La steppe est
cette zone subaride des Hauts Plateaux à bas couvert végétal herbacé fait de
graminées à prédominance alfatière. Elle s'étend grossièrement des confins
ouest de Naâma à ceux de Tébessa à l'Est. L'alfa, ou
spart, est cette rustique plante qui sert à la fois de pacage aux cheptels,
principalement ovins, et de matière d'Å“uvre pour l'industrie papetière ou la
sparterie traditionnelle.
L'homme de la
steppe, agropasteur en général au visage buriné et à
l'allure altière, s'y est constitué un microcosme dont il tire ses besoins
alimentaires de subsistance. La sécheresse qui peut mettre en péril ces espaces
infinis est sa principale phobie. A l'inverse du sédentaire, ses grandes
enjambées en ont fait un infatigable marcheur ; il peut parcourir en quête
d'herbage pour son élevage, des distances de plusieurs dizaines de kilomètres
par jour. Pour ce faire, il nomadise avec armes et bagages, c'est-à-dire avec
tous les moyens dont il a besoin pour une rustique vie
communautaire. Ses attributs, relevant de la convention, sont d'abord son gite (tente), sa monture, son fusil, le fourreau de son bou saadi (couteau) en bandoulière,
ses chiens dont un slougui, sa basse cour et son
troupeau. Les troupeaux propres ou pour compte se dénombrent en a'ssa (cent têtes) ; ils peuvent aller jusqu'à 2 assi par pasteur en moyenne. Le marquage des bêtes va de
l'entaille sur l'oreille à la couleur distinctive en haut de l'échine. Il n'a
recours à la ville qu'épisodiquement, soit pour se ravitailler en victuailles
ou pour des soins qui dépassent la compétence matriarcale à qui ces gestes sont
dévolus. En plus de la famille propre, il a souvent en charge les aïeux et les
collatéraux en bas âge ou déchus maritalement. (SÅ“ur divorcée).Il est le chef
civil du petite bivouac ou de la smala clanique. L'implantation précaire, n'est
jamais fortuite, elle participe de canons ancestraux que régente la tradition.
La règle d'or, en est : la bonne distance des rives des cours d'eau, même secs
et des champs fraichement moissonnés ; la raison
évidente étant les risques de submersion par l'ondée ravageuse dans le premier
cas, ou des flammes incendiaires des chaumes dans le deuxième cas. Il puise ses
ressources matérielles et de l'animal domestique abattu et de l'environnement
naturel.
Les ustensiles et
articles à usage courant, sont manufacturés in situ par les mains expertes des
femmes en général. La tonte des bêtes à poil, chameau et chèvre, fournit la
matière première pour la confection des éléments d'habitat tels que la tente et
ses accessoires, Tissé sur un métier à même le sol, le flij
est cette pièce maitresse d'un seul tenant de
plusieurs mètres de long et d'un mètre de large qui solidarisée l'une à
l'autre, par el melkma( étroite bande épaisse) constitueront la tente. Fait de
poil de chèvre et de laine noire derâa,
imperméable, le tissage peut résister aux fortes intempéries et la chaleur
torride de ces zones où l'écart de température peut aller de la gelée nocturne
à la suffocation diurne. Les autres apprêts de la tente, sont plusieurs amad et 3 rkaiz supports de bois
grossièrement taillés de différentes dimensions assurant le soutien du tissage
et la déclivité. Arrimé au sol par el mouathag, pieux
faits de bois plantés en biais sur lesquels s'enroulera le cordage, la tente
est prête à l'usage. A l'intérieur, le compartimentage se fera à l'aide de
rideaux de même contexture pour aboutir à la maqsoura
destinée généralement à la gent féminine. La guiloua
est un auvent destiné à dissimuler l'intérieur en cas de présence masculine
externe ou à fermer l'accès la nuit tombée. L'entrée principale est
obligatoirement orientée sud-est pour éviter la forte réverbération solaire.
Les bords externes de la khaima son constamment
protégés par un drainage creusé à même le sol pour l'évacuation des
ruissellements. Un vieil adage pastoral recommande, toujours, de procéder à la
protection contre les flots même si le ciel, ne présage d'aucune averse. Les
trombes d'été, même de courte durée sont souvent dévastatrices. La prévision «
météo » est confiée archaïquement à une poignée de laine suspendue au faite de
la tente la nuit. Son degré hygrométrique, palpé par la main peut renseigner
sur la probabilité de la précipitation proche. La ventilation du logis est
assurée par le relèvement alternatif des bords inférieurs de l'ouvrage. Les
tribus distinguent leur appartenance par la couleur prédominante de la tente.
La grande tribu des Ouled Nail,
la plus grande d'Afrique du Nord dit-on, a opté pour le pourpre d'où le
qualificatif : beit el hamra.
L'alfa est ce don
de la providence divine qui fait de la matière inerte un objet aux multiples
usages. Le cordage usuel, appelé cherit est
confectionné à partir d'une tresse aussi longue que le besoin qui en est fait.
La base de la literie est réalisée à partir d'une natte appelée hsira dont les dimensions peuvent assurer le couchage d'une
nichée d'enfants. On distingue la commune et le boutaleb
en référence au djebel toponyme aux abords du Hodna.
Cette dernière, coloriée dessine de jolies figures géométriques savamment
agencées. La couverture et les coussins en laine aux couleurs chatoyantes sont
le produit du métier à tisser. Le tbag est ce
contenant dans lequel on met de la galette, des dattes sèches ou des friandises
festives. Il peut aussi, servir de support à un tajine brûlant de chakhchoukha. L'alfa est encore cette matière qui participe
à la confection de la rounia, immense corbeille à
grains, du couscoussier, du tamis ou encore de la g'nouna,
récipient destiné à l'eau de boisson. Ce dernier doit, cependant, subir une
imperméabilisation par l'huile de cade. Répulsif tout au début de son
utilisation par la forte odeur du goudron végétal, on s'y habitue au fil du
temps. Cet ustensile a l'avantage de rafraichir l'eau
qui y est déposée. Ce principe est repris par la guerba,
outre faite à partir de la peau tannée de la chèvre qui subie une large
imprégnation à l'huile de cade. Remplie d'eau et accrochée à un trépied, elle
ouvre par l'encolure fermée par un cordon. Elle sert aussi au transport de
l'eau ramenée d'ailleurs à dos de baudet. Séchée par salaison et tannée à la
farine, cette outre devient le mezouid servant à
stocker de la farine d'orge ou de la rouina. Cette
mouture de blé grillé, préparée en bouillie à laquelle est surajouté
du sucre et du beurre est un aliment à haute teneur calorifique. C'est le
coupe- faim des longues transhumances. Débarrassée de ses poils, la peau de
chèvre tannée par l'écorce de pin ou de grenade, devenue chekoua
est utilisée pour brasser le lait caillé afin d'en extraire le beurre. L'image
d'Epinal des peintres orientalistes, a souvent consisté à montrer une vieille
femme assise en tailleur derrière le trépied ou à moudre le grain dans une
antédiluvienne matehna (meule à bras). Le beurre
rance, fondu et salé, sera stocké dans une petite outre dénommée oukka.
Le lait
déshydraté est transformé en boulettes de k'lila pour
une longue conservation. Ecrasé et mélangé à de la datte molle et de la galette
à pâte brisée, ce succédané laitier donne une onctueuse pâte appelée ziriza tout aussi nutritive que la première citée. Mis à
part, le café, le sucre, l'huile et l'épicerie fine, la cuisine nomade n'a, qu'occasionnellement, recours à la cité urbaine.
Construite autour de la semoule d'orge, exceptionnellement de blé, des laitages
et de la datte molle (ghars), elle répond
parfaitement au contexte ambiant. La viande issue du cheptel caprin ou ovin,
peut être conservée durablement par la salaison ; on y tire le guedid ou kh'lii. Cette viande
séchée, immergée abondamment dans la graisse, est stockée dans un ziir, (amphore). Dessalée à l'emploi, elle agrémentera le
plat fumant de aich (gros couscous en sauce piquante)
qui fera la joie de la couvée quand le froid lacère les visages. Les autres
apports alimentaires, considérés comme des extras, sont puisés dans le parcours
herbeux. Il s'agira de chasse à la perdrix (hajla), à
l'outarde (h'bara), au lièvre (arnab)
et exceptionnellement à la gazelle (fechtal). La peau
de ces deux dernières proies, deviendra après traitement, une dhabia, petite outre à l'usage des enfants. L'homme de la
steppe se contentera de ce que peut contenir sa jebira
(gibecière), pas au-delà. Le printemps (arbii)
verdoyant, lui procurera le terfas(truffe), el fougâa (champignon)
et les fleurs de âslouj (évaporées et écrasées dans
du beurre, ces tiges florales donnent une succulente purée). Le jben, ce voluptueux fromage de brebis est confectionné dans
un lit en fuseau fait de tiges d'alfa appelé gafs. La
flore steppique, d'apparence rabougrie et sèche, est un riche arboretum aussi
bien pour la faune que pour l'homme. Ce dernier en tire une riche pharmacopée
traditionnelle dont le chih (armoise) est le fronton.
Le cheptel, quant
à lui, est parqué dans une zriba, un enclos fait de
branchage ou de grillage. Le fusil à portée de main, prévient contre les
incursions du chacal et le tient à bonne distance des animaux. Un bréviaire
approprié, distingue sur près d'une centaine de dénominations, les sujets du
troupeau. Utile pour l'identification de ses éléments constitutifs, il aidera à
la classification lors de la tonte saisonnière de la laine. Les toisons,
regroupées en cheflig (ballot) seront acheminées vers
les centres urbains pour leur transformation manufacturière. On désigne la
brebis mature par le vocable rumbi, l'agnelet par alouch, la jeune brebis par celui de rakhla
et l'agneau d'un an par th'ni. L'âge est déterminé
sans faille, par l'examen du mandibule dentaire. La
basse-cour, a la double fonction d'assurer
l'alimentation et la protection contre les scorpions et les vipères. La
volaille est connue pour en être le prédateur naturel. Les images les plus
marquantes de la vie à l'air libre sont, probablement, celles du crépuscule où
on regroupe les bêtes pour la traite. Du caverneux bêlement du bélier à la
complainte des agneaux à la recherche de leurs mères, la symphonie est sublime.
Le sevrage des agneaux est assuré par la kmama
(bâtonnet introduit transversalement dans la gueule et retenu par une fine
cordelette) La traite est, probablement, le seul instant de bonheur accompli où
le pasteur peut s'enorgueillir de la tâche réalisée. Les femmes, munies
d'écuelles s'affaireront fébrilement en mettant du cÅ“ur à l'ouvrage. On
commencera par traire les brebis qui viennent d'agneler ; le colostrum bouilli
donne un sublime fromage appelé l'ba. Il est servi en
guise d'offrande aux éventuels hôtes de marque. Ce rite immuable se fait
souvent, à la lumière d'un feu de bois. L'éclairage de la tente est assuré par
la lanterne au carbure de tungstène. La démocratisation du générateur
électrique a, probablement, rendu caduque cet attribut séculaire.
Il n'est point
surprenant de voir de temps à autre, des tentes surmontées d'antennes
paraboliques. La transhumance motorisée qui a, jadis, réduit considérablement
les distances à parcourir, est certainement la problématique de la déshérence
de la steppe. La flore steppique qui est fortement soumise au piétinement animalier
et au labour intempestif, est de plus en plus mise en péril par le
déchaussement végétal menant irréversiblement à la désertification. Ce legs
patrimonial naturel matériel, risque si on n'y prend pas garde, d'emporter dans
sa disparition, l'inestimable patrimoine immatériel fait de rituels culturels
propres à ces contrées.
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Posté Le : 13/10/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com