Algérie

Le 17 octobre 1961 racont' par un am'ricain



17 octobre 1961 - une date qui marque l'histoire des deux c?t?s de la M?diterran?e, celle de l'Alg?rie et celle de la France - 17 octobre 1961, une date qui a marqu? l'?crivain noir am?ricain, William Gardner Smith, qui a inscrit, dans une oeuvre de fiction, le massacre des Alg?riens ? Paris par Maurice Papon. Le journaliste/romancier, William Gardner Smith, a r?sid? en France durant la Guerre d'Alg?rie et la vie parisienne de cette p?riode particuli?re, lui a inspir? son troisi?me roman, The Stone Face, qui fut publi? ? New York en 1963.Le romancier avait alors propos? que son texte soit traduit en fran?ais, mais son ?diteur, du ?Club Fran?ais du Livre?, qui avait traduit et publi? ses premiers romans comme The Last of the Conquerors - Malheur aux Justes - avait refus? avec ce commentaire: ?c'est tr?s courageux d'avoir ?crit ce livre, mais on ne peut pas le publier en France?. Un message franc qui r?v?le les tensions de cette ?poque. Il aura fallu attendre 58 ans pour que ce roman soit traduit en Fran?ais. Le visage de pierre** sort chez Christian Bourgois, dans une excellente traduction fluide de Brice Mathieussent, ce mois d'octobre 2021. Aujourd'hui, la m?moire de l'histoire coloniale franco-alg?rienne est moins taboue en France, d'o? cette d?cision de l'?diteur, Christian Bourgois.
La sensibilit? d'un romancier am?ricain
L'int?r?t de ce roman, admirablement ?crit et ?tonnamment d'actualit?, est qu'il est ?crit par un Am?ricain, donc avec un point de vue non partisan, et la sensibilit? d'un romancier face ? une page tragique de l'histoire. William Gardner Smith met en sc?ne une histoire d'amour entre un Noir am?ricain, Simeon Brown, et une juive polonaise, Maria, et le fond historique de leur histoire est la guerre d'Alg?rie et ses cons?quences ? Paris. Le r?cit du massacre des Alg?riens ? Paris en est le point d'orgue.
Les personnages, qui vivent dans l'atmosph?re parisienne des ann?es 1960, sont convaincants et denses et le lecteur est dans le tourbillon de la vie d'un groupe de Noirs am?ricains en exil ? Paris. Le protagoniste principal, Simeon Brown est un Am?ricain originaire des quartiers noirs de Philadelphie qui a quitt? les Etats-Unis ? cause du racisme syst?mique des Am?ricains blancs, ? l'instar de beaucoup de Noirs comme James Baldwin ou Richard Wright et d'autres musiciens de jazz qui ont trouv? refuge et un semblant de vie normale ? Paris. Le personnage, Simeon Brown, est heureux d'avoir trouv? ?la s?curit? en France, convaincu d'avoir laiss? ?la violence derri?re lui?, celle des Blancs racistes. Il a laiss?, aussi, derri?re lui, sa propre violence car en r?action aux provocations des policiers am?ricains, il aurait pu commettre l'irr?parable face ? tant d'injustice. ? Paris, il vit avec un groupe d'amis noirs am?ricains dans le Quartier Latin et ? Montmartre.
Dans cet entre-soi rassurant, compos? de musiciens de jazz, de po?tes et de journalistes, vivant une vie d'artiste d?sinvolte, fr?quentant les bars et autres caf?s parisiens comme Le Flore, Simeon Brown filait une vie enfin ?normale? avec Maria. L'intrigue s'articule autour de la psychologie de Simeon traumatis? par le racisme outre-Atlantique. Ses souvenirs d'enfance et d'adolescence reviennent par bribes ? des moments cl?s de ses exp?riences parisiennes.
Un parall?le avec la situation des Noirs en Am?rique
Il se rem?more des moments sinistres et tragiques de sa vie ? Philadelphie, entrelac?s avec ses observations et t?moignages du traitement subi par les Alg?riens de ces ann?es par la police parisienne, voire par certains parisiens en termes de racisme qui font remonter ? la surface ses propres traumatismes d'enfant, d'adolescent et de jeune adulte ? Philadelphie. Alors, s'op?re une prise de conscience de la face cach?e de la capitale fran?aise, en l'occurrence la vie difficile de la communaut? alg?rienne et cela le bouleverse au plus haut point car, dans le r?cit, il se lie d'amiti? avec un groupe d'Alg?riens. Ses observations le renvoient ? sa m?moire des comportements des policiers blancs am?ricains, des r?sidus du Ku Klux Klan, des lynchages, des oppressions, des insultes et des humiliations qui marqu?rent sa famille et sa communaut?. La construction du r?cit se structure par le d?tail de cette m?moire comme lorsqu'il d?crit les manifestations du racisme. L'?pisode du bus, o? son p?re est confront? ? l'absurdit? du racisme est parlant: debout dans la partie arri?re du bus, celle r?serv?e aux Noirs, ? la limite de la partie avant r?serv?e aux Blancs, un passager Blanc exige de son p?re qu'il recule. Ce dernier s'ex?cute pour ne pas envenimer la situation. Non satisfait, le Blanc l'humilie davantage en lui ordonnant: ?N?gre, ouvre- moi ce paquet de cigarettes?. Refus du p?re. Vu la r?action du Blanc, il ?tait persuad? que ?le moment ?tait venu pour lui de mourir?. Devant une telle menace, une vieille dame noire lui donne le courage d'obtemp?rer pour ?viter le pire. La blessure de l'humiliation est transmise ? Simeon Brown qui est hant? par le visage froid des policiers am?ricains racistes. Il subit le racisme l? o? il va: un groupe de jeunes Blancs lui cr?ve l'oeil apr?s l'avoir rou? de coups avec le m?me mode op?ratoire, celui de la provocation suivie d'une surench?re. ?Le visage de la haine? du policier est identique ? celui du raciste Blanc provocateur dans les rues am?ricaines. Le traumatisme de la perte de son oeil le poursuit et ce visage de la haine, il le retrouve chez les policiers parisiens ce 17 octobre 1961, quand il tentait de retrouver son ami alg?rien Ahmed.
Les Alg?riens manifestent pacifiquement
Simeon Brown est pris pour un manifestant alg?rien, il est embarqu? dans le panier ? salades, battu et insult?. Il narre les contr?les au faci?s et les humiliations des Alg?riens, ce qui le renvoie ? ce qu'il a v?cu ? Philadelphie, d'o? son empathie grandissante pour ces amis alg?riens. Ce 17 octobre de l'ann?e 1961, il sait que les Alg?riens manifestent pacifiquement contre le couvre-feu impos? aux Alg?riens pour contrer le FLN: ?En d?but de soir?e, plus de trente mille Alg?riens quitt?rent leurs bidonvilles et leurs banlieues mis?rables, leurs chambres d'h?tel surpeupl?s et leurs caf?s tristes, puis, ? pied, en m?tro, en train et en bus, ils converg?rent vers le centre de Paris.?
Il est t?moin de cette marche o? des hommes, des femmes et des enfants alg?riens r?clamaient la paix. Les cons?quences de cette manifestation pour la paix en Alg?rie sont tragiques.
Simeon Brown dit son d?sarroi et sa tristesse face ? la trag?die: ?On devait rep?cher dans la Seine les cadavres de plus de deux cents Alg?riens dont celui d'Ahmed?, son ami. Dans sa course pour retrouver Ahmed, ? un coin de rue, Simeon se retrouve face ? un policier qui frappe de toutes ses forces une Alg?rienne et son b?b?. Choqu?, car la sc?ne ravive ses traumatismes les plus enfouis comme le jour o? il a perdu son oeil, il tente alors de prot?ger cette femme, le policier le frappe et ?Simeon comprit qu'il pleurait, sentit tous ces coups sur son propre corps.? Il a ?t? t?moin d'autres sc?nes comme ces ?femmes enceintes matraqu?es au ventre, des nouveau-n?s arrach?s ? leur m?re et projet?s au sol ? toute vol?e?.
Simeon entrelace la m?moire et le pr?sent car le visage des CRS parisiens devient celui des policiers blancs am?ricains. L'explosion du visage de la m?re par la matraque provoque alors ?une douleur fulgurante qui poignarda l'orbite vide de son oeil manquant?. Il s'?vanouit. Embarqu?, il se retrouve parqu? dans un stade, plein de prisonniers alg?riens, ceux qui ont ?chapp? ? la mort.
La prise de conscience
Tout au long du roman, le personnage de Simeon et de son amie Maria, une juive polonaise qui a subi la trag?die des camps de concentration ?tant enfant et qui est hant?e par la m?moire quand elle a vu ses parents emmen?s vers les chambres ? gaz, rapportent les incidents d'un racisme observ? dans les rues de Paris o? tous les deux pensaient trouver refuge. Mais ils sont rattrap?s par la trag?die de la guerre d'Alg?rie si pr?sente. Le traitement des Alg?riens par la police, les tortures subies que Ahmed et deux Alg?riennes lui rapportent, le choquent et contribuent ? sa prise de conscience que l'injustice est partout.
Le r?cit de la belle histoire d'amour entre Simeon et Maria, qui se trouve ?tre une rencontre de deux ?tres bless?s qui se r?confortent, dans cet exil ? Paris, est perturb? ? cause de la b?tise humaine. La trag?die du 17 octobre les rend conscients que le racisme est partout dans le monde. O? qu'ils soient, les policiers racistes incarneront toujours un ?visage de pierre?. L'image du visage froid, celui de la haine qui se manifeste, le hante. Simeon Brown sait de quel c?t? il se positionne. Il sait qui d?fendre pour survivre et garder sa dignit? humaine.
* Benaouda Lebdai est professeur des universit?s en litt?ratures africaines coloniales et post-coloniales.
** William Gardner Smith, Le visage de pierre, Paris, Christian Bourgois, octobre 2021.
In Le point Afrique
Benaouda Lebdai


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