De notre correspondant à Constantine
Nasser Hannachi
C'est un rituel qui, à la longue, s'est «standardisé». Roulez tambours, sonnez trompettes. Il faut dire et montrer que la science et le savoir ont leur place dans la ville qui leur accorde l'intérêt qui leur sied. Youm el Ilm, qui coïncide avec le 16 avril de chaque année, a été institué par les pouvoirs publics pour rendre hommage et perpétuer l''uvre du grand réformiste et figure du panthéon national, Abdelhamid Ibn Badis. C'est aussi une occasion de réveiller le talent et le génie qui sommeillent chez les enfants scolarisés. Les établissements scolaires rompent avec leur train-train et sortent de leur léthargie pour s'ouvrir à l'éducation artistique qui a déserté les bancs de l'école. Tout le monde s'active pour élaborer des activités extra-«programmes».
Constantine ne fait pas exception. L'agitation culturelle caractérise la scène constantinoise durant ce laps de temps. Même les bambins sont impliqués pour participer à diverses manifestations. L'école, en premier lieu, s'illustre par la multiplication d'activités et de programmes artistiques qu'on propose aux élèves. Exposés, photos, portraits, saynètes, opérettes, spectacles et chorales trouvent la place qu'ils n'ont jamais eue dans le programme scolaire. En ville comme dans les régions enclavées, l'animation bat son plein. Jusque-là, le 16 avril était présenté comme cours d'histoire pour les classes des cycle moyen et secondaire, tandis que pour le cycle primaire, les élèves se verront proposer l'élaboration d'exposés en rapport avec l'uléma qu'ils présenteront durant diverses manifestations qu'organiseront, à l'occasion, la direction de l'Education, les associations et les institutions culturelles locales.Du jour au lendemain, occasion oblige, les instituteurs se transforment en éducateurs encadrant des activités et travaux artistiques. Qu'ils soient enseignants d'arabe ou de français, il leur est demandé par la direction de l'éducation de mettre les élèves dans le bain, quitte à leur inculquer quelques rudiments de théâtre, de chant ou de peinture, pour élaborer un tableau artistique qu'on présenterait le jour J. Les enseignants formés à un cursus pédagogique répondant aux programmes d'enseignement où les arts n'ont qu'une place congrue, infime, sont ainsi obligés d'improviser pour toucher aux arts. Ainsi, les instituteurs sont obligés d'enseigner une matière qui n'est pas la leur. L'Académie justifie cette «translation» pédagogique en affirmant que la formation des instituteurs inclut le volet animation artistique. Il faut avoir une sacrée dose d'humour ou n'avoir aucune notion des compétences nécessaires pour l'enseignement des arts pour avancer un tel argument. De plus, cette formation artistique dont parle l'Académie est rarement mise en application et exploitée, car souvent éclipsée de l'emploi du temps. Et quand elle l'est, le matériel et les supports nécessaires manquent.L'enseignement des matières artistiques constitue le maillon faible des programmes. Pour l'heure, les pouvoirs publics ne l'ont introduit que «symboliquement» dans les grilles de programmes. En parallèle, des centres et des instituts spécialisés essayent de pallier la lacune de l'école et forment ce qu'ils peuvent. «Il est affiché une légèreté lorsqu'il est question d'évoquer l'apprentissage artistique dans les écoles», se désolent des enseignants spécialistes. Ce désintérêt des établissements scolaires pour la culture poussent les parents à se tourner vers les associations, les ateliers de formation et écoles privées. Mais ce ne sont pas tous les enfants qui pourront bénéficier de ces formations extra-scolaires, car il faut avoir les moyens de payer les stages et le matériel nécessaire à l'apprentissage. Et quand on a ces moyens matériels, il n'est pas dit qu'on trouvera un centre dans les parages. Les zones éloignées des centres urbains, de la ville, sont tout simplement exclues. Ainsi, il s'avère que l'école est la seule institution qui puisse concrétiser la socialisation et la généralisation de l'enseignement des arts.Mais les efforts relatifs à l'introduction des programmes d'enseignement artistique n'ont pas produit d'effets ni de résultats dans une école qui digère mal sa refonte scolaire. C'est d'ailleurs l'avis que partage l'écrasante majorité des pédagogues et sociopédagogues. Quant aux parents d'élèves, parce que justement l'école n'a jamais fait son travail d'éducation artistique, ils sont beaucoup plus soucieux des résultats pédagogiques qui assurent à leurs enfants le passage au niveau supérieur que de leur initiation aux arts. D'ailleurs, les associations de parents d'élèves ne s'intéressent pratiquement qu'au débat lié au programme et au mode de passage. Les parents d'élèves sollicitent souvent l'administration pour poser des problèmes pédagogiques : surcharge des classes, des programmes et des emplois du temps, absence d'enseignants, lourdeur des cartables, comment rattraper les cours perdus suite à une grève' Cette situation relègue au second plan l'intérêt pour le volet culturel qui est minoré et réduit à un minima, une heure par semaine, quand la direction de l'école peut s'en charger. La démission des associations des parents d'élèves à Constantine à ce propos est éloquente. Pour les rares qui essayent d'y remedier, le facteur temps les empêche de construire un programme adéquat, alors que d'autres n'y croient même pas, car, dans l'idée qu'ils se font de la culture, l'acte artistique est assimilé à un loisir, une plage de repos entre les cours, sans plus. En somme, le 16 avril anime la cité millénaire l'espace d'une journée ou même d'une semaine. Et le temps d'une manifestation conjoncturelle, certains parents découvrent, éblouis et fiers, que leurs rejetons savent chanter, interpréter un rôle ou dessiner. Ils caressent même le rêve de voir «le petit» devenir une star reconnue' mais ce n'est que le rêve éveillé d'un jour qui s'évanouira demain devant une réalité cauchemardesque pour la culture et les arts.
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Posté Le : 11/04/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : N H
Source : www.latribune-online.com