Algérie

Largesse littéraire



Le monde de la littérature classique hispanique, toutes langues confondues, n'en finit pas d'émerveiller lecteurs et chercheurs, voire de les déboussoler parfois. L'arabisante Dolorès Oliver, professeur de littérature arabe, vient en effet de révéler, après des années de recherche que la fameuse épopée, « Le Cid », a bien été composée par Al Waqashi, auteur andalou du XIe siècle, jurisconsulte et poète à la fois, dans le palais de Rodrigo Diaz, plus connu sous le nom de Cid Campéador (1043-1099). Révélation pour le moins inattendue d'autant que cette épopée, durant des siècles, n'avait pas laissé planer l'ombre d'un doute sur son originalité. D'aucuns disaient qu'elle a été écrite en castillan, d'autres en latin.A l'appui de sa thèse qui ne manquera sûrement pas de susciter des remous dans le monde des lettres en général. En jetant un véritable pavé dans la marre, Dolorès Oliver avance à la fois des arguments anthropologiques, politiques, linguistiques et littéraires. C'est à la demande, affirme-t-elle, du nouveau maître de Valence qui venait de mettre la main sur cette citadelle musulmane, et dans le seul but de chanter la gloire de celui-ci, que cette épopée avait été composée, conformément aux traditions de l'époque. Contrairement à son compatriote, l'historien Ramon Menindez Bidal qui affirme de son côté que la date de la composition remonterait à l'an 1207, Dolorés Oliver déclare avec force arguments que cette 'uvre de haute valeur littéraire est née vraisemblablement vers 1095, du vivant du nouveau seigneur de Valence. Celui-ci venait de s'engager à respecter la religion musulmane et les traditions arabes dans la ville qu'il venait tout juste d'occuper.Pour Dolorès Oliver encore, seul un poète arabe, andalou de naissance et de formation, pouvait exceller dans la description des scènes de batailles telles que rapportées dans l'épopée et mettre en relief, tout naturellement, les valeurs de chevalerie et de romantisme. On y trouve, dit-elle, et c'est là l'essentiel qui cadre avec tout le thème de l'épopée, l'esprit de tolérance religieuse ayant prévalu durant la présence musulmane en Andalousie, les chrétiens n'étant pas décrits comme systématiquement bons et les musulmans systématiquement méchants. Ce climat de coexistence avait bel et bien existé du temps du Cid.Pour étayer encore sa thèse, la distinguée espagnole arabisante prend plus que jamais appui sur l'épopée elle-même, en démontrant que le Cid fit usage des mêmes techniques militaires largement employées par les Almoravides qui régentaient alors l'Andalousie.L'Espagne littéraire n'en était pas à son premier glissement continental. Cela faisait déjà plus de quatre siècles que Cervantès avait mis ses lecteurs en déroute. Ne s'était-il pas amusé à attribuer la paternité de son roman picaresque, Don Quichotte de la Manche, à un certain auteur andalou, du nom de Hamed Ben Engeli, personnage finalement fictif en dépit de toutes les spéculations des chercheurs, dont l'Algérien Mohamed Bencheneb aux yeux duquel Ben Engeli serait « le fils de l'Anglais » 'La littérature, et c'est là notre consolation, demeure d'une grande largesse, ses limites n'étant nulle part fixées.


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