Algérie

La waâda de Sidi M’hamed Benaouda



La mémoire de la terre et des ancêtres Au mois de septembre de chaque année, les 25 familles de la grande tribu de Flita se rencontrent dans la «rahba» pour confectionner la grande khaïma où fleure bon la mémoire de la terre et des ancêtres. Et ça sent la terre… Le retour vers cette terre pour se régénérer perpétuellement comme un Phénix qui renaît de ses cendres. Ni la barbarie coloniale, ni le terrorisme aveugle, et encore moins le modernisme dédaigneux, n’ont pu séparer les fils de la grande khaïma. Les 25 familles retournent perpétuellement pour réaliser leur rêve et leur ouvrage. La communauté de Flita donne ainsi une dimension nouvelle au mythe de l’éternel retour. Magistralement, la pensée fondamentale de «l’éternel retour», apparaît dans la waâda de Sidi M’hamed Benaouda, peut-être plus distinctement, et plus directement, que dans aucuns des exemples donnés par les artistes et les philosophes. Focus sur cette waâda séculaire! Perché du haut de la falaise, le Saint patron des patrons de la région, Sidi M’hamed Benaouda regarde ses descendants en train d’entrelacer, toujours avec la même fougue, les fils de l’union. Chaque famille munie de son emblème distinctif, de banderoles et autres étendards multicolores confectionnés à l’occasion, se met à l’œuvre. Le Cheikh de la zaouïa, Hadj Mustapha Senouci garde jalousement le pieu central «R’kiza», comme l’ont fait ses aïeux avant lui, qui sera dressé au milieu des Flita pour soutenir la grande khaïma. Dans notre folklore, on dit que «flène ould khaïma K’bira» et il n’y a pas plus grande khaïma au monde que celle des Flita? Sous les rythmes de Karkabou, les fils de Flita ont sillonné, des jours auparavant, les différentes artères de la ville pour annoncer le grand rendez-vous. «C’est grâce à notre président, Abdelaziz Bouteflika -que Dieu le protège- que la zaouïa de Sidi M’hamed Benaouda a retrouvé son lustre d’antan et nous, les 25 familles de Flita, le remercions. Cette année, Inchallah, la waâda lui sera consacrée. Nous sommes corps et âmes avec… Abdelaziz Bouteflika», ont déclaré, à l’unanimité les chioukh de la zaouïa. Les préparatifs pour cette saison ont dores et déjà commencé. Cette waâda, qui porte le nom de cette grande figure de l’histoire et du folklore de l’Algérie, est fêtée à chaque mois de septembre et durant une semaine entière par toute la communauté des Flita. C’est l’une des plus célèbres waâdas de toute l’Oranie. D’autres bourgades célèbrent des waâdates mais à des dates différentes, comme «Taâm de Sidi-Benaissa» de la bourgade de Rahouia de la wilaya de Tiaret qui suit forcément la grande waâda de Sidi M’hamed Benaouda. Cependant, si cet événement, dont le nombril est la zaouïa de Sidi M’hamed Benaouda, suscite une affluence fabuleuse, il a aussi été caractérisé, jadis, par des préparatifs sultanesques, soumis à des rencontres mystiques, rituels d’exorcismes, processions, prières, oraisons… et ce, dans toute la région, apprend-on auprès des anciens. Pendant la décennie noire, les apostats de l’Algérie ont voulu anéantir ce rituel millénaire. Les festivités ne se faisaient pas trop sentir….   La procession vers le marabout Après la procession vers le marabout de Sidi M’hamed, on découvre la zaouïa et le mausolée. A l’entrée, des talebs psalmodient dans des rythmes saccadés les versets appris à coups de «falaqa». Des mendiants font la manche. Et des visiteurs extatiques se bousculent pour accéder à l’intérieur du mausolée orné de mille couleurs et de mille bougies. Le sarcophage édifié au milieu de la pièce centrale est le «Chebak». Celui ou celle qui entre en dessous des tissus de soie colorés et brodés de versets coraniques couvrant le sarcophage, aura la grande «baraka». Derrière, dans une autre pièce, un essaim de filles nubiles se disputent délicatement les pots de terre de Sidi M’hamed Benaouda. «Cette terre nous protègera des concupiscences. Il faut jeter cette terre sacrée aux quatre coins de la chambre pour faire fuir le mauvais œil et…le mauvais esprit (rires)», dira une belle demoiselle, avec un rire innocent de vestale. L’atmosphère est digne des grands temples. Une ripaille au couscous local garni de viande, de raisins secs «Z’bib», de miel et d’œufs durs est présentée aux invités, à toute heure. Chez les Flita, l’amphitryon est roi. Du haut de la falaise, sur la Rah’ba, les cavaliers de la fantasia continuent leur chevauchée héroïque. Les déflagrations du baroud sont automatiquement suivies par les youyous stridents des femmes. Les sons des «ghaytas», «gasbah» et «bendir» donnent à cette atmosphère acoustique une particularité dionysiaque où le profane devient inséparable du religieux. Dans les faits quotidiens, les femmes sont dans l’ensemble absentes des lieux de décision touchant la vie religieuse de leur communauté, peu présentes dans les centres de savoir religieux, tolérées dans les mosquées derrière un rideau… une porte, une grille. A la waâda, les femmes se mêlent aux hommes. Elles sont les propriétaires de la grande khaïma. Après salat el Ichaâ, les chants mystiques et les madih se font entendre aux quatre coins de la nuit. Les femmes entrent en transe sous les coups coriaces des tambours. Elles se purifient ainsi de leurs démons pour un autre éternel retour. Il faut savoir que dans le monde du mysticisme qu’elles sont et qu’elles resteront les plus nombreuses. Lorsqu’elles sont reconnues comme saintes, autrement dit lorsqu’elles ont atteint le même degré de perfection humaine que les hommes, elles sont investies des mêmes pouvoirs, bénéficient des mêmes honneurs, accèdent au même niveau de savoir initiatique. La figure de Rabia el-Adawiya est emblématique à cet égard. La plupart des hommes, apeurés par les états mystiques de la transe, du voyage des femmes dans l’âme de la mystique de la waâda, préfèrent regarder de loin. Au loin, les loups hurlent. Sociologie d’une waâda Généralement, les waâdas sont célébrées vers la fin de l’été. Après les moissons et avant les labours, car c’est la période propice pour préparer la nouvelle année. Depuis la plus haute antiquité, les hommes ont accordé une très grande importance à l’automne et aux travaux qui s’y rattachent. L’automne étant considéré comme une saison de renouveau, de fécondité et de résurrection, de nombreuses croyances lui sont associées. La waâda en est l’une d’elles. Sur le plan social, le lancement des labours constitue la prise de possession de la terre. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que la décision d’entamer les travaux a été prise par les assemblées du village, les djemââs, qui prenaient beaucoup de soin à éviter des labours hâtifs ou au contraire tardifs. C’est aussi le moment de résoudre les conflits entre les familles, les membres des Flita. Confectionner ensemble une grande khaïma en est l’image métaphorique. C’est l’opportunité également pour étaler toutes les productions de la tribu: poterie, tapisserie, confiserie, ferronnerie, produits de l’agriculture… afin de faire des affaires. Sur le volet politique, la waâda permet non seulement de raffermir les liens avec les branches des Flita mais aussi de dissuader les probables tribus émules. Lier également des pactes de paix avec les autres Aarch et tribus est convenu pendant la waâda. M. Benachour


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