Algérie

La Tour de Babel oued



La Tour de Babel oued
Le ( faux) (vrai) débat sur la langue parlée (Derdja) fait ressortir de vieux démons. Ces petits chitons qui émargent scrupuleusement au registre de la désinformation obéissent sans discuter aux parrains qui désorientent la vie politique, sociale et économique de l'Algérie. On peut se demander ce qui a poussé les décideurs de l'ombre à lancer un ballon d'essai qui devait immanquablement toucher une fibre identitaire réduite à sa plus simple expression. Arabe dit classique ??????? ?????? (fos/ha) contre arabe dialectal ( derdja) dont la connotation populaire lui confère un statut inférieur par rapport à la langue proclamée sacrée du Coran permettant d'une même pierre d'occulter le berbère. Ce coup d'éclat que l'on pourrait assimiler à un coup d'état contre le Peuple Souverain a un but précis : déstabiliser une société qui peine à trouver ses marqueurs identitaires en dénaturant une question sociale d'une importance capitale. La langue, l'écriture, est le vecteur le plus puissant que l'être humain a su conquérir et développer afin de diffuser des concepts jusque là abstraits. Sans avoir jamais été à l'école beaucoup ont appris d'autres langues et ont enrichi leurs connaissances par la confrontation pacifique d'idées. En lançant ce coup de sonde qui propulserait l'arabe dialectal au rang d'une langue de référence enseignée, les auteurs de ce projet tentent de porter un coup fatal à la superstructure de la société. Naturellement, la derdja est mieux comprise par nos concitoyens qui ne pratiquent pas tous l'arabe classique, le français, le berbère ou l'anglais. On pourrait donc se féliciter que le pouvoir s'inquiète (enfin) de la manière dont les citoyens peuvent et doivent communiquer et ce de la manière la plus efficace possible et «l'état civil» pourrait en percevoir les dividendes qui lui font défaut. Sommes-nous en train de rêver ' La levée de boucliers des arabophones est éloquente. L'arabe ( littéraire) , et lui seul, grognent-ils, doit être enseigné ! Point ! Et point de discussion ni arguties ou marchandage de souk. L'arabe , sacralisé, doit être le socle d'une société dont la berberité a su résister à toutes les violences. On le devine sans peine. Il s'agit d'un énième plan machiavélique dont le pouvoir a le secret et qui dépasse la «simple» question linguistique. Ce plan , soigneusement concocté dans des laboratoires sophistiqués tend à maintenir la chape d'un conservatisme religieux en déconnectant le citoyen algérien de son identité la plus intime pour lui faire endosser le qamiss et le niqab comme d'autres s'appliquaient à faire suer le burnous. Il y a 25 ans, je participais, au Clubdes- Pins, à un colloque sur la langue et un intervenant est monté sur ses grands chevaux en accusant la Chaîne III (francophone) d'être la radio la plus écoutée au détriment de la Chaîne nationale ( comme si les autres chaînes étaient des verrues à éradiquer !!!). J'ai fait remarquer alors qu'il ne s'agissait pas de langue mais de langage. La chaîne III «parlait» au citoyen algérien dans une langue qu'il comprenait, en traitant les sujets qui l'intéressaient et le concernaient et en lui offrant la possibilité de s'exprimer librement dans la langue qu'il maîtrisait. Faut-il rejeter la langue française parce que langue de l'ex colonisateur ' Faut-il, par une keffala, adopter l'arabe de Quoraïche sans même en comprendre le sens et anèner un alphabet en prononçant chaque lettre avec emphase mais sans conviction ' Faut-il attendre que nous «fabriquions» un vocabulaire pour nous définir alors que nous utilisons au quotidien une terminologie et des concepts nés en Occident ' Me faut-il ajouter que des journaux comme Algérie Actualité et son creuset El Moudjahid proposaient des articles et analyses qui portaient des signatures prestigieuses (pardon à ceux et celles que je ne peux citer ici et hommage à celles et ceux qui, au péril de leur vie, ont porté haut et fort les couleurs et les valeurs de l'Algérie). Durant la Lutte de libération mon père nous avait inscrit, en plus de l'école coloniale, à l'école coranique. J'y ai appris à lire et à écrire l'arabe et j'en suis heureux. Mais j'ai aussi appris le français, l'anglais et d'autres langues. Aujourd'hui, j'aime parler la langue algérienne comme le faisaient mon père et ma mère qui étaient trilingues et connaissaient les mots du cœur. C'est pourquoi j'aime écouter El Hadj El Anka,et Guerrouabi, Idir et Aït Menguellet et le chant puissant des Aurès et celui charmeur du Grand Sud bercent ma mémoire. Dans son essai courageux La culture du sang (2003) Amine Zaoui nous dit «avec les romans de Naguib Mahfouz, la langue arabe a quitté le ghetto du religieux. Elle est devenue une langue vivante, pas uniquement dans les livres, mais une langue de la vie». Les juifs ont su créer l'hébreu moderne en réservant l'hébreu ancien à l'usage exclusif du culte et l'Eglise depuis Vatican 2 n'utilise plus le latin pour les messes afin que le message soit compris (mais je m'égare !) Je porterai, quant à moi, aussi longtemps que je le pourrai, cette immense responsabilité dont j'ai hérité de mon éminent professeur de français-latin Dda Mouloud Mammeri qui adorait dialoguer en berbère. Le problème ne serait donc pas dans l'enseignement d'une langue, quelle qu'elle soit, mais dans ce que l'on veut en faire.A. F.[email protected] /* */




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