Algérie

La TV, boite à fantasmes



«Il n'y a rien d'incompréhensible.» Lautréamont

Lorsque le ministre de la Communication affirme qu'il «n'est pas le ministre de la télévision», il faut bien entendu le croire et lui reconnaître sa franchise. Et aucun ministre dans le passé n'a été la «tutelle» des médias lourds et personne ne le sera dans le futur. Il faut dans tous les cas le souhaiter et l'espérer.

 Mais par d'étranges glissements et par la surcharge de l'idéologie dominante et les effets d'une pratique commune à de nombreux régimes africains et à la totalité de ceux des pays arabes, il faudrait toujours une «tutelle» aux médias lourds. Et de nombreux confrères malicieux, soit inexpérimentés, soit dans «l'air du temps», interrogent depuis des décennies le ministre de la Communication sur l'ouverture médiatique, la qualité des programmes de la seule chaîne, le contenu des J.T., etc. On revient toujours à l'exécutif et à la «tutelle» censée détenir toutes les réponses. En fait, l'ENTV demeure encore et pour longtemps «la vache des orphelins» et la boîte à fantasmes dans le pays le plus parabolé au monde.

Avec une naïveté partagée, largement répandue, à chaque changement de ministre, après des discours sur la TNT, suite à des propos sur le cahier des charges et les obligations de service public, les commentaires vont bon train et l'on guette quelques changements dans l'habillage, la réduction de la durée des J.T. qui battent tous les records du monde et l'irruption d'interventions de citoyens qui revendiquent tel ou tel service qui leur est dû, théoriquement. Toutes ces choses minuscules sont d'urgence assimilées à une révolution, là où l'expression de tous les pluralismes, écrits noir sur blanc dans le cahier des charges, est une pénurie durable parce que non souhaitée par le haut.

La comédie qui se joue sans cesse est que l'on fait croire «en période de transition», elle est aussi durable, que l'Algérie est sommée ou sollicitée par l'humanité pour faire faire à cette dernière un bond qualitatif, du niveau du big-bang, sinon du moins du niveau de l'invention de la roue ou du moteur à explosion.

 Le pays, ne l'oublions pas, dans une transition interminable, doit inventer la télévision, le cahier des charges, l'autorité de régulation et de contrôle, le conseil d'administration, le mandat à durée fixe pour le PDG d'un média lourd, les modalités de sa nomination, les sources transparentes de financement, les entreprises qui fabriquent les programmes, etc. Toutes ces choses, l'humanité les attend de la seule Algérie qui ne peut se précipiter pour éventuellement causer des dommages irréparables à tous les pays qui attendent avec patience et abnégation les inventions et la lumière que seul le pays le plus parabolé du monde peut donner en ce siècle. La chaîne unique est la boîte à fantasmes par excellence. Certains évoquent le manque d'argent et d'équipements. Or, l'Algérie a de l'argent. Mais des équipements pour faire quoi avec ? La presse algérienne en arabe et en français publie chaque jour les programmes de nombreuses chaînes satellitaires, alors que pas une publication n'est en mesure de donner, dans le détail, avec des fiches techniques basiques, celui de l'ENTV et des programmes qu'elle fabrique pour les autres «chaînes». Ces simples questionnements démontrent que l'absurde n'est pas dans l'équipement alors que le pays a tout l'argent qu'il faut.

Un simple magazine acheté à Alger donne les programmes de 100 chaînes reçues en France, dont plus de vingt sur la TNT encore en développement dans ce pays. Les 100 chaînes en question ne produisent pas tout ce qu'elles diffusent. Loin s'en faut. Hormis le J.T. et les émissions d'informations qui relèvent du respect des pluralismes imposé par le cahier des charges, la fiction, les jeux, les variétés, les documentaires, les longs métrages, les téléfilms, Å“uvres de toutes les nationalités, tout est produit par le privé, sinon sous-traité selon des contrats étudiés à la loupe par une armée d'avocats. Dans les démocraties, le talk show politique, le face-à-face pouvoir/opposition, les débats culturels, sportifs et sociaux sont généralement faits en direct. Tout d'abord, aucune tutelle ne peut censurer un direct et cela donne aux publics un spectacle qui nourrit la démocratie et le débat. Et ensuite, le direct est le produit le plus économique. Il ne mobilise ni argent ni trop d'équipements. Il suffit d'une table ronde, de chaises, le nombre de caméras qu'il faut, l'éclairage qui identifie avec l'habillage chaque émission et un réalisateur à la manette assisté par des techniciens.

La Corée du Nord, l'Egypte, l'Iran, l'Algérie, l'Arabie Saoudite ont les équipements et l'argent. Ont-ils pour autant des chaînes qui touchent, séduisent et fidélisent des publics différents par le sexe, l'âge, le niveau socioculturel, etc.? Là où ils peuvent, les téléspectateurs arabes cherchent ailleurs des offres conformes à leurs demandes.

 En Algérie, le fantasme des fantasmes, équitablement partagé par le pouvoir, l'opposition, les élites, les citoyens, c'est le J.T. Fixation obsessionnelle, le J.T. est considéré comme l'eldorado, l'instance légitimante, le lieu de la reconnaissance, de l'essence, de l'existence même. Celui qui n'y occupe pas le maximum de temps est le dernier des derniers. Des ministres intelligents, cultivés, connaisseurs du monde (il y en en Algérie) sont malheureux et éventuellement rabroués par leur épouse si le J.T. ne les montre pas ou très peu lorsqu'ils inaugurent une école dans un lieu dit ou lorsqu'ils coupent le ruban d'un truc sous le haut patronage de… Pathétique !

Les Algériens peuvent suivre tout ce qui se passe dans le monde en temps réel, chaque jour.

L'Internet, les chaînes d'information H24 poussent les chaînes généralistes du monde entier à revoir tout le temps leur J.T. qui n'est plus «la grande messe du 20 H». Il en est de même pour le journal ENTV qui, face à la concurrence de la parabole, en est resté au «globalement positif», à la hiérarchie protocolaire, à la langue de bois à la saoudienne. Ce combat est perdu depuis longtemps dans un pays qui déploie du temps et des énergies à cibler les livres à interdire et à faire la chasse à quelques milliers de chrétiens et à une dizaine de non-jeûneurs «officiels».

Les problèmes de l'ENTV ont été réglés depuis longtemps en Angleterre, en Suède, en France, en Espagne, aux USA., au Japon, etc. Mais l'Algérie est différente de ces pays, qui sont différents entre eux et réciproquement. Et pourtant, ils ont des cahiers des charges (comme l'ENTV), des équipements, des cadres, des journalistes, de l'argent (comme l'ENTV), une grille des programmes rendue publique, détaillée sur Internet et dans la presse, dans laquelle le J.T. est la production la plus minoritaire. Mais alors que manque-t-il à l'ENTV, ratatinée par la concurrence et l'habillage réalisé par des Anglo-Saxons pour Al Djazira ? La liberté de ton de Canal plus.








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