Lundi soir, en
zappant sans conviction d'une chaîne de télévision à l'autre, je suis tombé sur
un documentaire à propos des attentats du 11 septembre (*). J'allais passer mon
canal, me disant que cela ne pouvait être qu'un énième programme n'ayant rien
de différent par rapport à la bonne centaine d'autres que j'ai pu visionner sur
le sujet, mais je me suis vite ravisé. Les images étaient certes tristement
familières mais leur succession imprimait un rythme totalement nouveau, un peu
comme si quelqu'un avait filmé en continu tout ce qui s'est passé cette matinée-là.
Renseignement pris, le documentaire a été
bâti en regroupant de manière minutieuse les images enregistrées par plusieurs
dizaines de témoins. Autant le dire tout de suite, le montage est non seulement
remarquable mais il donne à voir des scènes poignantes, à l'image de ces
malheureux pris au piège des flammes et qui ont sauté dans le vide, mais aussi
stupéfiantes comme celle où l'on voit une rue propre sous un soleil radieux et
un ciel d'azur être soudain avalés par une énorme avalanche de poussière grise.
Il n'y avait ni commentaires off ni explications. C'était inutile, les images
et les paroles happées ici et là suffisaient largement.
Dans une séquence, un homme découvre ce qui
vient de se passer sur le grand écran de Times Square et se met à hurler contre
« les animaux qui ne méritent pas de vivre » et contre lesquels il faut
répliquer pour « leur faire subir ce qu'ils viennent de nous faire. » A
quelques miles de là, à Staten Island, une femme pointe ses jumelles vers le
sud de Manhattan et laisse échapper cette phrase : « C'est une tragédie. Il
faudrait déclarer la guerre immédiatement ». Deux réactions a priori semblables
mais en réalité totalement différentes. Le premier était hors de lui,
visiblement dévoré par la peur ; quant à la seconde, elle affichait une mine
sereine malgré l'horreur du moment.
Je ne connais pas toutes les motivations de
la réalisatrice de ce documentaire, certaines étant évidentes mais d'autres
pas. Je sais toutefois que les documentaires comportent toujours leur part de
non-dit et de lecture à plusieurs niveaux. Dans le cas présent, les visages
apeurés des hommes, leur souffle court, la panique qui se lisait sur leur
visage, en un mot leur désarroi m'a fait penser à une série d'articles sur le
11 septembre que j'avais lus il y a un an lors du septième anniversaire de ces
attentats.
Il y était dit que l'effondrement des tours
jumelles ainsi que le crash d'un avion sur le Pentagone avaient, entre autre
victimes, porté un coup terrible au féminisme américain. Dans l'un d'eux, la
journaliste Susan C. Faludi, prix Pulitzer, y expliquait que les hommes
américains s'étaient sentis à la fois humiliés et impuissants devant leurs
télévisions. Et dans les semaines et les mois qui ont suivi, rongés par l'idée
que leur pays ne manque de courage masculin, les mâles étasuniens se sont
employés à « restaurer l'illusion d'une Amérique mythique où les femmes ont
besoin de la protection des hommes et où les hommes réussissaient à la leur
fournir. » En somme, ce fut le retour proclamé du cow-boy sans peur incarné
jadis par John Wayne.
Dans le même temps, le féminisme tel qu'il
avait existé au cours des trois précédentes décennies était attaqué de toutes
parts, accusé, parfois avec virulence, d'avoir fragilisé les hommes et d'avoir
ébranlé leur courage et leur virilité par le biais de manifestations et de
revendications à la fois hystériques et récurrentes. Des attaques qui démontraient
que pour se bâtir un mythe d'invincibilité, les Etats-Unis avaient besoin du «
mirage de la dépendance féminine » et d'une construction nationale autour de la
cellule familiale sans cesse menacée par l'extérieur et nécessitant donc une
protection permanente.
A posteriori, cette analyse peut expliquer,
même partiellement, nombre d'épisodes récents de la vie politique américaine.
La défaite de Hillary Clinton devant Barack Obama en est un. Beaucoup de choses
ont été écrites sur les raisons de la déconvenue de celle qui était la favorite
numéro un du camp démocrate en janvier 2008. De même, les faiblesses d'Obama
ont été dûment répertoriées. Mais au final, dans un pays en guerre sur deux
fronts, les démocrates ont finalement choisi un homme pour les représenter.
Un autre exemple est la présence de Sarah
Palin en tant que colistière de John McCain. Rien d'étonnant à cela puisqu'elle
s'est présentée d'emblée comme étant l'anti-thèse des féministes américaines.
Tueuse d'ours mais aussi femme au foyer quand il le faut, supportrice enragée
de son équipe de hockey, ancienne pom-pom girl, sa carte de visite était
éloquente et devait renforcer l'idée que le ticket républicain tenait plus de
Rambo que des féministes de la côte Ouest.
Qu'en est-il maintenant ? Après avoir attaqué
l'Afghanistan et envahi l'Irak, l'Amérique s'est découvert d'autres raisons de
douter. Les Talibans sont de retour — et cela risque de s'aggraver tant que
l'Otan continuera de bombarder allègrement les civils afghans — et le spectre
de la guerre civile hante toujours l'Irak. Et il n'est même pas sûr que la mort
de Saddam Hussein ait représenté la vengeance que tout un peuple ou presque
réclamait au soir du 11 septembre 2001. En un mot, le syndrome des mâles
dominants et protecteurs est toujours prégnant.
Pour s'en convaincre, il suffit d'aller faire
un tour du côté des séries télévisées américaines. Qu'elles soient policières
ou comiques, sociétales ou fantastiques, le héros y est presque toujours un
homme, alors que la tendance était plutôt au duo mixte et à l'héroïsme partagé
entre monsieur et madame au cours des années 1990. Il y a bien sûr des
exceptions, à l'image de la série Desperate Housewives. Mais à y regarder de
près, les greluches qui y tiennent le premier rôle contribuent à leur façon à
déprécier le féminisme. Manipulatrices, timbrées, autoritaires, voire
dominatrices, elles se jouent d'hommes faibles et effacés et donnent ainsi à
voir l'image d'une femme dont l'Amérique blessée par le 11 septembre ne veut
pas.
(*) «102 minutes
qui ont changé le monde», de Nicole Rittenmeyer
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Posté Le : 10/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid
Source : www.lequotidien-oran.com