Publié le 06.10.2022 dans le quotidien l’Expression
Nous publions une série de trois articles du professeur Chitour, ancien ministre de la Transition énergétique, dans lesquels, il nous explique la plus-value de cette transition et les défis qui attendent l’Algérie
La transition énergétique est créatrice de richesses
Cette contribution est avant tout une approche scientifique d'un citoyen qui depuis plus d'un quart de siècle en appelle à changer de fusil d'épaule, s'agissant de notre rapport à l'énergie en étant convaincu que cette rente pétrolière et gazière bénédiction du ciel qui a accompagné l'Algérie pendant soixante ans, devrait être mise à profit pour assurer un avenir aux générations futures. La gestion de l'énergie est la défense immunitaire qui est la première des sécurités qui devrait mobiliser notre attention en permanence. Il est donc de la plus haute importance de changer de paradigme et mettre en place à marche forcée nos défenses immunitaires qui ne seront plus celles d'une manne que l'on exploite d'une façon passive mais en faisant en sorte que chaque m3 de gaz, chaque baril de pétrole devrait garantir la mise en place d'un 1kWh renouvelable provenant d'un Plan Marshall du renouvelable avec la production d'hydrogène qui est le plus sûr viatique pour nos enfants en 2030.
La transition énergétique est une formidable opportunité pour revoir notre façon de consommer. Il y a des milliers de start- up et de petites entreprises rien que dans la rénovation du vieux bâti, la démocratisation du chauffe- eau solaire qui est disponible, le renouvelable domestique avec des systèmes photovoltaïque complet à un prix soutenu par l'État qui se fera graduellement remboursé par le gaz naturel non consommé... Parallèlement, le Haut Conseil de l'énergie aura le devoir de mettre en place un modèle énergétique à l'horizon 2030 -2050 flexible, constamment adaptable et devant déboucher sur la loi relative à la transition énergétique qui servira de boussole au pays pour le protéger des convulsions.
De ce fait, j'en appelle à ne pas baisser la garde. Le but étant de ne pas perdre de temps, rentabiliser ce qui a été fait et dans le même temps provoquer une prise de conscience de la nécessité de la sobriété énergétique. Nous ne pouvons pas continuer à consommer près d'un milliard de m3/semaine. Les pays voisins consomment en une année huit fois moins que l'Algérie. En décembre 2021 Le gaz naturel pour les ménages est cédé à un prix de 0,003 $ le kWh, alors que sur le marché mondial il était de 0,076 USD le kWh. Soit vingt cinq fois plus. Il est actuellement en septembre 2022 de 0,3 $ le kWh soit 100 fois plus cher que le gaz algérien! Il y a matière à rationaliser la consommation d'énergie pour ne pas arriver à un rationnement subi pour gérer la pénurie dans un contexte où la rente est tarie. C'est dire si la transition énergétique adossée à une formation de qualité est incontournable pour sortir par le haut à l'ébriété énergétique et aller vers la sobriété énergétique, vertu cardinale de nos aïeux.
Historique de l'énergie
La volonté de développement des énergies renouvelables est ancienne et date de l'après-Boumediene... Cependant on remarque que cette ambition est chaque fois abandonnée quand le baril de pétrole augmente. La grande erreur est de croire que les énergies fossiles vont durer ad vitam aeternam et que la transition énergétique est enterrée ailleurs et par un effet de mimétisme on suit d'où vient le vent. Peut-être qu'un peu d'histoire permettrait de remettre les choses au point. Nous nous souvenons qu'après les chocs pétroliers, dans la terminologie occidentale, suite à la guerre de Ramadhan 1973, les pays occidentaux ont mis en place des scénarii visant à ne plus dépendre du pétrole arabe. Ce sera le docteur Kissinger, secrétaire d'État, qui inventa l'Agence internationale de l'énergie en 1975 avec la promesse de faire disparaître l'Opep dix ans après. Ce qui fut indirectement fait, le marker crude l'Arabian Light qui servait de référence fut remplacé par le Brent de la mer du Nord. Parallèlement, l'AIE exige des pays occidentaux de prévoir des stocks de sécurité de trois mois de fonctionnement. Cela veut dire qu'en cas de conflit, l'AIE ordonne aux pays concernés de déstocker provoquant de ce fait une abondance artificielle pour contrecarrer les flambées de prix. Ceci est, on l'aura compris en totale contradiction avec la «main invisible d'Adam Smith» chargée de réguler l'offre et la demande! Parallèlement, les pays occidentaux ont mis en place des plans pour sortir du pétrole et du gaz. Ainsi l'essentiel du parc nucléaire français a été réalisé en dix ans.
L'arrivée de la révolution iranienne boosta provisoirement les prix qui atteignirent 35 $ le baril, l'équivalent des 150$ de 2021 ce fut un deuxième choc pour les Occidentaux. Une compétition asymétrique opposa l'Angleterre de Margareth Thatcher à l'Arabie saoudite qui voulait augmenter sa part de marché, l'offre très excédentaire fit plonger le baril à moins de 10$/baril (1986) ruina les petits pays dépendants à 98% du pétrole. Ce fut le cas de l'Algérie. Pendant cette période, l'Algérie aurait perdu d'après L'expert Nicolas Sarkis près de 18 milliards de dollars. Arrivent les années 2000, on ne parle plus du renouvelable, car le prix du pétrole a grimpé à 140 $ en juillet. 2011 arrive. Un programme de développement des énergies renouvelables est annoncé. 22 000 MW à 2030 en dix ans à peine 360 MW.
Ce qui se passe dans le monde
Changements climatiques catastrophiques et récurrents, le monde était dans une configuration pour sortir rapidement des énergies fossiles à la dernière COP 26 de Glasgow, les grands pays se sont engagés pour tenter de maintenir la température à moins de 1,5°C d'ici 2030, de mettre en place des plans renouvelables ambitieux avec au moins 50% renouvelables en 2030 et la neutralité carbone en 2050 avec une sortie progressive des carburants fossiles avec la locomotion électrique d'ici 2035. La guerre imposée à la Russie en février 2022 a amené une turbulence et avec une spirale de prix à la hausse: gaz, pétrole mais aussi le blé et les matières premières. L'électricité passe la barre des 1 000 euros le MWh en Europe pour l'électricité qui sera livrée en 2023 d'après le journal Les Echos du 26 août 2022. Jusqu'où les prix vont-ils grimper? Cela revient au prix de 10 centimes d'euros le kWh soit 17 DA (dix fois le prix payé par le consommateur algérien qu'il soit aisé ou pauvre. Il est plus que jamais nécessaire de rationaliser la consommation par une politique de subventions ciblées.
Avec la guerre en Ukraine, l'Europe a montré sa vulnérabilité et sa dépendance au profit des Etats-Unis devenus incontournables en remplaçant les Russes en vendant du GNL plus cher que le gaz de Nord Stream. Malgré les sanctions en six mois, la Russie a augmenté ses ventes pour arriver à 150 milliards de dollars avec une flambée des prix de l'énergie. L'Europe cherche d'autres partenaires, notamment l'Algérie qu'elle ne considère que comme un pourvoyeur de matière première sans plus. Bref l'hiver attend l'Europe. Des stratégies d'économie d'énergie sont mises en place et nous devrions nous en inspirer. Ainsi on rappelle qu'un degré Celsius c'est 7% dans la facture d'électricité. En France, des chèques énergies de 100 à 200 euros seront versés pour 12 millions de foyers.
Les défis qui attendent l'Algérie
Où en sommes-nous 60 ans après l'indépendance et 51 ans après la nationalisation des hydrocarbures? Avons-nous procédé à une rupture rendue nécessaire par le mouvement du monde? Avons-nous tiré les conclusions des situations critiques où le prix du pétrole baissait dangereusement où par une amnésie nous n'avons pas joué la prudence et nous donnons l'impression que le prix du baril nous protégera et nous ralentissons le rythme de la transition. Le pétrole et le gaz nous ont accompagné pendant soixante ans. Il est hors de doute que l'environnement international ne nous permettrait pas de continuer ainsi malgré l'embellie passagère et trompeuse de l'envolée des prix de l'énergie.
La réalité est sans concession que l'Algérie est face à un nouveau défi énergétique: la nécessité de la transition vers le renouvelable car notre modèle énergétique actuel ne crée pas de richesses. Il est à 80% dédié à la satisfaction du train de vie, tertiaire avec 40%, le transport avec 40%. L'industrie et l'agriculture ne consomment que moins de 20% d'énergie. Nous sommes 45 millions d'habitants et 98% de notre énergie consommée provient du pétrole. À peine 2% de renouvelables. À ce rythme de consommation débridé, nous en avons pour moins de 20 ans. Nous aurions 2500 milliards de m3 en gaz et 12 milliards de barils de pétrole. À ce rythme de consommation, nous aurions pour vingt ans, même les découvertes de Sonatrach sont loin de compenser une consommation débridée. Notre rythme de consommation de 7%/an est intenable,! Nous aurons un sérieux problème de consommation ou d'exportation. Avant la fin de la décennie, il nous sera impossible de faire les deux. Plus grave du point de vue climatique. L'Algérie étant un hot spot et sera de plus en plus impactée, selon les études de l'organisme des Nations unies pour les changements climatiques. Elle connaîtra des incendies de plus en plus récurrents, des inondations imprévisibles et catastrophiques et surtout un stress hydrique dont nous commençons à voir les effets désastreux, de plus en plus. Nous serons de plus en plus impactés, notamment par le stress hydrique qui sera avec la chaleur l'un des combats à mener. Il faut mettre au crédit du Mteer, la coordination d'une étude sur l'impact des changements climatiques, avec 20 ministères, ce qui a listé les efforts faits pour en atténuer les effets et dans le même mouvement l'aide que l'Algérie est en droit de demander dans le cadre du fond vert pour aller plus loin, notamment dans le reboisement, voire la plantation d'arbres à croissance rapide avec l'ambition de planter 1 milliard d'arbres en dix ans.
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Posté Le : 09/10/2022
Posté par : rachids