Algérie

La steppe, ce séculaire berceau du génie pastoral



La steppe est cette zone subaride des Hauts Plateaux à bas couvert végétal herbacé fait de graminées à prédominance alfatière. Elle s'étend grossièrement des confins ouest de Naâma à ceux de Tébessa à l'Est. L'alfa, ou spart, est cette rustique plante qui sert à la fois de pacage aux cheptels, principalement ovins, et de matière d'Å“uvre pour l'industrie papetière ou la sparterie traditionnelle.

L'homme de la steppe, agropasteur en général au visage buriné et à l'allure altière, s'y est constitué un microcosme dont il tire ses besoins alimentaires de subsistance. La sécheresse qui peut mettre en péril ces espaces infinis est sa principale phobie. A l'inverse du sédentaire, ses grandes enjambées en ont fait un infatigable marcheur ; il peut parcourir en quête d'herbage pour son élevage, des distances de plusieurs dizaines de kilomètres par jour. Pour ce faire, il nomadise avec armes et bagages, c'est-à-dire avec tous les moyens dont il a besoin pour une rustique vie communautaire. Ses attributs, relevant de la convention, sont d'abord son gite (tente), sa monture, son fusil, le fourreau de son bou saadi (couteau) en bandoulière, ses chiens dont un slougui, sa basse cour et son troupeau. Les troupeaux propres ou pour compte se dénombrent en a'ssa (cent têtes) ; ils peuvent aller jusqu'à 2 assi par pasteur en moyenne. Le marquage des bêtes va de l'entaille sur l'oreille à la couleur distinctive en haut de l'échine. Il n'a recours à la ville qu'épisodiquement, soit pour se ravitailler en victuailles ou pour des soins qui dépassent la compétence matriarcale à qui ces gestes sont dévolus. En plus de la famille propre, il a souvent en charge les aïeux et les collatéraux en bas âge ou déchus maritalement. (SÅ“ur divorcée).Il est le chef civil du petite bivouac ou de la smala clanique. L'implantation précaire, n'est jamais fortuite, elle participe de canons ancestraux que régente la tradition. La règle d'or, en est : la bonne distance des rives des cours d'eau, même secs et des champs fraichement moissonnés ; la raison évidente étant les risques de submersion par l'ondée ravageuse dans le premier cas, ou des flammes incendiaires des chaumes dans le deuxième cas. Il puise ses ressources matérielles et de l'animal domestique abattu et de l'environnement naturel.

Les ustensiles et articles à usage courant, sont manufacturés in situ par les mains expertes des femmes en général. La tonte des bêtes à poil, chameau et chèvre, fournit la matière première pour la confection des éléments d'habitat tels que la tente et ses accessoires, Tissé sur un métier à même le sol, le flij est cette pièce maitresse d'un seul tenant de plusieurs mètres de long et d'un mètre de large qui solidarisée l'une à l'autre, par el melkma( étroite bande épaisse) constitueront la tente. Fait de poil de chèvre et de laine noire derâa, imperméable, le tissage peut résister aux fortes intempéries et la chaleur torride de ces zones où l'écart de température peut aller de la gelée nocturne à la suffocation diurne. Les autres apprêts de la tente, sont plusieurs amad et 3 rkaiz supports de bois grossièrement taillés de différentes dimensions assurant le soutien du tissage et la déclivité. Arrimé au sol par el mouathag, pieux faits de bois plantés en biais sur lesquels s'enroulera le cordage, la tente est prête à l'usage. A l'intérieur, le compartimentage se fera à l'aide de rideaux de même contexture pour aboutir à la maqsoura destinée généralement à la gent féminine. La guiloua est un auvent destiné à dissimuler l'intérieur en cas de présence masculine externe ou à fermer l'accès la nuit tombée. L'entrée principale est obligatoirement orientée sud-est pour éviter la forte réverbération solaire. Les bords externes de la khaima son constamment protégés par un drainage creusé à même le sol pour l'évacuation des ruissellements. Un vieil adage pastoral recommande, toujours, de procéder à la protection contre les flots même si le ciel, ne présage d'aucune averse. Les trombes d'été, même de courte durée sont souvent dévastatrices. La prévision « météo » est confiée archaïquement à une poignée de laine suspendue au faite de la tente la nuit. Son degré hygrométrique, palpé par la main peut renseigner sur la probabilité de la précipitation proche. La ventilation du logis est assurée par le relèvement alternatif des bords inférieurs de l'ouvrage. Les tribus distinguent leur appartenance par la couleur prédominante de la tente. La grande tribu des Ouled Nail, la plus grande d'Afrique du Nord dit-on, a opté pour le pourpre d'où le qualificatif : beit el hamra.

L'alfa est ce don de la providence divine qui fait de la matière inerte un objet aux multiples usages. Le cordage usuel, appelé cherit est confectionné à partir d'une tresse aussi longue que le besoin qui en est fait. La base de la literie est réalisée à partir d'une natte appelée hsira dont les dimensions peuvent assurer le couchage d'une nichée d'enfants. On distingue la commune et le boutaleb en référence au djebel toponyme aux abords du Hodna. Cette dernière, coloriée dessine de jolies figures géométriques savamment agencées. La couverture et les coussins en laine aux couleurs chatoyantes sont le produit du métier à tisser. Le tbag est ce contenant dans lequel on met de la galette, des dattes sèches ou des friandises festives. Il peut aussi, servir de support à un tajine brûlant de chakhchoukha. L'alfa est encore cette matière qui participe à la confection de la rounia, immense corbeille à grains, du couscoussier, du tamis ou encore de la g'nouna, récipient destiné à l'eau de boisson. Ce dernier doit, cependant, subir une imperméabilisation par l'huile de cade. Répulsif tout au début de son utilisation par la forte odeur du goudron végétal, on s'y habitue au fil du temps. Cet ustensile a l'avantage de rafraichir l'eau qui y est déposée. Ce principe est repris par la guerba, outre faite à partir de la peau tannée de la chèvre qui subie une large imprégnation à l'huile de cade. Remplie d'eau et accrochée à un trépied, elle ouvre par l'encolure fermée par un cordon. Elle sert aussi au transport de l'eau ramenée d'ailleurs à dos de baudet. Séchée par salaison et tannée à la farine, cette outre devient le mezouid servant à stocker de la farine d'orge ou de la rouina. Cette mouture de blé grillé, préparée en bouillie à laquelle est surajouté du sucre et du beurre est un aliment à haute teneur calorifique. C'est le coupe- faim des longues transhumances. Débarrassée de ses poils, la peau de chèvre tannée par l'écorce de pin ou de grenade, devenue chekoua est utilisée pour brasser le lait caillé afin d'en extraire le beurre. L'image d'Epinal des peintres orientalistes, a souvent consisté à montrer une vieille femme assise en tailleur derrière le trépied ou à moudre le grain dans une antédiluvienne matehna (meule à bras). Le beurre rance, fondu et salé, sera stocké dans une petite outre dénommée oukka.

Le lait déshydraté est transformé en boulettes de k'lila pour une longue conservation. Ecrasé et mélangé à de la datte molle et de la galette à pâte brisée, ce succédané laitier donne une onctueuse pâte appelée ziriza tout aussi nutritive que la première citée. Mis à part, le café, le sucre, l'huile et l'épicerie fine, la cuisine nomade n'a, qu'occasionnellement, recours à la cité urbaine. Construite autour de la semoule d'orge, exceptionnellement de blé, des laitages et de la datte molle (ghars), elle répond parfaitement au contexte ambiant. La viande issue du cheptel caprin ou ovin, peut être conservée durablement par la salaison ; on y tire le guedid ou kh'lii. Cette viande séchée, immergée abondamment dans la graisse, est stockée dans un ziir, (amphore). Dessalée à l'emploi, elle agrémentera le plat fumant de aich (gros couscous en sauce piquante) qui fera la joie de la couvée quand le froid lacère les visages. Les autres apports alimentaires, considérés comme des extras, sont puisés dans le parcours herbeux. Il s'agira de chasse à la perdrix (hajla), à l'outarde (h'bara), au lièvre (arnab) et exceptionnellement à la gazelle (fechtal). La peau de ces deux dernières proies, deviendra après traitement, une dhabia, petite outre à l'usage des enfants. L'homme de la steppe se contentera de ce que peut contenir sa jebira (gibecière), pas au-delà. Le printemps (arbii) verdoyant, lui procurera le terfas(truffe), el fougâa (champignon) et les fleurs de âslouj (évaporées et écrasées dans du beurre, ces tiges florales donnent une succulente purée). Le jben, ce voluptueux fromage de brebis est confectionné dans un lit en fuseau fait de tiges d'alfa appelé gafs. La flore steppique, d'apparence rabougrie et sèche, est un riche arboretum aussi bien pour la faune que pour l'homme. Ce dernier en tire une riche pharmacopée traditionnelle dont le chih (armoise) est le fronton.

Le cheptel, quant à lui, est parqué dans une zriba, un enclos fait de branchage ou de grillage. Le fusil à portée de main, prévient contre les incursions du chacal et le tient à bonne distance des animaux. Un bréviaire approprié, distingue sur près d'une centaine de dénominations, les sujets du troupeau. Utile pour l'identification de ses éléments constitutifs, il aidera à la classification lors de la tonte saisonnière de la laine. Les toisons, regroupées en cheflig (ballot) seront acheminées vers les centres urbains pour leur transformation manufacturière. On désigne la brebis mature par le vocable rumbi, l'agnelet par alouch, la jeune brebis par celui de rakhla et l'agneau d'un an par th'ni. L'âge est déterminé sans faille, par l'examen du mandibule dentaire. La basse-cour, a la double fonction d'assurer l'alimentation et la protection contre les scorpions et les vipères. La volaille est connue pour en être le prédateur naturel. Les images les plus marquantes de la vie à l'air libre sont, probablement, celles du crépuscule où on regroupe les bêtes pour la traite. Du caverneux bêlement du bélier à la complainte des agneaux à la recherche de leurs mères, la symphonie est sublime. Le sevrage des agneaux est assuré par la kmama (bâtonnet introduit transversalement dans la gueule et retenu par une fine cordelette) La traite est, probablement, le seul instant de bonheur accompli où le pasteur peut s'enorgueillir de la tâche réalisée. Les femmes, munies d'écuelles s'affaireront fébrilement en mettant du cÅ“ur à l'ouvrage. On commencera par traire les brebis qui viennent d'agneler ; le colostrum bouilli donne un sublime fromage appelé l'ba. Il est servi en guise d'offrande aux éventuels hôtes de marque. Ce rite immuable se fait souvent, à la lumière d'un feu de bois. L'éclairage de la tente est assuré par la lanterne au carbure de tungstène. La démocratisation du générateur électrique a, probablement, rendu caduque cet attribut séculaire.

Il n'est point surprenant de voir de temps à autre, des tentes surmontées d'antennes paraboliques. La transhumance motorisée qui a, jadis, réduit considérablement les distances à parcourir, est certainement la problématique de la déshérence de la steppe. La flore steppique qui est fortement soumise au piétinement animalier et au labour intempestif, est de plus en plus mise en péril par le déchaussement végétal menant irréversiblement à la désertification. Ce legs patrimonial naturel matériel, risque si on n'y prend pas garde, d'emporter dans sa disparition, l'inestimable patrimoine immatériel fait de rituels culturels propres à ces contrées.








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