Algérie

La servante écarlate ou la dystopie réaliste


C'est un monde où les femmes sont réduites à l'esclavage : servantes sexuelles pour les unes et épouses soumises pour les autres. Un monde où la chute du taux de natalité a entraîné une révolution réactionnaire et inquisitrice dont les pratiques ne sont pas si improbables que ça !Suite à un coup d'Etat perpétré par Les fils de Jacob aux Etats-Unis, le pays passe sous une dictature politico-religieuse où l'ordre moral protestant est impitoyable et où la société est purgée de tous ses éléments «impurs». La progression puis l'ascension fulgurante de ce groupe et de ses idées ont été favorisées par la chute du taux de natalité de plus en plus alarmant.
En cause : la pollution environnementale, les maladies sexuellement transmissibles et le fait que les femmes ont négligé leur «vocation biologique» qu'est la maternité. Les enfants deviennent l'élément fondateur de cette idéologie aux confins du nazisme et du patriarcat : l'espèce humaine risque l'extinction, ses seules chances de survie résident dans le retour aux valeurs morales du protestantisme fondamentaliste, la rééducation de la société, le respect de la planète et l'assujettissement des femmes.
Ainsi, les hommes deviennent maîtres de tout. Les femmes, quant à elles, se répartissent en cinq catégories : les épouses, soumises et obéissantes vêtues d'une cape verte ; les «tantes», gardiennes du temple et «dresseuses» de jeunes filles, flanquées d'un uniforme brun ; les «Martha» ou les domestiques habillées en gris ; «les éconofemmes» sont des blanchisseuses ou femmes au foyer de la classe moyenne et les «servantes» vêtues en rouge qui sont des femmes «fertiles» asservies en raison de leur passé jugé immoral. Elles ont toutes un point commun : déchues de leur statut de citoyennes, interdites de travail, de compte bancaire, de lecture et d'écriture. Ce pays s'appelle «Gilead», son économie est essentiellement basée sur l'agriculture bio mais subit de plein fouet les sanctions étrangères. Le gouvernement américain est, quant à lui, en exil au Canada et soutient un réseau de résistance surnommé «Maiden».
Le personnage principal campé par Elisabeth Moss est June ou Defred (car les servantes sont rebaptisées en fonction du prénom de leur maître). Anciennement secrétaire d'édition, mariée et mère d'une petite fille. Capturée pendant une tentative d'évasion au Canada, elle rejoindra d'autres futures servantes au Centre rouge, véritable lieu d'endoctrinement et de sévices qui préparent ces femmes à devenir de simples incubatrices à bébés et pratique les pires châtiments contre les récalcitrantes, dont l'extrême onction est leur bannissement dans les colonies où elles ramasseront des déchets toxiques et mourront dans d'atroces souffrances.
Inspirée du roman au titre éponyme de Margaret Atwood publié en 1985, la série se distingue par un réalisme glaçant et une minutie scénaristique admirable. Elle est surtout servie par un casting convaincant dont l'atout majeur est Elisabeth Moss, à la fois fragile et invincible, mercurielle et émouvante. La servante écarlate possède donc des qualités indéniables et ne laisse pas le téléspectateur indifférent face à une dramaturgie et une mise en scène rigoureuses et haletantes. Elle a notamment le mérite de passer subtilement l'idée qu'un tel monde n'est pas impossible et que, comme le disait De Bouvoir, toute crise majeure entraîne en premier lieu la remise en cause des acquis en termes des droits des femmes.
Sauf que la série, aussi féministe et engagée puisse-t-elle paraître, révèle au fil des épisodes un certain schématisme politique caractéristique du récit américain type. Ainsi, la seule chose qui peut menacer les droits des femmes est le fondamentalisme religieux et le totalitarisme idéologique façon dictateurs «classiques». Le gouvernement américain, lui, est le garant des libertés individuelles et le sauveur des femmes.
Par ailleurs, certaines scènes en disent long sur la vision du féminisme véhiculée dans la série. Dans un moment de complicité rare avec son «maître», June se voit offrir un magazine de mode et du rouge à lèvres, comme pour lui faire revivre un instant son statut antérieur de femme «libre». Un «féminisme» qui n'est pas sans rappeler une certaine tendance idéologique dite progressiste en Algérie où l'on considère qu'une femme émancipée se définit exclusivement par son droit de s'habiller et de se maquiller comme bon lui semble ! Par opposition, La servante écarlate dépeint donc subtilement le monde d'avant (c'est-à-dire l'Amérique capitaliste et «démocratique») comme le paradis perdu des femmes ! Exit, le patriarcat, l'exploitation, la culture du viol, le sexisme et le puritanisme d'hier et d'aujourd'hui ! Pire, le régime tyrannique des Fils de Jacob adopte un certain discours écologique en favorisant l'agriculture bio, les éoliennes et le mode de vie frugal, et en fustigeant ce que les dirigeants et les multinationales ont fait subir à la planète dans leur course effrénée à la croissance.
Cette confusion déconcertante entre fascisme religieux, écologie et anticapitalisme entache ainsi la série qui verse carrément dans la propagande hollywoodienne de bas étage.
S. H.
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