une de ces tocades, l’une de ces pulsions, certains diront "inspirations" qui vous rendent si imprévisible. Et décider de célébrer, contre toute attente et à contre-courant de vos prédécesseurs, qu’ils soient de droite ou de gauche, le souvenir du massacre du 17 octobre 1961, la fameuse "nuit oubliée".

Bien sûr, il y a des anniversaires que l’on évite, que l’on refuse de commémorer par manque de courage parce qu’ils rappellent des épisodes tragiques de notre passé.


Bien sûr, il faudrait convoquer l’histoire de France, celle qui n'est pas dans les manuels scolaires, pour reconnaître qu’il y a cinquante ans jour pour jour, la "bataille de Paris" conduite par le préfet Papon, sur ordre de Michel Debré, le premier ministre du général de Gaulle, a provoqué la mort de dizaines d’Algériens (30 à 300 selon les sources), blessé dans leur chair des milliers d’autres parmi la foule qui bravait le couvre-feu, dans la nuit du 17 au 18 octobre, pour réclamer l’indépendance de l’Algérie.

Faire oublier les atermoiements de la France

Monsieur le président, vous qui, pour faire oublier les atermoiements de la France pendant les révolutions arabes, n’avez pas hésité à porter le fer en Libye, vous avez lundi l’occasion d’en finir avec le malentendu franco-algérien, plus large que cette Méditerranée qui sépare nos deux pays. Car, les relations entre la France et l’Algérie ne pourront vraiment se pacifier, redevenir fraternelles que si nos deux nations reconnaissent leur histoire commune avec humilité, contrition et pardon.



Dans de nombreuses villes de France (voir la carte de France de Médiapart), des gens de bonne volonté vont se rassembler le 17 octobre, Français, Algériens réunis dans ce souvenir terrible. À Paris, des intellectuels tels que Stéphane Hessel, Edgar Morin, Benjamin Stora, François Maspero, des hommes politiques comme le maire de Paris Bertrand Delanoë s’apprêtent à se recueillir sur le pont Saint-Michel du haut duquel tant de "magrébins" ont été jetés dans cette nuit d’horreur. Tous réclament sinon des excuses adressées au peuple algérien, du moins "la reconnaissance officielle de cette tragédie" par l’État français.

300.000 Algériens dans des bidonvilles

En janvier 1961, l’indépendance de l’Algérie est en marche. Le général de Gaulle a organisé un référendum qui pose cette question: "Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l'autodétermination des populations algériennes et l'organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l'autodétermination?" 75% des Français ont répondu "oui". Au même moment, à Évian, les négociations avec le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) se poursuivent. Mais les autorités multiplient les tentatives pour freiner le mouvement inexorable de la décolonisation.

300.000 Algériens vivent en France avec leur famille, dans le Sud mais aussi et surtout dans le département de la Seine. Regroupés dans des bidonville à Paris, à Ménilmontant et la Goutte d’Or, mais aussi à Nanterre, Aubervilliers, Bezons, Argenteuil, ils travaillent comme manœuvres dans les usines, les ateliers et sur les chantiers, et paient l’impôt révolutionnaire au FLN, le mouvement nationaliste algérien qui prône l’insurrection et exige l’indépendance de l’Algérie.

Le préfet Papon mène un combat sans merci à ces quelques centaines d’hommes armés, clandestins qui, depuis 1957, multiplient les attentats contre "les traitres" algériens et contre les forces de l’ordre. En octobre 1961, la police française est à la fois bouleversée, exaspérée, et confond dans sa haine et sa douleur, le FLN et la population algérienne qu’elle rend responsable du terrorisme quotidien. On recense alors pas moins de 2000 actions sanglantes qui ont fait notamment 47 victimes dans les rangs des policiers et des centaines de civils algériens pendant ces années noires.

Contre le couvre-feu et pour l’indépendance

Le 5 octobre, Maurice Papon décrète le couvre-feu qui interdit entre 20h30 et 5 h30 du matin aux «travailleurs magrébins et à leur famille de circuler dans les rues de Paris sous peine d’être interpellés». Mais le soir du 17 octobre, répondant à l’appel du FLN, des familles entières, vêtues de leurs plus beaux vêtements, sans armes, décident de braver l’interdit et de se rendre, hommes, femmes et enfants réunis, sur les grands boulevards et les places de la capitale pour réclamer pacifiquement la levée du couvre-feu et l’indépendance de l’Algérie.

Moins de 2000 policiers sont réquisitionnés pour arrêter les hommes et les parquer au Palais des Sports, mais aussi pour interpeller les femmes et les enfants et les conduire au commissariat de police du 2ème arrondissement. En face, ils sont plus de 30.000 à se rassembler dans le quartier Saint-Michel, sur les grands boulevards et à l’Étoile.

Les gardiens de la paix, les CRS et les gendarmes mobiles sont trop peu nombreux. Ils n’en peuvent plus d’être depuis des mois la cible des attentats. Ceci explique en partie que la manifestation pacifique va se transformer en massacre. La répression organisée par Papon est sanglante. Une fois "au contact", les policiers se mettent à frapper les manifestants avec leurs «bidules» (matraques). Des coups de feu sont tirés. "En l’air, par le FLN pour déclencher la confrontation", affirment certains historiens. "Dans la foule, par la police", disent les autres en précisant qu’aucun agent ne sera blessé par balles.

Il est temps d’apurer les comptes

On dénombre plusieurs dizaines de morts, peut-être même 300, mais aussi des milliers de blessés, et 12.000 arrestations. Des hommes sont abattus dans la rue, d'autres sont jetés dans la Seine, d’autres "massacrés dans la cour de la préfecture, sous les fenêtres de Papon", comme l’écrit L’Humanité. Impossible de passer par pertes et profits cet épisode tragique de notre passé commun avec l’Algérie (qui n'acquerra son indépendance qu'en juillet 1962). Il faudra bien qu’un chef de l’État français s’y colle et trouve un jour le courage d’apurer les comptes.

Et si c’était vous ? La fin de votre mandat se rapproche, Monsieur Sarkozy, et vous n’en aurez sans doute pas un second pour accomplir quelque chose de beau, quelque chose qui reste dans l’Histoire. Jacques Chirac, celui que vous avez appelé vous-même "le roi fainéant" ne laissera pas beaucoup de traces dans le grand livre des présidents français, mais il aura eu au moins le mérite de reconnaître la responsabilité de l’État dans la rafle du Vel’d’Hiv le 16 juillet 1995, dans les premiers mois de son arrivée au pouvoir.

Et vous ? Alors que dans quelques mois, s’achève votre quinquennat, ne serait-il pas temps, Monsieur le président, pour une fois, une seule, de cesser vos gesticulations, d’abandonner votre "langage de rupture", de division plutôt, et d’endosser enfin, le costume du réconciliateur ?


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