Algérie

La voix de son maître



La voix de son maître
«La propagande est le contraire de l'artillerie: plus elle est lourde, moins elle porte.»
«Tu te souviens bien, même si tu as longtemps été absent du territoire national, du rôle qu'ont joué la télévision et la radio dans la mobilisation et l'endoctrinement des masses qui ont été coupées très tôt des réalités extérieures. Tout ce qui sortait de ces appareils installés dans les salons ou les réduits était parole d'Evangile.
Les gens croyaient à tout ce qu'on leur racontait. L'audiovisuel était de toutes les campagnes organisées alors. La campagne pour le reboisement avait mobilisé même les chanteurs qui avaient produit un savoureux tube «Djib el pala ouel fass».
Les gens avaient de l'imagination quand il fallait et les bonimenteurs professionnels savaient titiller la fibre sensible du peuple. Le peuple répond toujours présent quand il faut: il suffit simplement de le caresser là où il faut. Seulement, des esprits malicieux avaient sorti illico une contre-chanson pour ridiculiser le pouvoir qui avait osé interdire le service des boissons alcoolisées dans les bars populaires (les rares lieux huppés étaient exonérés de cette interdiction parce que les prix étaient hors de portée des petites bourses).
La fameuse chanson était «Djib el qarâa ouel kass», un refrain que reprenaient souvent les adeptes de Bacchus dans les arrière-salles des bars-restaurants ou dans les arrière-boutiques de certaines épiceries comme celles de la Mère Michèle à Châteauneuf. Cette vieille française était restée après l'Indépendance et avait joué un rôle positif dans la désaltération des assoiffés.
La bonne «Pils» familiale ne coûtait alors que soixante-quinze centimes. Tout le monde trouvait cette prohibition ridicule et anachronique, parce qu'elle ne visait que les petites gens. L'autre grande campagne fut celle du fameux Fonds national de solidarité. Il fallait voir les séquences de ces braves Algériennes se déparant de leurs parures pour les offrir à un gouvernement en panne de liquidités. Il faut savoir que les bijoux étaient alors la seule épargne de ces pauvres femmes dont l'avenir était toujours incertain. Nul ne peut rendre compte du sacrifice de ces citoyennes qui avaient dû déjà perdre, qui un mari, qui un fils ou un frère.
Enfin, c'est une leçon de patriotisme pour ceux qui considèrent la moitié de l'humanité comme des citoyennes de second degré.
La télévision a été utilisée pour mobiliser l'électorat lors des scrutins des présidentielles et de la Constitution. Le seul «couac» s'était produit lors des événements sanglants qui ont endeuillé la Kabylie. Le FFS avait demandé alors à la population de ne pas participer à cette farce électorale qui consacrait la dictature du parti unique et de l'équipe qui avait utilisé la force armée pour déloger le Gpra, seul représentant légitime du peuple algérien. J'en sais quelque chose puisque j'étais moi-même membre assesseur d'un bureau de vote. C'était le bureau de vote de l'école des filles du village: il était réservé aux femmes. Alors, il ne venait pas à l'esprit des gens de la commune (le maire était appelé alors le délégué spécial puisqu'il était nommé directement par l'administration) de faire voter hommes et femmes dans le même bureau alors que les deux sexes avaient participé ensemble aux nombreuses manifestations et meetings qui ont précédé l'Indépendance. Eh bien, dans ce bureau, il y eut sur mille huit cents inscrits, trois votes exprimés dont deux par correspondance. Le seul votant du village était un fonctionnaire employé à Alger qui redoutait peut-être de perdre son emploi s'il ne faisait pas accomplir aux siens leur devoir de citoyen. Trois voix! Et sur ces trois voix, il y eut deux votes contre et une abstention. Comment croire alors aux cris de victoire exprimés le lendemain par une presse unanime!»


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