Envoyé par le journal au Caire avant le match Algérie-Egypte, notre confrère Djamel Allilat nous a livré une image vivante de cette mégapole (El Watan, 8/11/09). Dans ses pérégrinations, il rapporte une anecdote plaisante : celle de ce chauffeur de taxi, passionné de raï, qui lui demande de traduire en arabe et de transcrire les paroles de la célèbre chanson Aïcha. Djamel ne dit pas si cela lui a valu une réduction mais il raconte plus loin qu'un ami d'Alger lui a demandé de lui rapporter un CD d'Oum Keltoum qu'il adore et dont il ne comprend pas plus les paroles. Qu'un Egyptien cherche à comprendre Aïcha n'a rien de bien étonnant puisque Khaled la chante en français, rappelons-le, sur un texte de J.J. Goldman, aussi chargé d'exotisme qu'un écrit de Maupassant débarquant à Alger au XIXe siècle. Mais il est certain que la même personne aurait pu demander la traduction de Bakhta, magnifique poème de Cheikh Khaldi, chanté également par Khaled, comme le fit effectivement un Syrien séjournant en Algérie. Souvenons-nous que nos mères et s'urs, dans les années 1960, avait dû ingurgiter des tonnes de feuilletons égyptiens avant de pouvoir découvrir les spécificités de l'arabe parlé du Nil. Pendant longtemps, elles ont cru que c'était de l'arabe littéraire, y compris la succulente expression « bardo makan » !Cette erreur était partagée même par certains lettrés. Dans les années 1980, la sublime actrice Nadia Lotfi était venue à Alger à l'invitation de la Cinémathèque. Un dîner en son honneur avait été offert à l'Alhambra, restaurant aujourd'hui disparu. Un journaliste lui posa une question dont elle ne comprit pas le sens. La question n'était pas irrationnelle mais elle avait été posée dans un arabe plus proche des poèmes antéislamiques que de l'arabe moderne. Le questionneur, croyant être en deçà, en rajouta, emberlificotant ses propos d'expressions qu'Imrou El Qays n'aurait pas déniées. Trouble de la star, gêne des convives. Je décidais de lui « traduire » et, n'étant pas familier d'El Moutanabbi, c'est donc dans notre bonne vieille dardja populaire que je le fis. A peine fini, je regrettais ma spontanéité. Mais, à notre grande surprise, le visage de Nadia Lotfi s'éclaira et elle commença à répondre.Ainsi donc, au delà des différences supposées ou réelles, il existe toujours un moyen de se comprendre. La langue, naturellement pratiquée, exprimant des idées directes, en est un. L'art en est un autre. Ce soir, dans la folie irrépressible de ce match, je m'efforcerai quand même de ne pas oublier que des cinéastes algériens présentent le même jour leurs films au Festival international du film du Caire, qui consacre un hommage à notre cinéma. Le football est à la fois un art et un langage. Au fond, si les Algériens le subliment, c'est simplement qu'ils voient à travers lui un signe de « retour de la joie », comme le clame la chanson en vogue des supporters de l'équipe nationale. Oui, après la langue de bois, nous avons tant besoin de celle de la joie.
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Posté Le : 14/11/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ameziane Ferhani
Source : www.elwatan.com