Algérie

La tête des orphelins de Zoubir Souissi, (Témoignages) - Casbah Éditions, Alger, 2006



La tête des orphelins de Zoubir Souissi, (Témoignages) - Casbah Éditions, Alger, 2006
Le difficile livre de la malédiction

Raconter, par des rappels de souvenirs les aventures de consciences de son pays, c’est comme traverser à nouveau un grand désert.

Avec La Tête des orphelins(*), Zoubir Souissi nous propose une longue réflexion, particulièrement élaborée, de journaliste à l’affût de l’événement vrai, vécu parfois en direct, à des moments différents et significativement historiques, de l’Algérie indépendante, entre les deux grandes dates mémorables: le 5 Juillet 1962 et le 5 Octobre 1988.

L’auteur est bien connu dans la profession, par son ancienneté (depuis 1966), par ses nombreux articles et ses positions quant au rôle du journalisme algérien. Après une longue carrière dans la presse écrite nationale (El Moudjahid, Révolution africaine, Algérie Presse Service) et, à la suite de la circulaire gouvernementale de 1990 ouvrant le champ médiatique à la presse privée, il participe à la fondation du quotidien indépendant Le Soir d’Algérie qu’il dirigera durant une dizaine d’années.

Après la lecture de son livre, on a bien l’impression que Zoubir Souissi ne s’est pas attaché à écrire forcément en tout point son «autobiographie»; il a plutôt essayé, on en comprendra peut-être la nuance, ainsi qu’il l’a déclaré ailleurs, de témoigner «de ce que j’ai vécu tout au long de ma carrière professionnelle.» Dans son Avant-propos, il précise «que cet ouvrage n’est ni un livre d’histoire, ni véritablement un essai politique. Il se veut un témoignage sur une tranche d’histoire de notre pays qui permettra peut-être aux jeunes générations de comprendre les carences et les dysfonctionnements à la base de la crise de confiance entre le peuple et ceux qui le gouvernent.»

On pourrait rétorquer: longtemps le journaliste algérien a été au coeur du système et ses variantes, -que n’a-t-il pas réagi? Justement, Zoubir Souissi s’expliquera sur le rôle difficile du journaliste «durant cette période et plus tard», rôle souvent ambigu, souvent décevant, parfois incertain, parfois périlleux, le journaliste toujours sur la corde raide, réussissant même à être plus fort qu’un funambule hors pair!

Zoubir Souissi entend rappeler «la réalité de l’Algérie», observée, analysée, comparée à d’autres pays, critiquée, en toute conscience professionnelle. Il fait le constat de l’Algérie indépendante promise au bonheur, mais «Après quatre décennies et demie, après une indépendance chèrement acquise, écrit-il, les Algériens ne veulent plus vivre dans le pays qu’ils aiment plus que tout.

[...]

La Révolution algérienne fut l’exemple parmi les exemples. Elle ne méritait pas un épilogue en queue de poisson. Elle aurait pu amorcer et réussir la démocratisation de ses institutions à l’instar des ex-pays de l’Est qui ont eu le bonheur d’accéder enfin aux libertés démocratiques après avoir enduré l’enfer du totalitarisme.» A qui la faute? Qui saurait le dire? Qui pourrait le dire? Le temps a fait son oeuvre; l’ambition douteuse aussi. «Pendant ce temps, écrit encore Zoubir Souissi, les preux moudjahidine qui avaient ´´libéré´´ l’Algérie étaient fêtés et adulés par des masses enthousiastes qui ne pouvaient pas soupçonner le moins du monde que la descente aux enfers allait commencer.»

La belle espérance aura été transformée en oeuvre inesthétique, massacrée, abîmée, selon l’auteur se fondant sur un proverbe algérien, par ceux qui apprennent la coiffure sur la tête des orphelins, désignant ainsi les pseudo-responsables à quelque poste qu’ils se trouvent dans la gestion des citoyens, d’où le titre de l’ouvrage: La Tête des orphelins.

L’ouvrage est dense, le raisonnement précis, le ton correct et plein de l’humour du juste; le tout reflète indéniablement le sentiment de l’Algérien, honnête professionnel, qui aime son pays. Il a l’intelligence de dire la vérité, fût-elle seulement sa vérité et donc non partagée -au reste, l’auteur n’en est pas dupe- sans blesser, mais sans être servile à quiconque. Récit amer? Récit pessimiste? Oui, si l’on s’attarde sur cette effrayante conclusion de l’auteur: «Assurément, il y a de quoi être jaloux des démocraties populaires qui sont devenues des havres de modernité et de liberté.

Quant à nous, il faut bien croire que le cauchemar continue. La démocratie, les droits de l’homme et la liberté, ce sera pour plus tard. Nos enfants pourront peut-être y parvenir, sinon on est bien forcé de croire que le pays est frappé de malédiction.» Non point! Car, ainsi que Zoubir Souissi l’a écrit lui-même dans sa préface: «Notre peuple a toujours cultivé les vertus (?) de la patience assimilée parfois au fatalisme. Pourra-t-il un jour prochain sortir du labyrinthe où on l’a engouffré? L’avenir le dira. Une chose est sûre: il a constamment répondu positivement aux appels de l’Histoire.»

Pour reprendre une déclaration de Souissi: «Maintenant, c’est au lecteur d’apprécier.»


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