Algérie

«La suppression de l'aide publique est un suicide identitaire»



Elle était membre du jury de la section court métrage au festival de la littérature et du cinéma de la femme, qui s'est tenu, récemment à Saïda. À son actif, plusieurs courts métrages et un très beau long métrage, Yasmine Chouikh, qui a baigné très tôt dans le milieu du 7 eme art, évoque avec nous, ici, ses appréciations quant à cette 4eme édition qui vient de s'écouler et relève les recommandations requises par le jury pour l'amélioration du festival, parle de la place de la femme dans le cinéma algérien et donne, enfin, son avis quant à la suppression du Fdatic qui met à mal, actuellement, le cinéaste algérien.L'Expression: Yasmine Chouikh, vous étiez membre du jury à la 4e édition du Festival de la littérature et du cinéma de la femme. Quelles sont vos appréciations sur l' édition en tant que réalisatrice femme'
Yasmine Chouikh: Cela fait un moment que je n'avais pas vu de film. Ça m'a fait tellement plaisir de voir autant de films et qui plus est des films algériens. Je sais que ces deux dernière années on est resté trop longtemps à la maison, avec peu d'accès à du cinéma, au cinéma algérien et au plaisir de le voir dans une salle de cinéma sur grand écran. Avant d'être cinéaste, je suis quelqu'un qui aime regarder des films. C'était un plaisir donc de regarder tous les films qui nous ont été proposés. J'ai regardé les courts métrages aussi en tant que jury, mais j'ai regardé aussi les films qui étaient là, qui étaient hors compétition, que ce soit les longs métrages ou les documentaires. Vraiment on a passé le séjour dans la salle de cinéma. On n'oublie pas la littérature et les conférences de Maïssa Bey par exemple. On a passé, vraiment, un très bon moment d'art et de culture qui fait du bien. Une vraie pause culturelle salutaire.
Vous avez émis, avec le reste des membres du jury, des recommandations pour l'amélioration de la prochaine édition du festival. Peut -on savoir lesquelles' Qu'est-ce qui clochait donc au niveau de la sélection des courts métrages'
On comprend parfaitement qu'il n' y ait pas eu cette année beaucoup de productions et qui plus est portent sur la femme, mais comme le thème du festival est le cinéma au féminin, on imaginait un peu plus de présence féminine, que ce soit en tant que fabriquante, cinéaste, auteure, réalisatrice, mais aussi en tant que thème. Je sais que c'est un peu contradictoire ce que l'on dit, parce qu'on a conscience de la difficulté de trouver ce genre de films et le nombre nécessaire pour ce genre de compétition nationale, mais cela ne nous a pas empêchés d'adorer les films que l'on a regardés. Simplement, il est nécessaire de rester fidèle au thème du festival. Aussi, l'on a remarqué une certaine disparité entre les moyens de productions... On a émis ainsi quelques propositions. Partir peut- être sur deux compétitions. Pour ne pas léser les uns et les autres. Car il est très difficile de juger un film dit «amateur» et un autre professionnel à gros budget. Ils ne démarrent pas du même point. Comme disait le président du jury Tahar Boukella, on est obligé de réfléchir en terme de cinéma sans rentrer dans les détails quand tu vois un film sans prendre en considération tout les aspects de sa production, mais c'est nier toute la réalité autour de la production algérienne. On est algérien avant tout. On sait comment cela se passe. On connaît les difficultés que l'on rencontre tous à faire des films. On ne peut pas juger de manière stricte et radicale. Parce qu'on est déjà de simples cinéastes avant tout. Le mieux serait d'opter pour deux sections pour donner la chance à un maximum de réalisateurs d'avoir des prix professionnels et des prix amateurs car il n' y a pas de honte de faire du cinéma amateur. J'adore le cinéma amateur car il y a quelque chose de l'ordre de l'amour. Dans le cinéma amateur il y a beaucoup d'amour pour le cinéma car ce sont des gens qui ne le font réellement que par amour. Il n' y a pas d'autres considérations qui rentent en jeu. De plus, le cinéma amateur est un véritable vivier pour le cinéma professionnel. On a vu beaucoup de jeunes partir du cinéma amateur vers le cinéma professionnel. Ce sont des recommandations que l'on a fait par acquis de conscience par rapport au festival. On connait aussi tous les problèmes qu'ils ont à monter un festival de cinéma et surtout en ce moment...
Votre long métrage «Jusqu'à la fin des temps» aborde aussi le sujet de la femme...Ce fut votre premier long métrage fiction qui, d'ailleurs, a reçu beaucoup de succès. Comment vous l'avez pensé'
Si le film traite de la femme, c'est presque de manière normale. Je suis une femme, donc j'écris une histoire où il va y avoir des femmes et des hommes. Je suis sensible aux sujets de la femme. Malgré moi, même si ce n'est pas le propos du film, car pour moi il aborde surtout l'humain. C'est un film qui raconte l'humain, c'est comme cela que je vois et à travers l'humain, il raconte la femme et l'homme aussi. Le film peut rentrer complètement dans la psychologie masculine, aussi à travers le personnage de Ali. Comment est venue l'idée du film' Tout simplement en écrivant une histoire. Je n'écris pas de cause. Je ne m'embarque pas dans des causes à défendre. Je suis quelqu'un qui écrit des histoires. Et cette histoire va automatiquement véhiculer quelque chose. Elle va véhiculer certainement des choses que je porte en moi, des combats que je porte en moi aussi en tant que personne et citoyenne, femme etc...Ça va se refléter dans le film. Mais je ne pars pas dés le départ avec une cause à défendre à tout prix.
Votre film vient de sortir sur la plateforme Netflix. Un des rares films algériens d'ailleurs...Quel sentiment éprouvez-vous'
Un sentiment de joie et de fierté, mais mitigé. Je suis bien sûr contente de voir mon film sur une plateforme car c'est un accès plus facile par rapport à notre public pour voir le film. Ce dernier a fait une petite sortie dans les salles. Il a voyagé dans des conditions particulières. Il n'a pas connu une grande distribution que ce soit au niveau national ou international. Il y a beaucoup de gens qui ne l'ont pas vu. Aujourd'hui cela me fait plaisir de le partager avec plus de monde, car je sais que c'est une plateforme qui a beaucoup d'abonnés ici en Algérie. En tant que cinéphile,je suis très fière qu'un film algérien soit sur la plateforme. J'espère du plus profond de mon coeur que ça va ouvrir une réflexion chz Netflix,et qu'on se dise qu'il y a un public qui s'appelle le public algérien, composé de fins amateurs de cinéma, et peut-être qu'à partir de ce moment, nos films pourront être disponibles sur Netflix et voir notre patrimoine cinématographique sur cette plateforme. On pourra voir aussi Netflix produire des films d'autres pays arabes, des séries aussi. J'espère que ce n'est que le début et non pas une simple occasion sporadique unique..
Êtes-vous sur un projet de film en ce moment'
On est tout le temps sur un projet. On écrit tout le temps, on ne fait que ça. Plus concrètement, on va produire l'an prochain, en 2022 le film de mon père, Mohamed Chouikh, sur Mohamed Benkhlouf. Inchallah on va rentrer en production dans pas longtemps. Avec la boite Making off, nous avons effectivement produit le film documentaire de Lina Soualem, «Leur Algérie». Sincèrement,c'est un film qui est très touchant. Il a démontré sa valeur dans les festivals internationaux. Il a eu un très bel accueil là oû il est parti. C'est aussi une fierté pour nous d'avoir pu participer à une telle oeuvre cinématographique, si unique et intime. Ma soeur Karima est productrice aussi,de beaucoup de réalisatrices. Elle va assurer la production de deux autres qui préparent leurs documentaires.
Votre boite est familiale en quelque sorte. Il y a vous, votre soeur Karima, votre maman qui est une grande réalisatrice...
Pour moi on est une équipe. Une équipe ça devient une famille et si vous remarquez, il y a d'autres personnes qui font partie de notre équipe qui n'ont pas de lien de sang avec notre famille, mais qu'on considère complètement comme faisant partie de notre famille. C'est vrai que ces derniers temps, le monde de l'audiovisuel montre une image un peu cruelle entre les artistes, mais les artistes ça reste quand même une famille. Parfois on s'entretue, on se déchire..Moi j'ai grandi vraiment avec la notion de la famille artistique. C'est vrai que ce sont des termes un peu galvaudés, mais les gens qui font ce métier, le font réellement par passion. Parce que très souvent ils ne vivent pas de ça. Ils trouvent tous quelque chose pour pouvoir survivre et continuent à financer leur passion. Nous sommes tous embarqués dans le même bateau. Logiquement, que l'on veuille ou pas, on est une famille.
Vous rencontrez tous les mêmes difficultés'
Oui tous, que l'on soit homme ou femmes. Que l'on soit fils de, fille de, ou pas du tout. Ce n'est facile pour personne. Il faut se battre tout le temps. Les difficultés ne sont pas inhérentes au métier, mais plutôt à la société, notamment pour les disparités entre homme et femme. Ce n'est pas parce qu'on est cinéaste femme et des cinéastes hommes, mais plutôt parce qu'on est une femme et on est un homme. Les difficultés résident là.
Parmi les difficultés auxquelles vous faites face actuellement il y a la menace de la dissolution du Fdatic....vous en pensez quoi'
En tant qu'association des producteurs, on s'est un peu renseigné là dessus, on n'a pas toutes les informations, mais on sait que le Fdatic a été dissous par le Premier ministère. Le ministère des Finances a arrêté les fonds spéciaux. Parmi eux, le fonds du cinéma. On nous dit que l'aide publique ne va pas s'arrêter et qu'ils vont trouver d'autres mécanismes d'aide publique. Il faut savoir que le cinéma, en général, dans le monde entier a besoin d'un fonds public. Au pire, il va complètement disparaître, au mieux il va disparaître au profit d'autres cinématographies. La nature n'aime pas le vide, sinon on va produire, on va rien raconter. On va nous raconter. Si l'Algérie veut garder quand même son identité, parce que le cinéma c'est quand même un vecteur impressionnant et pérenne d'identité, elle se doit de soutenir le cinéma. Aujourd'hui, lorsqu'on regarde un film américain des années 1920, 1930, 1950 on sait comment ils vivaient à ce moment-là, on connaît leur culture, on sait comment ils s'habillaient. On les voit parler, on entend leur voix, on entend leurs expressions..Si aujourd'hui on arrête de produire du cinéma algérien, on va effacer petit à petit notre identité. déjà on tend à l'effacer avec le peu de productions cinématographique, littéraire, pictural etc...Dans quelques années, les générations futures ne sauront pas à quoi ressemblait un Algérien en 2022' Déjà, c'était quoi un Algérien dans les années 1990' Il n' y a pas beaucoup de films qui parlent de ça..
C'est quoi donc la solution pour vous'
Nous, on est des cinéastes, pas des politiciens, ou des financiers. On n'est pas censé trouver des solutions, mais plutôt lancer des alertes et expliquer pourquoi l'Etat doit continuer à aider le cinéma. On a des arguments quand même valables. On ne défend pas que notre métier, on n'est pas des commerçants. Je ne me plains pas, mais on n'est pas des oligarques. On n'est pas en train de vivre du cinéma pour construire des villas et avoir des piscines. On veut juste faire notre travail. Déjà comme ça on n'arrive pas à survivre. On peut toujours se reconvertir vers autre chose. S'il le faut, on va devoir le faire. Mais c'est tellement triste pour l'art et la culture algérienne, pour les générations à venir. Ce serait un suicide culturel et identitaire. La suppression d'aide publique est un suicide identitaire. Ils peuvent trouver autre chose à la place du Fdatic. Il y a aussi la possibilité que le privé puisse investir ans le cinéma en lui donnant les assurances qu'il faut. Or, aujourd'hui un privé ne peut pas investir dans le cinéma. C'est trop risqué. Il n y a aucun loi qui le protège. Ce type qui va mettra de l'argent pour construire une salle de cinéma par exemple ou investir dans des studios, s'il a toujours l'épée de Damoclès sur la tête, il aura peur qu'on vienne lui fermer ou n'importe qui pourra décider qu'il doit fermer son commerce, il ne va pas investir s'il ne voit pas de retour d'investissement. Donc ou bien on continue à soutenir avec l'aide publique, et en même poser un espace sain pour l'investissement du privé ou bien laisser réellement le privé travailler et là, il faudra lui donner beaucoup de liberté, que ce soit en termes de liberté de création ou d'expression. On ne pourra pas vouloir fermer et produire en même temps. C'est contradictoire, ca ne marche pas. On ne peut pas créer en interdisant.


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