Algérie

La tentation de Mars[1]



Un monde de propriétaires et de sans-travail est explosif. Je me propose dans ce texte au travers des rapports entre appropriation, travail et propriété de rendre compte de l'évolution de l'Etat social en général et dans les sociétés postcoloniales en particulier.

L'État social emprunte son modèle à la social-démocratie. Au centre de ce modèle est un rapport de complémentarité entre la propriété et le travail. C'est ce rapport qui est aujourd'hui menacé avec le ralentissement de la croissance et l'accroissement des charges sociales (vieillesse et jeunesse des populations). La politique social-démocrate est le produit de la guerre froide, elle s'est construite en opposition au communisme en comptant sur deux complémentarités : celle de la croissance de la production marchande et de la croissance de la production non marchande publique (« consentement à l'impôt ») et celle de la propriété et du travail (« dialogue social »). Elle opposa l'efficacité de la production non marchande publique sous le régime de la propriété privée à celle de la production non marchande sous régime de la propriété publique des moyens de production. La croissance de la production marchande permit la substitution de la production non marchande publique à une partie de la production marchande privée (démarchandisation) en même temps qu'à la production non marchande privée.

Ces substitutions ne réduisirent pas le dynamisme de la production marchande, tout au contraire. Un cercle vertueux s'établit entre production marchande privée et production marchande publique.

Avec la fin de la guerre froide, la crise énergétique ne permet plus la croissance de la production marchande et sa substitution par la production non marchande publique. Avec le triomphe du libéralisme sur le communisme, l'essoufflement de la croissance économique, la globalisation de l'économie et la polarisation du marché mondial du travail, le vieillissement des populations, la social-démocratie ne peut plus s'appuyer sur une efficacité de son économie et de son action publique, le rapport entre la propriété et le travail se distend. Les sociétés émergentes, postcoloniales et autres, s'efforcent de s'approprier les moyens de la puissance en imitant les modèles des sociétés avancées. Certaines réussissent à développer leur industrie en s'appropriant le savoir-faire des sociétés avancées, d'autres détruisent leur savoir-faire et leur savoir-être (ensauvagement). Les sociétés et le monde se polarisent, le déclassement économique des puissances militaires incitent ces dernières à faire usage de leur puissance contre les puissances économiques montantes. La paix dans le monde nécessite une nouvelle complémentarité des économies marchande et non marchande, le retour d'une certaine unité de la propriété et du travail. Mon fils me demandait si une attaque d'Israël sur l'Iran ne ferait pas le bonheur de l'Algérie avec un prix du pétrole autour de 140 dollars. Le malheur des uns ferait le bonheur des autres. Voilà une raison pour laquelle l'Occident qui en souffrirait à des degrés divers, pourrait vouloir se désolidariser d'Israël à moins qu'il ne trouve là une occasion de moins dépendre du pétrole, de décarboner son économie. Dépendre d'Israël ou des pays producteurs de pétrole, que choisir ? Le choix parait difficile pour les consommateurs occidentaux, plus facile, mais moins avouable pour les puissances occidentales. Il permettrait aux super-riches des sociétés occidentales d'obtenir de leurs populations ce qu'ils ne peuvent leur demander : ils les forceraient à une sobriété subie. Ils continueraient d'utiliser l'avion, la voiture électrique, mais les autres devraient renoncer à leur voiture thermique. Il est vraisemblable que le choix soit celui de dépendre d'Israël et ne pas dépendre des producteurs de pétrole. Un chemin de crête où il s'agirait de refuser la guerre qui fasse trop monter le prix du pétrole, et d'interrompre la guerre qui ferait reculer l'Occident dans le monde. Un état de ni guerre ni paix qui perturberait suffisamment la croissance des pays émergents et permettrait une décarbonation progressive de l'économie des pays avancés avec un prix du pétrole suffisamment, mais pas trop élevé. Il ne faut donc pas se réjouir du malheur des autres, le bonheur des Algériens pourrait se transformer en cauchemar. Après une hausse des prix suivrait une chute plus difficile à amortir.

Oui, la guerre peut-être une bonne occasion pour les élites occidentales pour imposer à leurs populations la sobriété dont elles se protègeraient elles-mêmes en même temps qu'elle leur permettrait de sortir d'une dépendance extérieure non amie. Elle pourrait faire espérer à une partie de leur population de gagner en fierté sur un tableau, la puissance militaire, ce qu'elle perd sur le plan du pouvoir d'achat. Mais si l'on sait comment commence une guerre, il est rare que l'on sache comment elle peut finir, et cela dans un contexte où l'imprévisibilité domine. L'espoir fait vivre dit-on, mais on dit aussi que le diable se cache dans les détails.

Les nouveaux esclaves Appropriation, travail et propriété

Généalogie de la propriété. John Locke mêle dans une seule origine, l'état de nature, une théorie de l'appropriation et une théorie de la propriété [2].

C'est en s'appropriant les choses communes que l'individu se fait propriétaire. Dans la théorie de l'appropriation, propriété et travail se trouvent confondus : c'est en s'appropriant par le travail les choses communes que l'on devient propriétaire en droit. La chose dont je prends soin m'appartient.

Le travail sépare ainsi la propriété de l'état de nature, la propriété privée de la propriété commune. On s'approprie par le travail et par le travail on devient propriétaire. On ne s'approprie plus par la force, nous ne sommes pas parmi les seigneurs féodaux, mais parmi des travailleurs des villes (bourgeois), mais en colonies confondues avec l'état de nature. Les « bourgeois » s'approprient et deviennent propriétaires par le travail (ou la force de travail : K. Marx). Séparés du travail de la terre, ils ne possèdent à l'origine que leur force de travail.

Mais où commence et finit l'état de nature ? Il commence avec l'appropriation individuelle et se termine avec la propriété privée. Il ne commence pas avec l'appropriation collective d'un territoire. Les droits des tribus ne sont pas reconnus par les colonialismes anglais, français et américain. Il n'y a pas de propriété commune au départ de la propriété privée, pas de propriété arch au départ de la propriété melk. Pas d'appropriation collective qui précède l'appropriation individuelle ? Pas d'appropriation féodale, pas d'appropriation tribale, pas d'appropriation coloniale ? Pas de « tribus » coloniales qui exproprient des tribus autochtones ? Pas de « tribus » coloniales régies par la propriété privée exclusive et qui dépossèdent les tribus colonisées de leur régime de propriété ? Une hégémonie de la propriété privée exclusive est acquise, il n'est pas permis à la tribu de disputer juridiquement la terre au colon, tous les sujets coloniaux sont des « bourgeois » au service du Prince, chacun est propriétaire de son travail et du produit de son travail comme il est propriétaire de lui-même, ou des paysans sans terre qui sont comme des travailleurs sans travail. Le produit du travail est un prolongement du corps individuel. La théorie de la propriété se différencie de la théorie de l'appropriation, la propriété se distingue davantage de l'appropriation avec l'amélioration de la chose commune appropriée individuellement. À partir du moment où l'individu s'attache à une ressource commune qu'il s'est appropriée et dont il prend soin, la propriété privée de la ressource se trouve justifiée et objectivée.

Le travail mêlé à la ressource enlève à la ressource la propriété d'être commune. La ressource n'appartient plus à la nature, elle appartient au travailleur de la société humaine qui lui-même n'appartient pas à la nature et à la société. Elle prolonge désormais son corps. Le continuum de la production est rompu de part en part de l'individu. Elle lui appartient exclusivement comme lui appartient le corps qui lui a pourtant été donné et dont il prend soin. L'individu se confond avec sa personne physique, cette évidence chassant cette autre, que ce corps ne lui appartient pas, bien que n'appartenant plus à un seigneur : il lui a été donné par la nature, une famille. Il n'empêche, bien que ne s'appartenant pas biologiquement et socialement, ses parents et la nature ne sont plus copropriétaire avec lui de son corps et du produit de son travail.

La nature n'est plus un don (du Ciel, de la nature et des parents), mais une « chose », une chose à qui l'on ne doit rien, à qui l'on ne peut être reconnaissant, au contraire de son corps qui est une chose, puisqu'il lui « appartient », à qui l'on doit reconnaître le produit de son travail. Le corps du « bourgeois » à la différence du serf n'appartient plus au seigneur, il n'est pas une chose dont dispose un seigneur, mais une force de travail qui porte son produit sur un marché qui appartient à une collectivité souveraine.

Ce n'est plus la force de travail qui appartient au Prince (elle appartient au bourgeois), mais le produit du bourgeois (travailleur séparé de la terre), sur lequel le souverain « a droit de vie et de mort ». Le droit de vie et de mort porte désormais sur le travail, le produit du travail. Sans travail qui produit, on est mort. C'est maintenant la bourgeoisie qui enrichit l'État, plutôt que les propriétaires terriens : à la domination directe du seigneur sur le serf s'est substituée une domination indirecte par le marché du Prince sur le bourgeois. Le Prince et le bourgeois au service du marché, la Liberté peut servir le Prince, le libéralisme est né et avec lui l'aversion à l'impôt.

L'appropriation s'étant faite productive, le travail s'étant objectivé dans une forme et une matière, une production peut s'accumuler. Avec la production marchande et la propriété « bourgeoise », apparait la différence entre les travailleurs qui ont accumulé et deviennent propriétaires et les travailleurs qui continuent de ne disposer que de leur travail. Tous propriétaires, non plus de ressources communes, mais de ressources (communes) appropriées et transformées par des individus. Le travail de la nature n'a plus d'importance, l'origine commune de la propriété ne compte plus, la nature n'a pas de compte, pour la compétition il n'existe pas. Propriété et travail se sont différenciés, le travail de la nature ne possède plus la chose, il s'est retiré sans exiger de dû.

On dira la nature généreuse ou ingrate, jusqu'à ce qu'elle sorte de sa passivité et réclame des comptes aux humains. Le travail humain se réclame seul propriétaire direct de la chose.

Le travail et la propriété. La (lutte pour la) vie différencie la propriété et le travail. Le travail engendre la propriété et la propriété transforme le travail. Il n'y a que du travail et de l'appropriation du travail. La propriété collective (tribale ou seigneuriale) s'est faite sociale, la propriété privée s'est fait propriété privée exclusive et générale. Le travail humain se défait et se refait en savoir-faire et énergie. Ou autrement dit, tout geste peut se réduire en geste technique et énergie. Le savoir-faire se détache du geste (devenu technique) et s'objective en machines en même temps que la machine s'attache une énergie extérieure au corps humain pour s'animer.

Le travail s'accumule en savoir-faire en se différenciant en savoir-faire subjectif, attaché au corps humain (« capital humain »), et objectif, détaché du corps humain (machine). La mémoire qui recueille le savoir est interne et externe au corps humain, elle est subjective et objective. Il y a ainsi objectivation d'une partie du savoir-faire et externalisation d'une partie de la mémoire humaine. L'homme s'équipe comme d'un exosquelette que constitue l'ensemble des machines qui l'assiste dans l'accomplissement de ses tâches. Exosquelette composé d'une multitude d'esclaves mécaniques, serviteurs non-humains, obéissant au doigt et à l'Å“il à son porteur. Exosquelette qui serait réduit à néant sans la contribution d'énergies non humaines.

Porteur qui devrait se contenter de serviteurs humains et de services réduits si elles venaient à ne plus être employées. Serviteurs entre esclaves et salariés. Rappelons que la guerre et la dette fabriquent les esclaves. Le marché tribal n'était animé que par une énergie renouvelable, principalement humaine et animale.

(source : Jean Marc Jancovici)

La théorie de la propriété et l'esclavage. La propriété différencie les individus selon le nombre de travailleurs (humains et non humains, vivants et non vivants) qu'ils possèdent ou dont ils peuvent louer le service. Les salariés possèdent des travailleurs non humains (esclaves domestiques mécaniques que sont les biens durables) et des serviteurs humains attachés ou non à leur personne. Ils possèdent des travailleurs non humains et achètent les services de travailleurs humains et non humains.

La société limite les usages de la propriété en distribuant des droits. Sur le marché du travail, la société salariale sépare le travail de la personne. Sur le marché du travail non esclavagiste. Le marché du travail peut être unifié, obéir aux mêmes règles, ou segmenté, obéir à des règles différentes. Il s'ensuit une séparation régulière ou irrégulière.           

La violence domestique et le travailleur qui ne peut se défendre de la violence de son employeur ne sont pas sans rapport avec l'esclave qui ne dispose pas de son corps. La personne et son travail ne sont pas nettement séparés. Il faut alors comme soumettre le corps pour soumettre ou soumissionner le travail. On dispose de la personne autant que de son travail. Dans l'économie marchande, les propriétaires possèdent des esclaves mécaniques qui produisent des marchandises à l'aide du travail humain qu'ils louent. Plus exactement des esclaves mécaniques qui leur permettent de posséder le produit de travailleurs humains. Sans la propriété d'esclaves mécaniques, le marché n'autorise pas l'appropriation du travail d'autrui, les conditions marchandes dictant les conditions de production. Il faut vendre pour produire. Il y a donc des travailleurs propriétaires d'autres travailleurs qu'eux-mêmes ou du travail d'autres travailleurs qu'eux-mêmes d'un côté et les travailleurs sans-propriétés avec ou sans travail d'un autre.

Un travailleur sans propriété parce que sans travail ne peut plus être propriétaire de lui-même. L'institution de l'esclavage n'est plus nécessaire à l'esclavage. L'esclave n'est pas propriétaire de lui-même, sa vie est entre les mains des propriétaires qui ne consentent pas à partager avec lui le travail et la propriété. Le salarié possède un salaire qui lui donne le pouvoir d'acheter les services d'autres travailleurs humains et non humains, mais il ne possède pas de travailleurs non humains autres que domestiques à la différence du propriétaire.

Le salarié est un travailleur consommateur qui peut se transformer en « esclave pour dettes » s'il lui arrivait d'être sans travail. Les frontières entre travailleurs humains et non humains, la chose et la personne peuvent être poreuses.

Avec la fin de l'esclavage, le propriétaire est propriétaire de travailleurs non humains, vivants et non vivants, mais pas des travailleurs humains qu'il se soumet. De ces derniers, il possède leur travail, mais pas leur personne. Le salarié, travailleur consommateur, n'a pas la propriété du travail du travailleur qui lui vend son service, mais celle du produit ou du service de son travail.

Il loue pour une période déterminée le service de travailleurs ou du travail qui sont la propriété d'autres travailleurs. On est propriétaire de la machine, du travail du travailleur et du produit ou service du travail du travailleur. On est esclavagiste, employeur d'une personne ou d'un service. Mais entre les trois, il n'y a pas discontinuité radicale.

Les salariés ne sont pas égaux, ils disposent de pouvoirs d'acheter différents. Certains peuvent acheter les services de nombreux travailleurs, ils vivent du travail ou du service de nombreux travailleurs qu'ils ne possèdent pas.

D'autres au contraire, proches de l'état d'esclave, peuvent à peine disposer des services des esclaves mécaniques nécessaires à leur subsistance. Travailleurs domestiques pour la plupart, ils travaillent pour subsister, ils ne peuvent subsister sans travailler.

Voilà pourquoi la société salariale ambitionne de venir à bout du travail domestique : mettre un terme à la confusion entre relation personnelle et relation impersonnelle, substituer la relation impersonnelle à la relation personnelle qui serait du coup expurgée de la violence. Il n'y aurait plus de rapports corps à corps, mais rapport de service à service. Soit règne du contrat entre « personnes libres », monopole et exercice légitime de la violence. Cette ambition salariale justifie la distinction entre travail domestique et travail salarié en vue d'une subsomption de la relation domestique sous la relation salariée et la propension des hommes à ne pas partager les tâches du travail domestique. Le travail domestique serait condamné à disparaître avec l'extension du travail salarié. Plus besoin d'épouse, d'enfants, de famille, juste des services du travail d'autrui. Sauf qu'à la disparition présumée de la relation domestique, c'est le nombre des travailleurs sans travail qui s'accroit. Avec le salariat, le continuum se déploie entre deux extrêmes celle du travailleur propriétaire (entrepreneur sans usine) à celle du travailleur sans travail, en passant par le travailleur consommateur.

Les humains ne sont pas égaux, ils ne disposent pas des mêmes droits sur eux-mêmes, sur les autres et la production. Certains disposent d'eux-mêmes, de leur travail, les uns du produit de leur travail (travailleurs propriétaires), les autres d'un simple pouvoir d'achat sur la production (travailleurs non propriétaires); d'autres ne travaillent pas et ne peuvent pas disposer d'eux-mêmes. En justifiant l'appropriation puis la propriété par le travail, on rétablit l'esclavage en privant de travail.

Des humains sont privés de travail et ne peuvent pas disposer d'eux-mêmes parce qu'ils ne peuvent pas s'approprier le travail des autres, des humains disposent d'eux-mêmes parce que par leur travail ils peuvent exister en s'appropriant le travail ou le service du travail des autres. On assiste alors à une polarisation de l'humanité, un pôle réglé par le contrat, un autre par le corps à corps. Voilà pourquoi la non-reconnaissance du droit au travail comme droit universel mine l'humanité, une partie en sera dotée, une autre en sera privée.

Le travailleur propriétaire. Il nous faut distinguer donc trois catégories d'individus. Le travailleur propriétaire est la figure centrale, nodale, du processus de différenciation sociale. Il possède le produit de son travail. Le processus de différenciation sociale différencie le travailleur propriétaire en propriétaire non travailleur à une extrémité et en travailleur non-propriétaire à une autre extrémité : seulement propriétaire ici et seulement travailleur là. Le travailleur propriétaire peut posséder des esclaves mécaniques et du travail salarié. Ils disposent sur les premiers d'une subordination totale et sur les seconds d'une subordination limitée. Par ces premiers, ils disposent des seconds. Il peut posséder tout le travail des travailleurs dont il utilise et revend les services ou s'en approprier, en louer, une partie seulement. Tout dépend de la quantité de travail que chacun a à son service et du rapport de subordination qu'il a sur cette quantité. À un extrême l'esclave qui ne possède rien, pas même lui-même, à l'autre celui qui possède des esclaves et le travail des travailleurs dont il utilise et vend les services et qui se dispense de travailler lui-même. Le travailleur propriétaire peut-être esclavagiste complètement ou partiellement. Il refuse de se considérer en esclavagiste du fait que les non-humains sont des choses, comme l'esclavagiste qui refusait de reconnaître les esclaves humains autrement que comme des choses.

De même, il croit que les vivants non-humains sont ses choses, sont ses esclaves parce qu'il peut les chosifier, les domestiquer et les détacher de ce qui les produit, sans s'apercevoir qu'elles continuent à faire leur affaire, à appartenir à d'autres que lui-même.

Les propriétaires non travailleurs, n'ont plus besoin de travailler, un travail passé, une appropriation passée dont la transmission a été permise, travaille pour eux. Le maître transmet à l'apprenti qui travaille pour lui. Le maître fait faire son travail à des apprentis en le parcellisant pour protéger et développer son savoir-faire.           

Il n'a plus besoin de travailler lui-même. Cette formule simple va prendre une grande extension.

Une force s'approprie, force de travail ou guerrière, un objet ou une force de travail. La propriété est appropriation d'un objet, d'une force par une force par la conquête ou le travail ; la propriété est rapport de forces, pouvoir d'appropriation, stable ou instable. Elle est stabilisée par et dans des rapports de forces d'appropriation. Dans le processus de production, travail vivant et travail mort se convertissent l'un dans l'autre. Dans la distribution de la production, revenus du travail vivant et du travail mort sont stabilisés dans des rapports de propriété.

Chez le propriétaire non travailleur de la société moderne, travail passé et travail présent sont séparés. Lorsqu'au départ du processus de production, un travail passé « travaille » pour des non-travailleurs (autrement dit lorsque la propriété « travaille » pour des non-travailleurs), à la sortie du processus de production, il doit se séparer à nouveau du travail vivant, redevenir du travail mort, pour se reproduire de manière simple ou élargie et de manière à préserver la séparation du travail mort et du travail vivant pour se conserver. Il tend à s'objectiver en savoir-faire et en esclaves mécaniques, à substituer toujours du travail mort au travail vivant, pourvu qu'il possède ou dispose des sources d'énergie nécessaires pour les séparer. La propriété privée exclusive tend à mettre le monde en esclavage, à le transformer en esclaves mécaniques et « travailleurs libres » préposés aux esclaves mécaniques. Comment expurger le monde de la domination ? Avec la difficulté croissante pour obtenir de l'énergie, le propriétaire non travailleur doit choisir entre acheter des esclaves mécaniques, employer davantage de travailleurs libres ou contraindre au travail. Bref, il doit revoir la composition de son armée de serviteurs humains et non-humains. Quand on veut substituer des services à la personne, on s'efforcera de chasser du lexique le mot de serviteur. Il ne faut pas penser qu'un prestataire de services est un serviteur, nous ne sommes plus au Moyen-Age. Ni que votre serviteur peut devenir votre maître, ou autrement dit que le serviteur du maître peut se transformer en maître du maître devenu serviteur. Leçon qu'adressaient hier les Japonais et aujourd'hui les Chinois aux Occidentaux (il n'y a pas de civilisation sans manufacture) et la biosphère à l'humain.

Les trois types de sociétés.

La société capitaliste autorise la séparation du travail et de la propriété à divers degrés, elle divise la société en propriétaires non travailleurs, travailleurs propriétaires, travailleurs non propriétaires et travailleurs sans travail dans des proportions diverses. Certaines sociétés opposent, distendent, la propriété et le travail à un point élevé, elles laissent peu de place aux travailleurs propriétaires, elles ne permettent pas la conversion du travailleur en propriétaire et elles soumettent le travail à une forte domination de la propriété. Le cas limite est la société esclavagiste, le propriétaire possède le travailleur. Rappelons que dans le processus de production (appropriation productive) le travail vivant s'approprie le travail mort, le convertit en travail vivant pour être convertit à nouveau en travail mort, alors que dans le processus d'appropriation sociale, le travail mort s'approprie le travail vivant. Le propriétaire avance le travail mort au départ du processus de production et recueille du travail mort à la fin du processus. Le processus de production est conversion par le travail vivant d'un travail mort en un autre travail mort. Il est processus d'appropriation du travail mort par le travail vivant et processus d'objectivation du travail vivant en travail mort.

D'autres sociétés, disons médianes, réservent une forte place aux propriétaires travailleurs et limitent la dissociation du travail et de la propriété. Elles s'efforcent de préserver une certaine réciprocité entre la propriété et le travail, une conversion du propriétaire en travailleur et du travailleur en propriétaire. On est plus ou moins propriétaire, plus ou moins travailleur, l'un n'allant pas sans l'autre. On passe aisément du point de vue du travailleur au point de vue du propriétaire, et inversement. Les conversions du travail mort en travail vivant (appropriation productive) et du travail vivant en travail mort (processus d'objectivation) sont quasiment complètes. Dans le processus d'appropriation productive tout est travail, il y a identité du travail vivant et du travail mort (de la propriété), dans le processus d'appropriation sociale (de répartition), il y a séparation de la part qui revient au travail vivant de celle qui revient au travail mort (à la propriété). Notons que le travail vivant non humain n'a pas de part dans la répartition (il est gratuit).

Certaines sociétés, celles qui font de l'héritage un droit absolu, veillent à une dissociation claire du travail et de la propriété, au contraire d'autres sociétés qui peuvent traiter l'héritage comme un droit limité. Celles-ci peuvent le traiter comme elle le ferait du droit sur la propriété intellectuelle : elle le limite dans le temps, comme elles font pour encourager l'innovation. Le produit du travail n'appartient plus au producteur au-delà d'une certaine période afin de favoriser sa diffusion. Elles veillent à ne pas dissocier travail et propriété, un travail vivant vivifiant un travail mort et un travail mort fécondant un travail vivant. La propriété commune ici n'a pas totalement disparu.

Nous disposons ainsi de trois figures de l'appropriation du travail : le travailleur propriétaire qui s'approprie le travail d'autres entités et dont le travail est approprié par d'autres entités, travailleurs propriétaires ou non-propriétaires ; le travailleur non propriétaire qui loue son travail, s'approprie le travail d'autres entités, mais pour autrui ; le propriétaire non travailleur qui s'approprie le travail des entités qu'il possède ou loue, par le travail mort, la propriété et non le travail vivant.

Lorsqu'un travail passé travaille pour un travail présent, il tend à se perpétuer comme travail vivant dans la figure d'un travailleur propriétaire. Quand la propriété tend à se séparer du travail, à vouloir ordonner au travail sans en faire partie, à objectiver le travail en esclave mécanique, elle se sépare du vivant humain et non humain et s'obstine à le transformer en travail mort. La séparation de la propriété et du travail, du travail mort et du travail vivant, conduit à la séparation de la production et de la répartition, la répartition n'étant pas reproduction des conditions de la production et détruisant le travail vivant non humain dans sa conversion en travail mort. La séparation radicale de la propriété et du travail conduit aux antagonismes entre nature et société, entre sociétés et entre classes.

Les propriétaires non travailleurs commandent aux travailleurs non propriétaires. Quand les travailleurs peuvent espérer devenir propriétaires (le mérite revenant au travail comme règle de la différenciation) ou quand ils sont satisfaits du sort qui leur est fait, la société tourne bien et est stabilisée. Lorsque le travailleur ne peut plus devenir propriétaire, que le propriétaire n'a plus besoin du travailleur (la fin du plein emploi), que leur complémentarité se réduit et que la situation du travail se dégrade, la guerre interne ou externe, la tentation de Mars, devient grande.

La guerre de classes pouvant être directe ou indirecte, indirecte quand cela est possible et direct quand cela ne l'est pas. Indirecte, elle emprunte des détours et recourt à des médiations de race et de sexe. On fait la guerre aux travailleurs non propriétaires en faisant la guerre à une autre race, en incluant dans la compétition les strates inférieures de l'humanité. On divise pour établir un rapport de forces favorable en segmentant le marché du travail et en menaçant de compétition un segment par un autre. Dans une société salariale inégale, au marché du travail segmenté, la compétition de travailleurs non-propriétaires précarisés menace les travailleurs non-propriétaires protégés. Le propriétaire non travailleur peut vivre sans travail, le travailleur sans travail menace le travailleur non propriétaire. La guerre de classes prend alors la forme d'une compétition exacerbée au sein du monde des travailleurs non propriétaires, et dans les sociétés occidentales vieillissantes, un ethno-nationalisme se substitue à la social-démocratie pour protéger le continuum du travail de la rupture et permettre sa transformation en faveur des propriétaires non travailleurs. Ils doivent commander à plus de « travailleurs libres » non préposés aux machines.

Lorsque la propriété se sépare du travail. Quand les propriétaires s'enrichissent et les travailleurs s'appauvrissent, autrement dit lorsque la propriété se sépare du travail, lorsque la base et le sommet de la pyramide sociale se disjoignent, les tensions sociales montent, la guerre menace. Quand les propriétaires oublient les travailleurs et sont absorbés par leur compétition (leur compétition mondiale particulièrement), la technologie aidant le travail mort à se substituer au travail vivant pour alimenter la puissance, les propriétaires ont plus besoin d'énergie non humaine que de travail humain. Le populisme vient au secours des propriétaires pour diviser les travailleurs selon d'autres critères que celui de la propriété. Il faut réduire la compétition des travailleurs qui s'exacerbe en segmentant le marché du travail national et mondial, en différenciant les droits des travailleurs selon certaines de leurs qualités non professionnelles. Et si l'énergie ne permet plus de substituer des esclaves mécaniques au travail vivant, il faut substituer des quasi-esclaves humains au travail salarié. Ou établir une nouvelle complémentarité entre travail et propriété, production marchande et non marchande. L'esclave humain étant celui qui ne pouvant assurer sa subsistance remet sa vie aux mains de celui qui peut la sauver. La croissance démographique porte la compétition mondiale des travailleurs non propriétaires à un point jamais égalé au moment précis où la croissance économique n'est plus suffisante pour l'absorber et où il n'est plus possible de disposer d'un individu comme d'une chose. Voilà pourquoi il faut savoir quelles guerres se prépare et quelles guerres il faut préparer. Nous entrons dans une zone des tempêtes qui nous rappellent certaines catastrophes et où doivent se recomposer les rapports de la propriété et du travail.

Quel ordre mondial se prépare ? Dieu seul sait, mais tout le monde n'est pas également armé. Les sociétés et le monde se polarisent, quand les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent, quand les nations se divisent en nations propriétaires et en nations prolétaires, quand sur le marché se disputent les étrangers au lieu de contracter, un désordre général menace. À la pointe de l'Occident, Israël s'approprie par la guerre et le travail la Palestine. Le monde refabrique des damnés. On croyait l'ordre colonial révolu. Du désordre prévisible quel ordre peut-il émerger ? Autour de quels pôles ?

La compétition mondiale des sans-propriétés qui cherchent du travail n'est pas à sous-estimer. La croissance de la production mondiale actuelle ne peut soutenir la croissance démographique mondiale. La Terre de Dieu qui est grande rétrécit dangereusement. Pas de vie pour les sans propriété sans travail. Quand il n'est plus possible de vivre ici, la vie cherche ailleurs, elle préfère la mort à la lente agonie. La différence de conditions de vie et de travail entre les différentes parties du monde alimente cette turbulente compétition. La séparation du travail et de la propriété a atteint à l'échelle mondiale une dimension à laquelle on n'a pas prêté toute l'attention nécessaire. Cette séparation nous autorise à parler de nations prolétaires et de nations propriétaires. Le travail considérable qui a été séparé de la propriété et qui ne trouve plus à s'employer par la propriété migre. La segmentation du marché mondial du travail qui s'appuie sur l'immobilité du facteur travail et protège certaines populations de la compétition d'autres populations est ébranlée. La construction des murs se multiplie.

La séparation du travail et de la propriété que le capitalisme a portée à l'échelle mondiale, la concentration de la propriété qui a résulté de la compétition capitaliste, tout cela ébranle le système des États-nations qui repose sur l'immobilité du facteur travail. Une telle séparation est explosive qui concentre le travail et la propriété à deux pôles séparés et rompt leur complémentarité. Une telle distribution du travail et de la propriété ne peut tenir d'elle-même.

Pour l'heure, tout se passe comme si l'appauvrissement des populations et la surproduction des élites au Sud et le vieillissement des riches populations du Nord, rendait possible une mobilité contrôlée du facteur travail pour préserver le système des États-nations et la distribution actuelle de la propriété. Serait rétablie une certaine complémentarité du travail et de la propriété dans les centres d'accumulation de la propriété, pendant que les centres d'accumulation du travail se délesteraient de leurs élites et cantonneraient leurs populations inutiles. Tel peut être considéré le point de vue capitaliste. Pour ce qui concerne les populations des riches sociétés, elles constateront leur appauvrissement et leur déclassement d'un côté en même temps que l'arrivée d'une jeune population étrangère qualifiée appelée par la compétition économique mondiale et d'une autre non qualifiée peu regardante sur les droits sociaux et économiques. Les sociétés capitalistes vieillissantes, rentières d'un État social, ont alors le sentiment d'être submergées par des élites mondiales et du travail précaire.

On pourra donc assister dans les riches sociétés à un appauvrissement de la population conjugué à une surproduction des élites qui minera leur cohésion[3].

La fin de la social-démocratie.

Comment défendre la société face aux forces marchandes qui la sapent de l'intérieur, se demandait Karl Polanyi dans son ouvrage classique La Grande Transformation (1944) : le libéralisme du XIXe siècle avait détruit les solidarités et défait les liens sociaux au nom d'une construction idéologique, celle du « marché » abstrait et autorégulateur, multipliant dans son aveuglement les crises sociales et conduisant finalement aux désastres du siècle suivant. La tâche du réformisme du XXe siècle était de «réenchâsser» le marché dans la société, de réaffirmer la supériorité du social sur l'économique sans pour autant nationaliser l'ensemble des moyens de production ni étouffer la liberté d'entreprendre[4].

Réenchâsser sans étouffer, oui, mais comment ? Le compromis trouvé par la Suède a fait parler de lui par son ambition de réduire radicalement l'emprise du marché dans tous les domaines de la protection sociale tout en développant des secteurs marchands dynamiques. Selon Wojtek Kalinowski, la social-démocratie à la suédoise repose principalement sur trois éléments : un dialogue social puissant - le marché du travail est pour l'essentiel régulé, non pas par des lois, mais par des accords et des conventions négociés par les partenaires sociaux - ; une vaste offre de services publics financés par l'impôt et fondés sur des règles d'accès uniformes et transparentes - petite enfance, écoles, hôpitaux, maisons de retraite - ; un système d'assurances sociales généreux qui offre le même niveau de protection à tous les salariés, quels que soient leur statut ou leur catégorie professionnelle[5]. Dialogue social et consentement à l'impôt caractérisent la complémentarité de la propriété et du travail.

Le modèle suédois en vérité réenchâsse l'économique dans le social, mais aussi le social dans l'économique. L'opposition de l'économique et du social repose sur celle du travail et de la propriété. Le « dialogue social » réenchâsse le social dans l'économique, remet le travail dans la propriété. Seuls une économie marchande performante et des riches consentant à l'impôt peuvent autoriser des prélèvements importants pour financer des services publics de qualité. Seule une économie qui fait une certaine place à la société, qui ne dissocie pas travail et propriété au sein de l'économie, dans une période de croissance, peut obtenir une économie performante. La propriété s'engage dans le travail (consentement à l'impôt et services publics de qualité), le travail s'engage dans la propriété (fait corps avec l'entreprise, fait confiance à ses élites).

Ce que beaucoup ont tendance à oublier avec la social-démocratie c'est qu'elle est d'abord fille de la croissance. Le rapport du travail et de la propriété (dialogue social, consentement à l'impôt) en étant le facteur stimulant ou inhibant. La réduction de l'emprise du marché sur certains secteurs (sociaux) est allée de pair avec le développement de la production marchande et donc l'emprise sur d'autres secteurs (économiques). C'est le marché qui finance le non marchand, c'est l'impôt sur la production marchande qui paie les services que l'individu obtient et n'achète pas. La social-démocratie réalise un enchâssement harmonieux du marché dans la société, une certaine complémentarité substitution entre le marchand et le non marchand : la production marchande se substitue à la production non marchande privée pour financer la production non marchande publique qui en retour stimule la production marchande. On peut se représenter la complémentarité de la manière suivante : la production non marchande privée se substitue à la production marchande publique que la production marchande ne peut plus financer ; la production non marchande publique se substitue à la production non marchande privée quand la production marchande peut la financer. La croissance économique permettant la substitution de la production non marchande publique à la production marchande privée (« démarchandisation », « socialisation »), la société se construit sur une base sociale plus large que la famille (services publics universels de qualité) et plus propice au développement de la liberté individuelle (société des individus).

Avec la décroissance de la production marchande, la production non marchande privée doit se substituer à la production non marchande publique qui ne peut plus être financée par la production marchande. Si une telle substitution ne peut s'accomplir, la complémentarité entre les deux productions marchandes et non marchandes est défaillante. La production marchande ne peut plus soutenir la production non marchande publique qui ne peut plus faire société, le rapport travail et propriété se distend et la société des individus se partage entre propriétaires, travailleurs et travailleurs sans travail. C'est la crise de la social-démocratie. L'État social n'a plus le marché pour le financer, se dégradent le pouvoir d'achat des rentiers et les services publics de l'État social pour les travailleurs.

Il faut donc constater, qu'avec la crise énergétique mondiale, la production marchande se contracte, qu'avec la polarisation du marché du travail, le plein emploi n'est plus possible et qu'avec une compétition internationale aiguisée par la concurrence des pays émergents, la production marchande mondiale se trouve redistribuée. De puissants centres de gravité de la production marchande (ré)émergent hors de la zone occidentale[6]. Les sociétés occidentales après avoir délocalisé en optant pour la stratégie de l'entreprise sans usines (fabless) et afin de ne pas perdre leur part de marché mondial, doivent relocaliser pour ne pas perdre leur propre marché. Comme le soutient la Chine, pas de civilisation sans manufacture (Xi Jinping, Liang Qichao). Ces sociétés ont en vérité perdu la force de frappe industrielle dont elles disposaient au cours de la deuxième moitié du XX° siècle, les sociétés non occidentales ont rattrapé leur retard et disposent aujourd'hui d'avantages concurrentiels qu'elles ont obtenus en transformant leurs faiblesses en forces. Ce sont désormais les produits non occidentaux, chinois et autres, qui envahissent les marchés occidentaux. Quels sentiments peuvent maintenant partager les Européens ordinaires devant les mauvaises nouvelles de leurs politiques publiques qui doivent se protéger de l'invasion des marchandises étrangères, qui ne peuvent empêcher leur entreprise de se délocaliser ou de se faire acheter par l'étranger ? Quels sentiments partager face à l'incapacité de l'action publique à enrayer la dégradation de leur pouvoir d'achat ? On peut empêcher l'invasion des produits et des personnes étrangères, mais peut-on inciter à produire mieux et moins cher ? Ce sont les produits d'origine asiatique qui soutiennent le pouvoir d'achat des consommateurs ordinaires, ce sont des populations immigrées qui fournissent la main-d'Å“uvre bon marché et la force de frappe scientifique et technique aux sociétés occidentales vieillissantes qui rêvaient d'une société de loisir. Quels sentiments peuvent maintenant partager les Européens ordinaires devant le spectacle de ces jeunes étrangers scintillants qui sillonnent leurs métropoles, qu'ils cantonnent, mais qui soulignent leur faiblesse, et celui de ces marchandises étrangères qui couvrent leurs étagères et déclassent les leurs ? Ces populations ont de la peine à s'adapter, elles doivent comme intensifier leur compétition alors qu'elles auraient souhaité partir sinon en retraite méritée. « Du jour au lendemain, l'interdépendance économique qui, jusqu'alors, avait été un gage de sécurité, est devenue une source d'insécurité. »[7]

La fin du modèle social-démocrate réside dans le fait que son économie non marchande reposait sur l'économie marchande, que son équité sociale reposait sur son efficacité économique. Avec l'affaiblissement de la croissance, les recettes de l'État social n'arrivent plus à couvrir ses dépenses. Et qu'avec le vieillissement, les recettes de l'impôt croissent moins vite que les dépenses sociales. L'État n'a pas d'autre solution que de couper dans ses dépenses sociales (quelles populations en souffriront les premières ?), il doit aussi couper dans les dépenses d'investissement qui engagent son futur et dont il reconnaît la nécessité. Le consentement à l'impôt devient plus difficile avec l'inefficacité de l'action publique. « Il y a un lien profond, bien que tacite, entre modèle social, consentement à l'impôt et efficacité de l'action publique. »[8] La confiance dans l'action collective qui est au fondement de la légitimité de l'État social, du consentement à l'impôt, de la culture d'adaptation au changement et des relations sociales est minée. Selon le chercheur suédois Bo Rothstein la confiance qui renvoyait à la qualité des institutions publiques et aux « arènes » de délibération collective comme les instances du dialogue social, n'est plus justifiée par l'expérience sociale et l'efficacité de l'action publique. « La confiance se mérite. ... Les responsables politiques suédois sont parfaitement conscients du fait que, pour consentir à l'impôt, les contribuables ont besoin de croire non seulement dans la légitimité des poli¬tiques menées, mais aussi dans leur réalisation effective : au-delà de la légitimité des procédures, c'est le résultat final qui compte. »[9]

Mobilité sociale. « Les études n'étaient jamais payantes en Suède : ni dans le public, ni dans le privé, ni dans le supérieur, ni dans les échelons inférieurs. ». Le modèle sué¬dois a généré du dynamisme économique et de l'innovation en réduisant les écarts de revenus entre les diplômés du supérieur et les catégories moins qualifiées. Dans ce modèle, « moins la rentabilité relative de l'éducation est élevée, c'est-à-dire moins l'im¬pact de chaque année de formation supplémentaire sur les revenus futurs de l'individu est fort, plus la mobilité sociale augmente. » [10] Avec l'incertitude actuelle sur la croissance, la confiance dans l'efficacité et l'équité du modèle social est ébranlée.

Le dynamisme de la production marchande a donc soutenu le modèle social-démocrate suédois. Avec la contraction de l'économie marchande sous l'effet d'une redistribution de la production mondiale en faveur des pays émergents et sous l'effet d'une polarisation du marché mondial du travail, le modèle social-démocrate entre en crise. Les rapports de l'économie marchande et de l'économie non marchande se modifient. L'économie non marchande publique qui s'appuie sur l'économie marchande va se contracter avec la contraction de cette dernière.

Il faut donc distinguer entre économie non marchande publique et économie non marchande privée. Avec le développement de l'économie marchande, l'économie non marchande publique s'est substituée à l'économie non marchande privée. Avec la contraction de l'économie marchande, on devrait assister au processus inverse : l'économie non marchande se substituant à l'économie non marchande publique. Mais l'inversion du processus de substitution ne va pas de soi. Il y a comme un cliquet anti-retour que constitue les habitudes sociales. L'individu s'est émancipé de la famille, mais est devenu dépendant des riches (l'impôt). S'appuyer alors à nouveau sur la famille ou le groupe apparait comme une régression.

L'État social suédois a poussé le principe de la substitution de la production non marchande publique à la production marchande (« démarchandisation » ou « socialisation ») plus loin que les autres, couvrant progressivement les différentes étapes de la vie des citoyens, de la petite enfance jusqu'aux soins des personnes âgées. Dès 1971 il décide la suppression du devoir légal des enfants majeurs envers leurs ascendants âgés, reportant entièrement sur l'État et les collectivités la charge de garantir l'autonomie et les soins des personnes âgées - obligation d'offrir un logement, allocations en complémentent des retraites, maisons de retraite financées par l'impôt, etc. La solidarité intergénérationnelle repose moins sur la solidarité familiale et plus sur la socialisation des ressources. Si les inquiétudes et les critiques concernant la qualité des soins dans les maisons de retraite reviennent régulièrement dans le débat public suédois, on constate que, dans les enquêtes menées auprès des personnes âgées, ces dernières ne souhaitent pas un retour au financement par la famille.

« L'intermédiation de l'État marche aussi en sens inverse, le devoir financier des parents vis-à-vis de leurs enfants s'arrêtant à 18 ans et à l'école secondaire. Pour permettre aux jeunes d'étudier à l'université ou de suivre une formation professionnelle ... »[11].

Dans le modèle suédois, l'intermédiation de l'États s'est généralisée aux rapports sociaux : hommes-femmes : les crèches libèrent les femmes du travail domestique ; entre parents et enfants, il libère les parents et les enfants de leur charge mutuelle. La société suédoise déporte donc avec succès la solidarité du milieu familial au milieu social et économique. Le modèle se révèle efficace (croissance économique forte) et équitable (forte mobilité sociale). Pour la coopétition sociale et économique, il est indéniable qu'une bonne solidarité sociale est plus efficace qu'une solidarité familiale, autrement dit une coopération sociale forte est plus utile à la compétitivité de l'économie qu'une solidarité familiale. Mais là où le modèle pèche par défaut, c'est qu'en cas d'inefficacité économique, l'impôt ne peut plus soutenir la solidarité sociale et il ne peut plus compter sur la solidarité familiale pour permettre une « démarchandisation » des services sociaux. Ni permettre à la solidarité sociale de se rabattre de l'échelle globale à l'échelle locale, la liberté de choix des individus qui s'est imposée instruisant une préférence pour l'inégalité[12]. C'est que la continuité entre solidarité familiale et solidarité sociale a été rompue, on ne peut plus aller de l'un à l'autre selon les circonstances. Il va falloir retrouver la solidarité entre les niveaux familial, local et national. On peut dire qu'entre les valeurs familiales, de groupe et de nation, la complémentarité a lâché les valeurs familiales encore que beaucoup moins que les autres sociétés libérales. La social-démocratie suédoise a fait peu cas des valeurs familiales, si l'on sort des sociétés libérales pour comparer avec la Chine et autres pays d'Asie orientale. Enivrée qu'elle fut en partie par la liberté individuelle que lui enviaient tant les autres sociétés européennes.

La proximité de la révolution d'octobre a fait comprendre aux socio-démocrates, qui se sont séparé des communistes au début du XX° siècle, l'importance de s'attacher les travailleurs. D'un autre côté, le syndicat des employeurs a vu l'intérêt d'avoir un monde du travail uni, un marché du travail uni[13]. Ce qu'il faut comprendre, c'est que la séparation du travail et du capital a été réduite à son minimum : le travail doit être dans le (combat du) capital (efficacité économique) et le capital doit être dans le (combat du) travail (équité sociale) face au monde et aux soviets. C'est dans cette situation stratégique que la social-démocratie suédoise se devait être exemplaire. Situation stratégique qui a changé aujourd'hui et qui fait que la propriété est moins soucieuse de s'attacher à une classe ouvrière qui se délite, à un monde du travail victime de polarisations. Il apparait maintenant à la société suédoise que l'une de ses forces, ses valeurs de groupe, sur lesquelles s'appuyait sa solidarité sociale en même temps que sur son économie, est devenue une faiblesse. La capacité d'intégration des étrangers s'est trouvée réduite. L'insoutenabilité de ses dépenses sociales attise les dissensions de groupe. Elle rêve maintenant d'homogénéité ethnique pour resserrer ses liens. L'économie faisant défaut pour faire complémentarité, c'est vers l'ethnie que l'on se tourne, plus tard vers l'économie non marchande privée.

La fin de l'ère de l'imitation

La majorité des sociétés postcoloniales n'ont pas pu combler le fossé qui les séparait des anciennes puissances coloniales. Leur appropriation de la modernité, la modernisation de leur société, n'a pas conduit à une appropriation du savoir-faire mondial, mais à une séparation des producteurs de leurs conditions de production, à une destruction de leur savoir-faire et de leur savoir-être. Leur appropriation de la modernité a été pour la plupart une imitation sans accumulation, un ensauvagement.

« La différence entre la Chine, l'Europe centrale et la Russie postcommunistes épouse étroitement la distinction entre trois styles de stratégies de développement : à savoir, imiter les moyens (ou emprunter), imiter les fins (ou se convertir) et imiter les apparences (ou simuler). ... les élites centre-européennes ... aspiraient à devenir des converties, dont l'occidentalisation a permis ensuite à une contre-élite réactionnaire de s'emparer des symboles politiques les plus représentatifs de l'identité nationale. En Russie, en revanche, les élites post-soviétiques ont fait semblant d'imiter les normes ainsi que les institutions occidentales. ... C'étaient des stratèges de l'imposture.

À l'inverse, la Chine a emprunté à l'Occident, à la fois ouvertement et clandestinement ... . C'étaient d'ingénieux praticiens de l'appropriation. Recourir à des accords de co-entreprise pour forcer les entreprises occidentales à transférer des technologies innovantes vers leurs partenaires chinois n'implique aucune hypocrisie démocratique et ne fait courir aucun risque à l'identité nationale. De même, alors que le tiers de tous les étudiants étrangers des universités américaines viennent de Chine, ils suivent surtout des cursus de science et d'ingénierie, pas de libéralisme et de démocratie.

Les Chinois comptent parmi les imitateurs les plus implacables et les plus accomplis de l'Occident dans les domaines de la technologie, de la mode, de l'architecture, etc., mais ils ont explicitement rejeté l'imitation de la démocratie libérale occidentale pour laquelle les manifestants de Tian'anmen avaient naïvement proclamé leur préférence. Ils empruntent avec exubérance, mais refusent de se convertir. Ils n'ont pas non plus éprouvé le même besoin que Moscou de simuler la démocratie occidentale ou de mettre à nu l'hypocrisie américaine en reproduisant l'image-miroir de la violation des lois internationales par les États-Unis. Emprunter ou voler des technologies vous enrichit, en tout cas, alors qu'imiter les valeurs morales menace votre identité et simuler la démocratie pour révéler l'hypocrisie semble inutile. »[14]

En guise de conclusion.

Production marchande et non marchande. On a vu avec le modèle suédois de la social-démocratie, que la production marchande permettait la substitution de la production marchande et de la production non marchande privée par la production non marchande publique et qu'en retour l'équité sociale qui en résultait dynamisait la production marchande[15]. C'est ce cercle vertueux qui ne fonctionne plus aujourd'hui. La croissance économique ne peut plus fournir l'impôt nécessaire à la politique de substitution de la production marchande par la production non marchande publique, le consentement à l'impôt est mis à l'épreuve par la polarisation du marché du travail. Tout le monde ne peut plus faire partie de la compétition mondiale. La relation propriété travail se distend, le dialogue social s'effrite. Nous avons soutenu que la crise sociale résultant du ralentissement de la croissance se manifestait par des productions marchande (l'économique) et non marchande (le social) qui cessent d'être complémentaires et par la difficulté de la production non marchande privée à se substituer à la production non marchande publique. Avec la polarisation du marché du travail, il faut plus de travailleurs préposés aux personnes et moins de travailleurs préposés aux machines. C'est cette polarisation qui n'est plus soutenable écologiquement et socialement. De nouvelles complémentarités de la production marchande et non marchande, de la propriété et du travail sont requises. Comment y parvenir là est la question.

La situation est encore plus nette pour l'État social des sociétés postcoloniales où les mauvais marchés ont introduit davantage de désordre dans la société. La croissance y avait promu un ordre factice, « un marché sans marchands », une économie sans industrie, une production marchande peu diversifiée et une société des individus sans société. Ce qu'exprime la crise ce sont des rapports asymétriques et mal embouchés entre la société et la nature, les humains et les non-humains, entre l'individu et le monde, entre l'individu social, le groupe et la famille. La société s'est mal insérée dans la nature et dans le monde, elle a du mal à soutenir l'individu qu'elle a promu et l'individu ne peut plus se soutenir de la famille de laquelle il s'est détaché et de la nature qu'il a détruit.

La crise de la société dans son mouvement de fuite en avant se traduit par une polarisation, un enrichissement des riches qui consentent moins à l'impôt et un appauvrissement des pauvres qui subissent de plus en plus un état de travailleurs sans travail. Au plan mondial cela se traduit par une concentration de propriétaires dans certaines métropoles autour desquels gravite un monde du travail divisé entre travailleurs préposés aux machines et travailleurs préposés aux personnes alors que sur d'autres territoires, des travailleurs sans travail sont concentrés et cantonnés.

Les sociétés résilientes se caractérisent par une complémentarité du travail et de la propriété, de la production marchande et de la production non marchande. Elles se différencient entre propriétaires travailleurs et travailleurs propriétaires (l'un pouvant devenir l'autre) plutôt qu'en purs propriétaires et purs travailleurs où propriété et travail tendent à s'exclure mutuellement et leurs rapports réglés par une substitution constante du capital au travail. Ce qui suppose une autre distribution du savoir et du capital matériel dans le cadre d'une résolution de la crise sociale et écologique. On peut constater aujourd'hui la difficulté d'une résolution simultanée de la crise sociale et de la crise écologique. Les crises sociales s'opposent à la résolution de la crise écologique, mais la crise écologique finira par imposer ses solutions aux sociétés, si elles ne les choisissent pas.

Dans le cours du monde actuel, il est difficile d'envisager une réforme des rapports entre propriété et travail, entre production marchande et non marchande, avant que ne survienne un effondrement. La crise entre production marchande et non marchande imposant une nouvelle définition non consentie des rapports de la propriété et du travail. Les rapports se tendent de plus en plus au sein des sociétés et entre les sociétés, ils ne seront pas soutenables. Surviendra un après où l'on pourra distinguer celles qui l'ont préparé, de celles qui l'ont ignoré. Celles qui se préparent à traverser la zone des tempêtes auront envisagé une nouvelle complémentarité entre la propriété et le travail en même temps qu'une différenciation autrement complémentaire entre les différentes productions (production marchande et productions non marchandes naturelles et sociales) pour la mettre en Å“uvre au moment opportun. Au moment opportun, car c'est le cours du monde qui dicte sa loi, le cours du monde qui mêle nature et société, humains et non humains, propriétaires et travailleurs.

Dans le cours actuel des choses, une migration tournante, choisie de part et d'autre, dans la perspective d'une nouvelle complémentarité entre propriété et travail, apparait pertinente. Elle permettrait une pacification du monde en réduisant progressivement les écarts entre les conditions de travail et de vie, en faisant circuler le savoir-faire et le travail mort entre le Nord et le Sud. Seules une migration tournante et une déconcentration de la propriété qui mettraient en dialogue les sociétés, riches et pauvres, sur leurs conditions de vie et d'existence sont en mesure d'établir des flux normaux entre elles. Peut-être faudra-t-il en passer par certaines guerres[16]. Quand les humains auront suffisamment détruit par leurs guerres, peut être constateront-ils qu'ils détruisent ce dont ils dépendent et commenceront-ils à se voir comme des membres d'une grande et de petites communautés de vivants et de non vivants dont il faut prendre soin.

On ne change pas le monde. On se conduit bien ou mal. Le temps a ses saisons. Le jour et la nuit alternent. L'été sort de l'hiver par le printemps. Le paradis sort de l'enfer et y retourne. Ils alternent, ne s'éradiquent pas. Les jeunes générations qui ont connu la paix, s'ils veulent réellement la paix, doivent préparer la guerre. Ils ne l'ont pas voulu, cela ne l'empêchera pas d'advenir. La paix sort de la guerre et y retourne. On ne change pas le monde, on change avec lui. Ceux qui croient le tenir par un bout s'égarent, parce qu'ils lui ont supposé une fin qu'ils ont fini par oublier. Nous ne tenons pas le monde, il nous tient. Les Chinois ne veulent pas changer le monde, lui imposer un système, ils veulent bien y naviguer. Ils construisent les flottes et les ports qu'il convient aux temps qui viennent. Mais bien naviguer signifie disposer d'instruments de navigation fiables. Les jeunes générations pour ne pas être dispersées par le vent ont besoin d'un récit qui les rassemble et raconte où va le monde et comment il y va. Un récit qui leur permettrait de bien naviguer.

Notes

[1] J'emprunte ce titre à l'ouvrage du politiste et diplomate libanais Ghassan Salamé. La tentation de Mars. Guerre et paix au XXI° siècle. Fayard. 2024. Il s'agira ici moins de géopolitique que d'économie politique.

[2] Fabri, E. (2016). De l'appropriation à la propriété : John Locke et la fécondité d'un malentendu devenu classique. Philosophiques, 43(2), 343-369. https://doi.org/10.7202/1038210ar

[3] Peter Turchin. End times : elites, counter-elites, and the path of political disintegration. New York : Penguin Press, 2023.

[4] Wojtek Kalinowski. « Modèle suédois. Et si la social-démocratie n'était pas morte ? » (Charles Léopold Mayer, 2017)

[5] Ibid.

[6] « En 1750, la part relative de la production manufacturière chinoise était de 32,8 %, alors que celle de l'Europe était de 23,2 % - leurs populations respectives étant estimées à 207 millions et 130 millions de personnes. Prises ensemble, les parts de l'Inde et de la Chine atteignaient 57,3 % de la production manufacturière globale [...]. Le produit intérieur brut par habitant en Chine s'élevait à 228 dollars (valeur de 1960), contre 150 à 200 dollars selon les pays en Europe ». Philip S. Golub, « Quand la Chine et l'Inde dominaient le monde », Manière de voir, no 9, 2006, p. 9.

[7] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/13/ivan-krastev-les-europeens-ne-sont-pas-menaces-par-l-echec-de-leur-modele-mais-par-ses-succes_6232899_3232.html

[8] Wojtek Kalinowsky op. cit. p. 14

[9] Ibid. p. 45

[10] Ibid. p. 54

[11] Ibid. p. 84-85

[12] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/20/suede-le-lent-declin-d-un-modele-qui-n-en-finit-pas-de-creuser-les-inegalites-entre-riches-et- pauvres_6155123_3232.html

[13] https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/suede-le-crepuscule-de-la-social-democratie.html

[14] Ivan Krastev & Stephen Holmes. Le moment illibéral (The Light that Failed)

Arthème Fayard, 2019.

[15] Voir la thèse de Richard Wilkinson et Kate Pickett. Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous. Les petits matins/ Institut Veblen/ Étopia, 2013 pour la traduction.

[16] Dans une plongée historique jusqu'au Néolithique, Walter Scheidel identifie quatre processus ou facteurs de liquidation des inégalités extrêmes et de progression de l'égalité - la guerre, la révolution, l'effondrement de l'État et la pandémie -, en se gardant de tout déterminisme. Walter Scheidel. Une histoire des inégalités de l'âge de pierre au XXIe siècle. Princeton University Press, 2017. Actes Sud, 2021.




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