Algérie

La terre et l'écran



La terre et l'écran
Pour rester dans l'actualité du Festival du film amazigh de Tizi Ouzou, dont la 15e édition s'est achevée avant-hier, signalons la parution en France d'un intéressant ouvrage consacré au cinéma amazigh en général.Il est l'œuvre de Frédérique Devaux-Yahi, cinéaste et chargée de cours à l'université d'Aix-en-Provence. L'ouvrage, De la naissance du cinéma kabyle au cinéma amazigh, s'inscrit dans une perspective historique et comporte cinq parties.Dès le départ, l'auteure informe le lecteur «du lieu d'où elle parle», c'est-à-dire sa position de cinéaste et d'universitaire et indique sa filiation franco-algérienne, en précisant que son père est originaire de Kabylie. Puis, elle aborde son corpus d'étude constitué de quatre films, trois longs et un court métrages, pour étayer sa démonstration. Il s'agit de La Colline oubliée (1997) de Abderrahmane Bouguermouh (tiré du roman éponyme de Mouloud Mammeri), La Montagne de Baya (1997) de Azzedine Meddour, La Maison Jaune (2007) de Amor Hakkar et La fin des Djinns (1990) de Chérif Aggoune. Rappelons que Meddour est décédé en 2000 et Bouguermouh en 2013.La question qui se pose d'emblée est la suivante : peut-on parler de la naissance d'un «cinéma» distinctif en se fondant sur l'analyse de quelques films au milieu d'une production encore rachitique ' Ne peut-on pas parler plutôt de «films» kabyles ou amazighs, en attendant mieux ' Des questions légitimes, surtout lorsqu'il s'agit d'un travail universitaire.Mais dépassons cet écueil du corpus pour essayer de mieux cerner la problématique à travers les différents chapitres de l'ouvrage. La première partie porte sur le contexte politique, économique et social dans lequel apparaissent ces trois films. Ainsi, pour l'auteure, leur genèse est liée à la revendication identitaire et son point nodal, la reconnaissance de la langue amazighe. Pour argumenter, elle déroule l'histoire des luttes qui ont commencé avec la crise berbériste en 1949 jusqu' au Printemps berbère de 1980 et la naissance du Mouvement culturel berbère.Une fois l'arrière-plan historique établi, le lecteur fait connaissance avec Abderrahmane Bouguermouh, auteur du premier film amazigh en Algérie. Son riche parcours est évoqué avec ses combats et sa persévérance pour faire aboutir ce projet utopique. Puis Frédérique Devaux-Yahi livre au lecteur toute une réflexion sur l'image dans la société algérienne où le point de vue religieux est important, sans oublier les représentations de l'Algérie dans l'art colonial, qui ont influencé certains peintres algériens.Dans la partie intitulée «Des films ancrés dans la tradition kabyle», elle s'efforce de montrer que, contrairement à l'iconographie coloniale et son regard folklorique sur la société, les films amazighs «donnent à voir, selon différents registres, la difficulté des villageois à s'adapter aux tourments et aux tournants de l'histoire». Les personnages de ces films, ajoute-telle, «ont du mal à conjuguer leur dette envers les ancêtres (la tradition) dont chacun est appelé à poursuivre l'œuvre, et la conscience plus au moins de leur destin et de ce qu'ils voudraient voir advenir pour améliorer leurs conditions de vie».L'auteure égrène ensuite les thématiques dominantes des films amazighs, où une part importante est donnée aux croyances religieuses et au culte des marabouts comme dans le court métrage de Aggoune, La fin des Djinns. Azzedine Meddour évoque lui-même ces croyances dans le magazine Télérama en ces termes : «Les rites que je montre existent dans toute la culture méditerranéenne.Quant aux croyances, elles existent avant l'islam et elles sont toujours là : on va à la mosquée, mais on continue de croire aux génies.» Les films amazighs s'appuient par ailleurs sur les contes, source inépuisable de transmission des mythes et des rites. Le réalisateur Belkacem Hadjadj n'a-t-il pas intitulé son film Machahu, comme s'il était une retranscription de conte par l'image.La dernière partie est consacrée à l'analyse technique des films choisis. L'auteure essaye de défendre les quatre films contre la critique française et surtout les reproches concernant la mise en scène et le montage.Elle invoque, pour leur défense, l'insuffisance des moyens et le travail dans des conditions impossibles de réalisation. Après ces précisions qui échappent parfois à l'observateur étranger, elle nous explique les vertus de la technique du champ/contre-champ et sa possible interprétation dans le cas du film amazigh comme favorisant l'échange, car elle «restitue fidèlement la place assignée à chacun, et nous fait éprouver la progression des rapports entre personnages».Autre remarque : la fidélité à l'époque qui caractérise les films. Les réalisateurs ont su restituer par les images des univers qui ont complètement disparu, même dans les villages les plus reculés. Il faut rappeler que Bouguermouh avait reconstruit tout un village des années quarante pour les besoins de La Colline oubliée. Enfin le lecteur est amené à découvrir le cinéma amazigh du Maroc.Le travail de Frédérique Devaux est à saluer en tant que l'un des premiers jalons de la grande histoire du cinéma amazigh, qui continue de s'écrire à travers les différentes productions visibles dans les festivals du film amazigh en Algérie ou au Maroc.Frédérique Devaux-Yahi, De la naissance du cinéma kabyle au cinéma amazigh. L'Harmattan, Paris. 2016.


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