Algérie

LA VIE... ET LE RESTE



Publié le 29.09.2022 dans le Quotidien d’Oran
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Livres

Les vies (multiples) d'Adam. Roman de Lamine Benallou. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 359 pages, 1 000 dinars


Adam (appréciez le prénom qui est déjà annonciateur d'un récit qui va nous entraîner loin, très loin dans le passé) mène une vie paisible, en banlieue tranquille d'une ville de l'Ouest algérien, se perdant vertigineusement et sans passion dans son monde. Avec une vie de couple sans problèmes – trente ans de vie commune - où la grande affection (de l'amour bonifié par le temps qui passe). Hélas, son épouse adorée et respectée, Amina, décède brusquement... Et, tout bascule et puisque tout perd son sens à ses yeux (d'autant qu'il découvre par hasard certains secrets cachés de la vie intime et «d'ailleurs» de sa «moitié»), il se laisse aller en se résolvant à se contenter de ce que lui offrent les mains paresseuses du destin.

Puis, il rencontre, de manière inopinée, Don Pablo, «Erroumi». Un homme à l'aspect impénétrable. Il paraissait très vieux, comme d'un autre âge, aux cheveux très longs. Pas un vagabond, pas un mendiant car ses vêtements étaient très propres. Chacun raconte une partie... une partie seulement de sa vie. La vie et la mort, le bien et le mal, le bonheur et le malheur, Dieu et le Diable, le passé, le présent, le futur, la lecture, l'écriture, la musique...

Commence alors (au domicile incroyable de Pablo) un long cheminement (quarante jours) d'une aventure existentielle avec des rencontres fantastiques et de magie qui le révèlent à lui-même et lui font découvrir le miracle de la littérature. Il découvre la force de son regard et sa capacité à reformuler le monde en fonction de son imagination et de ses propres goûts. Il est poussé à écrire par Pablo qui lui révèle au compte-gouttes ses secrets, les secrets de sa maison et les voies lumineuses ou obscures d'un «Labyrinthe». Il y réussit... à la grande joie de son mentor auquel il va succéder. La vie continue et le savoir (bien compris et pas seulement appris) cumulé... se transmet à condition que les hommes soient plus clairvoyants et plus compréhensifs.

L'Auteur : Né à Oran, vivant depuis une trentaine d'années en Espagne. Ecrivain et enseignant de linguistique et de littérature espagnoles. Auteur de plusieurs ouvrages.

Extraits : «J'étais convaincu maintenant que dans l'exercice d'écriture, si le cerveau commandait la main de l'écrivain, c'est le cœur qui le guidait» (p 142), «C'est le cerveau qui garde les enseignements, mais celui qui dicte les émotions, c'est le cœur» (p152), «Ecrire est une entreprise assez complexe. Il ne s'agit pas d'un simple agencement de mots, de verbes ou d'épithètes. C'est une architecture où tout doit se tenir. Un rythme. Une musicalité que l'auteur a l'art de structurer» (p 173), «Lorsqu'on décide de raconter des histoires , on le fait avec l'idée de provoquer des émotions, des sensations uniques, et la seule façon de la faire , ce n'est pas seulement d'avoir le génie d'un Gabriel Garcia Marquez ou de Henri Miller, mais aussi vivre ces situations qu'on raconte, sentir ce chatouillement des sens en notre intérieur» (p 224)

Avis : Un héros étrange, des personnages étranges et un récit à la présentation étrange mêlant la réalité, la fiction, le rêve. On ne sait pas. Avertissement aux esprits chastes : il y a quelques pages (p 54 à 58) très, très, très chaudes... à lire bien loin de sa «moitié» et des rejetons encore innocents. A mon avis, un «huitième jour», comme par hasard un Vendredi, raté avec des pages inutiles qui auraient pu être écrites d'une autre façon afin de ne pas nuire au reste d'un texte de haute tenue littéraire... et philosophique.

Citations : «Si l'on unit des lettres, on obtient des mots. Si l'on unit les mots, on crée une histoire» (p 9), «Si tu n'écrits pas, tu ne penses plus. Et si tu ne penses plus, tu es déjà mort» (p 20), «Parler, converser, exprimer, dire le non-dit... Le discours, les mots se justifiaient, non pas dans leur contenu, mais grâce à leur contenu «(p 37), «Le bon lecteur finit par lire pour lire et la lecture pour lui est un repos, une récréation paisible «(p 41), «Le passé est toujours beau. Le futur aussi d'ailleurs. Il n'y a que le présent qui fait mal, qu'on transporte avec soi comme un abcès en souffrance, entre deux moments de bonheur» (p 71), «L'imagination de l'être humain est immense pas seulement dans ce qu'il voit, mais aussi dans ce qu'il écoute, pense ou lit «(p 115), «Quand on pleure sa mère, c'est la dernière fois qu'on pleure comme un enfant» (p 164), «Lire c'est résister. Ecrire c'est résister» (p 262).


Le sanglot du chardonneret. Nouvelles de Farid Benyoucef. Casbah Editions, Alger 2015, 158 pages, 500 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)


Sept nouvelles toutes aussi belles les unes que les autres, avec des titres recherchés ne laissant rien deviner de ce que sera l'histoire (assez concentrée comme toute bonne nouvelle ) et surtout sa «chute», qualité indéniable, presque inattendue. Une fin qui surprend bien plus que l'histoire elle-même.

Sept nouvelles qui racontent plusieurs histoires, liées à l'enfance, à la beauté, à la mal-vie, à l'amour, à la jeunesse, à la famille, à l'Histoire telle qu'elle était enseignée, à la guerre (de libération nationale), au «jeu» médiatique parfois malsain, au pouvoir de l'argent et à l'arrogance des nouveaux riches, à la Palestine... Bref, la vie de tous les jours telle que vécue par un jeune homme... normal... des années 50... et après.

La plus émouvante est bien celle dont le titre orne la page de couverture. «Le sanglot du chardonneret» ou l'affection d'un petit oiseau (originaire de Kabylie) qui, apprivoisé par une famille palestinienne, l'aide par son gazouillis à surmonter les épreuves et les peines, et arrive à jouer le rôle de lien épistolaire (et bien plus) entre un mari, à partir de sa prison israélienne et l'épouse (à Ghaza).

La plus révoltante (il y a en une autre, la première, «Cold case»), c'est bien celle du gars pourri d'argent et de morgue qui, à «Tombeau ouvert» dans son 4x4, sur «l'autoroute bovinière», s'octroie le droit de vie et de mort (oui, de mort !) sur tous ceux qui ne lui ressemblent pas, presque sûr de l' impunité.

Les traits sont peut-être forcés, mais toutes les nouvelles reflètent bien une réalité : celle d'hier, celle d'aujourd'hui.

L'Auteur : Né en 1951 à Aïn Oulmène (Sétif), études universitaires à Alger... puis à Denver (Colorado), enseignant à l'Université d'Alger (Economie financière)... et consultant... et poète, peintre... et collaborateur occasionnel de la presse. Déjà auteur d'un recueil de poèmes et de trois romans («Les amants de Cordoue», «Le festin du Diable», «Il bleut toujours après»). La nouvelle qui a donné son titre à cet ouvrage a reçu le premier prix au concours littéraire de la ville d'Alger (2014).

Avis : Du très bon, du bon et du moyennement bon.

Citations : «Dans nos contrées, la rumeur était la pépite d'encens, capable, en un rien de temps, d'embaumer toute une région et de s'insinuer partout, sous les couvertures, entre les draps, installant le soupçon entre amants, le doute chez l'époux, la discorde entre frères, la zizanie dans les quartiers» (p 34), «Même lorsque les membres et le corps sont rompus à coups de pierre, les ailes de l'esprit sont toujours plus hautes que les plus hautes des murailles» (p 76), «Les traîtres sont comme les nains, ils naissent aussi petits» (p 94), «La crainte par la dissuasion, l'arme absolue, secrète et redoutable» (p 113), «Chez nous, les lunettes ne protègent pas du soleil, elles dissimulent les tourments de l'âme» (p 114).




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