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La Tunisie a déjà oublié la dictature Malgré les tentatives de déstabilisation des salafistes



La Tunisie a déjà oublié la dictature                                    Malgré les tentatives de déstabilisation des salafistes
Photo : S. Zoheir
De notre envoyé spécial à Tunis
Ali Boukhlef

Une année après la révolution du Jasmins, la Tunisie continue de susciter aux commentaires des quatre coins du monde. Les uns s'interrogent sur les conséquences de cette révolte qui a changé le visage du monde arabe. D'autres s'attardent sur d'éventuels échecs d'un soulèvement qui n'aurait toujours pas atteint ses objectifs. D'autres ont carrément choisi de ne souligner que «les ratages» de cet évènement qui bouscule toutes les données géostratégiques de la région. Il est difficile pour un observateur extérieur de cerner, en quelques jours seulement, la situation d'un pays. Nous avons tenté, en revanche, de faire une tournée dans les rues de Tunis (qui n'a rien perdu de sa superbe) pour être au plus près des moindres soubresauts qui avaient pu marquer ce peuple qui s'est révolté contre la dictature. Ce n'est pas suffisant. C'est vrai. Mais cela est un indicateur de la situation d'un pays qui a, franchement, réussi à marquer de son empreinte l'histoire du monde moderne. Située dans la Rue d'Alger, perpendiculaire à la célèbre avenue Bourguiba, la librairie Clairefontaine est un rendez-vous incontournable des amoureux du livre. Tunisiens ou touristes de passage, ce haut lieu de culture est une escale pratiquement inévitable. «Vous avez de tout», s'empresse d'indiquer un des vendeurs. «Il y a des livres qui parlent de tout. Avant, les écrivains tunisiens publiaient leurs ouvrages en France ou ailleurs. Maintenant, tout est disponible ici», dit-il, un tantinet fier. Il a raison d'être fier. Puisque dans les étalages de cette librairie exiguë, s'entassent des livres qui parlent effectivement de tout. Surtout de politique. On trouve des livres qui parlent de la révolution (et comment !), mais aussi de la dictature, des pays voisins et, sacrilège dans ce pays en soif de liberté et de repères, de Habib Bourguiba. Même l'ancien président, aujourd'hui célébré comme un saint, a son lot de critiques. C'est cela la démocratie. La mythique porte de Bab El-Bahr (la porte de la mer) qui annonce l'entrée dans la médina de Tunis, annonce un air nouveau qui souffle sur le pays. Sur le parvis qui couvre l'esplanade, l'image de ces jeunes qui vendent de tout, n'importe où, est saisissante ! On se croirait à la Place des Martyrs d'Alger. Des jeans, de la lingerie féminine ou des articles de maison : tout est étalé à même le sol. «C'est la révolution !», s'exclame un passant en hochant la tête. Une manière de signifier que même les révolutions ont leurs travers. A l'intérieur de la vieille ville de Tunis, rien n'a vraiment changé. Révolution ou pas, les marchands de produits artisanaux continuent de faire leur métier. Un sacerdoce. Un serment. Pourtant, ici, comme ailleurs, on parle politique. On s'exprime. Même physiquement. Puisque, maintenant, certains osent laisser pousser leur barbe. D'autres, des femmes, mettent leur hidjab. C'est une ultra-minorité. Mais elle est là. Elle s'exhibe. C'est l'effet Ennahda ' Peut-être. Mais les choses ont bien changé. Et vite. «Mais d'où est-ce qu'on nous a ramené ces mentalités venues d'un autre âge '», s'exclame Mohamed Trabelsi, un commerçant d'habits traditionnels. «Je n'ai rien à voir avec la famille de Ben Ali», tient-il à se démarquer. Lui, il a plutôt voté en faveur du parti de Ghannouchi lors de l'élection de l'Assemblée constituante. Maintenant, il regrette son choix. «Finalement, tous les politiques se valent. Ils (les responsables d'Ennahda) nous ont eus avec leur discours religieux. Finalement, tout le monde est pareil», s'indigne ce jeune venu de Djerba, dans le sud.Perturbations salafistesJustement. Le groupuscule de salafistes qui sème la terreur dans tout le pays s'attaque à tout le monde. Y compris aux juifs (comme tous les islamistes dans le monde d'ailleurs). Or, en Tunisie, les juifs sont très
nombreux, notamment à Djerba. «Mais de quel droit on va s'attaquer à telle ou telle autre religion '», s'interroge notre commerçant.
Il y a eu finalement pire. Ces groupes d'extrémistes, que nous n'avons pas croisés lors de notre séjour le dernier jour du mois de mars en cours, se sont attaqués à tout. À commencer par les artistes. Une semaine avant notre arrivée, un groupe de comédiens avait été pris à partie par un groupe de salafistes. Ces derniers considèrent l'art comme un péché. Les artistes n'ont dû leur salut qu'à l'intervention des forces de l'ordre. Gêné, le Premier ministre issu de d'Ennahda, Hamadi Jabali, a déclaré au journal gouvernemental La presse, que les services de sécurité ont joué un rôle d'arbitres. Une fuite en avant, estime les laïcs tunisiens qui commencent à être agacés par la situation. Quelques jours avant cet incident, qui a continué à occuper les manchettes des journaux locaux des semaines durant, les salafistes ont franchi un autre pas. Ils avaient invité un prédicateur égyptien à un grand rassemblement. En plus d'appels incessants à la violence, le cheikh a demandé aux Tunisiens «d'exciser leurs filles». Un pas de trop. D'autant plus que, quelques jours avant cet appel, un imam (officiel !) a osé demander la liquidation physique de l'ancien Premier ministre, Béji Gaïd Essebsi, considéré comme un «impie». Tous ces événements ont fait sortir le général Ammar, le fameux chef des armées qui avait défié l'ancien dictateur, de son mutisme. «Je vais bientôt siffler la fin de la récréation», a-t-il déclaré dans un journal local. Cela est bien accueilli par les citoyens. D'autant plus que le gouvernement de transition que gère le parti islamiste Ennahda a tenu un discours plutôt mou face à cette démonstration de force intégriste. Le Général entend ainsi suppléer le manque d'autorité des civils, occupés plutôt à finaliser l'élaboration de la Constitution. Les partis composant l'Assemblée constituante n'arrivent toujours pas à se mettre d'accord sur la future Constitution du pays. Malgré la concession d'Ennahda sur le caractère théocratique de l'Etat -Ghannouchi a en effet renoncé à demander l'abrogation de l'article 1 de la Constitution de 1959- il n'en demeure pas moins que les débats se corsent à l'Assemblée nationale constituante.Ennahda en difficultéPourtant, les besoins de la population sont pressants. Cherté de la vie, logement et, surtout, chômage, restent les préoccupations majeures d'une jeunesse qui ne comprend pas les dessous des luttes partisanes. «Rien n'a changé pour nous. Au contraire, les prix ont flambé !», s'écrie une dame, la quarantaine, derrière le comptoir de sa boutique de vêtements féminins. Elle et sa copine prient pour que «les jours à venir soient meilleurs». Dans la célèbre avenue Bourguiba, il ne reste pas grand-chose de la Révolution. Seuls les barbelés placés devant le ministère de l'Intérieur, l'église Saint-Paul et l'ambassade de France, témoignent d'une période de troubles pas si lointaine. Certains graffitis subsistent encore sur quelques murs. Mais point de trace de Ben Ali. Tous leurs biens ont été confisqués. Les lieux, rues et monuments qui portaient un nom ou une date symbolisant le règne de celui que les Tunisiens désignent aujourd'hui par le seul sobriquet de «déchu», ont tous été changés. Les biens de la famille sont confisqués. À l'image de cette villa avec vue panoramique sur la baie de Sousse, construite pour le petit dernier du clan, alors qu'il n'avait même pas 5 ans. La grande mosquée du Carthage ne porte plus le nom «El-Abidine» et la place de 7 Février est désormais appelée place de la Révolution.Malgré ces changements et évènements récents, les Tunisiens ont su sauvegarder les fondamentaux. Pas de violence notable. Pas d'anarchie et, par-delà tout, le tourisme reste un secteur stratégique pour l'économie du pays. C'est même un réflexe.
Les débats de niveau que mènent les acteurs politiques au Parlement, la qualité de la presse locale qui a relevé le défi de la professionnalisation et la sécurité qui règne dans les quartiers populaires de Tunis et des autres grandes villes témoignent d'un passage en douce vers une vraie démocratie. La transition est sur le point d'aboutir. D'autant plus que, en quelques mois de règne, le parti islamiste Ennahda commence déjà à perdre de la crédibilité. Et du terrain.


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