Quand on arrive à Carthage ou à Sousse, ces villes tunisiennes autrefois prisées par les touristes européens surtout, on ne peut éviter de se demander si, un an auparavant, une révolte populaire avait bien embrasé les rues et les ruelles de ce pays. C'est le constat fait au cours d'un voyage organisé par l'Office national du tourisme tunisien.
Sousse, Carthage, tout comme Mahdia, semblent avoir enterré «les mauvais souvenir» vécus après l'éclatement du soulèvement populaire depuis décembre 2010, et qui a fait plusieurs victimes. Depuis, la colère des Tunisiens a dû s'apaiser, leur accueil et leur hospitalité sont de nouveau au rendez-vous. Les touristes de différentes nationalités se baladent à travers les innombrables sites archéologiques.
Ces monuments qui datent des VIe et IVe siècles avant J.-C. ont été jalousement gardés, même pendant les pics de colère de la population. Il faut dire que la richesse du pays est ancrée dans ces pierres. Le peuple renaît et les institutions se renouvellent, tout se chamboule, et pourtant le patrimoine et l'histoire de la Tunisie restent toujours dans la même posture. Les guides sont de plus en plus enthousiasmés de donner l'historique de ces sites réhabilités aux visiteurs.
A la recherche du soleil notamment, les touristes dont de nombreux habitués des lieux et des villes sont revenus au pays qu'ils croyaient, à un moment, ne plus revoir. Dans ces villes touristiques, comme Mahdia et Carthage, la saison estivale est d'ores et déjà entamée. C'est justement ces nouveaux produits touristiques que tente de développer le gouvernement tunisien qui ne peut plus se contenter du tourisme balnéaire. Ce type de tourisme limité à six mois ne peut offrir une stabilité sociale.
Outre les stations balnéaires, un riche patrimoine exceptionnel est à explorer, dont la célèbre Carthage. Cette grande ville phénicienne semble toujours ouvrir ses bras à ses invités. Egalement stations balnéaires prisées, Monastir et Sousse présentent un patrimoine historique important remontant à l'époque d'Hannibal.
Mahdia, la ville authentique
La réalisation de nouveaux hôtels ne s'arrête pas en Tunisie. Des projets d'envergure sont en cours à Mahdia, où deux chantiers sont d'ores et déjà lancés, dont celui pris en charge par des opérateurs émiratis. Le gouvernement tunisien a, en effet, ouvert les portes aux investissements étrangers. La ville qui a une capacité de 1000 lits devra, dans quelques années, passer à 20 000 lits.
Cette ville côtière qui regorge de spécificités est très attractive. La plupart de ses habitants vivent de l'artisanat. Ces maisons d'artisans continuent à pérenniser la tenue traditionnelle de la région. Les touristes et les visiteurs profitent de leur visite pour acheter écharpes, foulards ou encore des articles de poterie traditionnelle réalisés dans ces ateliers, même s'ils sont tout de même proposés à des prix assez élevés. Toutefois, les touristes restent plus portés sur la maroquinerie locale.
Les boutiques et magasins proposant ce genre d'articles embellissent les ruelles étroites de la ville d'où se dégage l'odeur de cette matière noble. «Je collectionne au moins une dizaine de sacs en cuir. A chaque fois que je viens ici, je flashe sur un sac différent. Cette année, j'ai eu le coup de foudre pour les tongs. J'en ai acheté trois paires», témoigne Lydia, jeune touriste française rencontrée à Mahdia. «Même si les bonnes affaires se font à Tunis car il y a moyen de mieux marchander», poursuit-elle.
Tunis encore sous le choc
Tunis, malgré son calme, reste toujours sous le choc de la révolution. Les barbelés qui ont servi à bloquer les routes principales et à sécuriser les institutions de l'Etat et les ambassades sont toujours là, non loin des lieux cités, en prévision d'une éventuelle reprise de la violence.
Du côté de l'ambassade de France, un point de contrôle fixe est installé, comme pour témoigner des moments difficiles vécus lors de la «révolte» populaire. Tunis est par ailleurs une ville très encombrée, nécessitant des moyens importants pour assurer sa sécurité. A Bab Souika, les magasins qui présentent une panoplie d'objets souvenirs grouillent de monde.
Les commerçants moins accueillants qu'aux années précédentes ne font pas de cadeaux. Ils refusent les négociations par rapport aux prix affichés. «Le commerce est de moins en moins rentable depuis la révolution du jasmin», affirme Rachid, un vendeur de maroquinerie, qui avoue que les touristes se font de plus en plus rares, regrettant ainsi «les années fastes».
La révolution les a carrément ruinés, estime-t-il. «Mohamed Bouazizi a ruiné notre commerce et notre vie», s'exclame ce marchand. «Rien ne marche plus depuis son acte irréfléchi», déclare le même interlocuteur. Selon lui, la situation économique du pays s'est dégradée et a contribué à l'augmentation du taux de chômage et de la pauvreté dans le pays et, par ricochet, à la recrudescence de la violence.
Plusieurs hôtels fermés
Depuis la révolution du jasmin, le nombre des touristes a enregistré une baisse importante. Plusieurs établissements hôteliers ont depuis fermé, renvoyant des milliers de jeunes au chômage. Rien que pour le mois de février, 17 établissements hôteliers ont mis la clé sous le paillasson, selon une responsable d'un hôtel de la banlieue de Tunis. Cette conjoncture politique a certainement eu des retombées négatives sur le tourisme tunisien. Les Tunisiens affichent leur contestation à travers les manifestations et les marches.
Le taux de chômage a, en effet, atteint des degrés incroyables depuis le soulèvement populaire tunisien. Même si une amélioration a été constatée au début de l'année en cours, la situation reste critique. «Peu de touristes sont rentrés en Tunisie' Ceux qui viennent sont pris en charge, car en mission de travail, ce qui fait qu'ils ne sont pas comptabilisés en tant que touristes du fait qu'ils ne payent pas leur séjour», nous confie le responsable d'un hôtel de la banlieue tunisoise.
Fréquentes manifestations à Tunis
Outre les manifestations initiées par les chômeurs diplômés souvent réprimés par les forces de l'ordre, de fréquentes manifestations durant notre séjour ont ébranlé la capitale. L'avenue Bourguiba de Tunis a, à cet effet, été interdite depuis le 28 mars aux rassemblements après des incidents lors d'une manifestation de salafistes réclamant la chari'a, la loi islamique.
Il y a lieu de rappeler que des dizaines d'entre eux ont manifesté dans la capitale tunisienne, menaçant les 1500 juifs tunisiens (la plus grande communauté juive dans le monde arabe) de mort. Organisée par le Front tunisien des associations islamiques, ces manifestations ont suscité certaines craintes. Cette communauté juive est désormais ciblée. Depuis l'éclatement de la révolution, il y a eu l'apparition de cette pseudo-problématique de l'identité.
Des voix conservatrices se sont fait entendre, incitant parfois à la haine, voire à la tuerie des juifs. Les relations entre les deux communautés ont enregistré un revirement négatif, alors qu'ils ont toujours mené une vie paisible et sereine ensemble, malgré les différences religieuses. La communauté juive tunisienne est sur ses gardes, notamment après que les islamistes aient remporté les dernières élections. Preuve à l'appui, le pèlerinage juif annuel à la Ghriba, qui a eu lieu sous haute sécurité dans la plus ancienne synagogue d'Afrique sur l'île tunisienne de Djerba, dans le sud, n'a drainé aucun Israélien.
Conséquence de la mise en garde du Conseil israélien de sécurité nationale (CNS), qui avait déconseillé fortement aux ressortissants juifs de se rendre à Djerba. Cinq cents juifs, établis essentiellement en Europe, devaient participer durant deux jours au pèlerinage aux côtés d'un millier de Tunisiens de confession juive.
A Sidi Bouzid, le point de départ du soulèvement populaire, les salafistes ont encore une fois provoqué des échauffourées le week-end dernier.
Des dizaines de salafistes, qui défendent l'idée d'un islam rigoriste, ont en effet attaqué des bars et des boutiques. Les commerçants ont riposté en ouvrant le feu sur les assaillants. Le ministre de la Justice, Noureddine Bouheri, a promis de punir les auteurs de ce crime : «Ils ont franchi toutes les lignes rouges et seront punis avec sévérité», ajoutant que «l'ouverture dont ils ont bénéficié est terminée».
M. Habib Ammar, directeur général de l'Office national du tourisme tunisien, s'est voulu rassurant lors de ses sorties médiatiques, minimisant l'impact des manifestations enregistrées. Cette situation sécuritaire décourage les touristes, qui évitent les sorties nocturnes par peur d'agressions. Le processus de la transition pèse lourd. Selon toujours le même responsable, après un recul enregistré en 2011, la situation s'est redressée dans les quatre premiers mois de l'année en cours.
L'Office national du tourisme tunisien fait état de 32% de recettes par rapport à 2012. M. Ammar a précisé dans les colonnes d'un journal national que «la reprise est due au rétablissement de la stabilité politique et la sécurité», tout en précisant dans ce cadre, qu'«il n'y a aucun incident criminel», annonçant de très bonnes prévisions pour la saison estivale.
Une destination idéale pour les petites bourses
Toute cette agitation sur la scène politique et sociale a poussé le gouvernement tunisien à redoubler d'efforts pour relancer le tourisme, un secteur vital pour ce pays voisin, particulièrement après l'apparition de nouveaux concurrents comme la Turquie, qui a su profiter de la situation politique qui prévaut en Tunisie ou encore le Maroc, qui arrive aussi à capter de nombreux vacanciers.
En vue de préparer une meilleure saison estivale et «racheter» ces touristes habitués, des campagnes de communications ont été lancées en direction des pays arabes, notamment l'Algérie, et les pays des Emirats arabes, ainsi qu'en direction de nouveaux marchés comme la Russie, la Tchéquie et l'Europe de l'Est. Des voyages sont organisés au profit de la presse afin de faire la promotion du tourisme tunisien. 700 000 dinars tunisiens sont consacrés à ce projet. Des offres concurrentielles et intéressantes sont proposées, particulièrement en direction des Algériens qui sont les clients favoris des Tunisiens.
«Les Algériens dépensent beaucoup d'argent durant leur séjour», s'exclame un responsable de l'ONTT, ajoutant qu'ils arrivent souvent «sans réservation». En effet, des milliers de touristes, infatigables, continuent à visiter ce beau pays qui reste l'idéal pour les petits budgets. «Je viens en famille chaque année en Tunisie. Les prix sont de plus en plus abordables avec une qualité de service irréprochable», affirme Mehdi, un touriste algérien rencontré sur l'avenue Bourguiba, à Tunis. «Cette année, je suis venu un peu plus tôt pour profiter des remises dans les hôtels», a-t-il ajouté. Un constat de bon augure, notamment dans les villes côtières.
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Posté Le : 28/05/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : S A
Source : www.letempsdz.com