CREATION DU PREMIER CENTRE AGRICOLE : SAINT CLOUD
C’est par ordonnance du 4 décembre 1846 que fut créé le Centre de Saint-Cloud. Mais l’origine de cette localité remonte à 1 845.
À cette époque, un Espagnol, Joseph Huertas Campillo, ayant organisé un service de voitures d’Oran à Mostaganem, avait établi un relais à Saint-Cloud, qui portait alors le nom arabe de Gdyel.
Il fit construire sur le bord de la route un baraquement en planches pour servir d’écurie aux chevaux et de gîte à leurs gardiens. Cet abri ne lui parut pas suffisant lorsqu’il eut aperçu pendant plusieurs nuits un lion rôder aux alentours. Il remplaça le baraquement par une construction en maçonnerie, espèce de redoute qu’il flanqua de deux échauguettes pour se défendre à la fois contre les fauves et contre les malfaiteurs. Huertas joignit dès lors à son entreprise de voitures publiques le commerce des comestibles et
établit à Gdyel un magasin pour les militaires, allant de Mostaganem à Oran et vice versa, et sur la façade duquel il fit mettre comme enseigne « A la ville de Saint-Cloud. Cette dénomination que l’ordonnance de 1 846 devait consacrer, est due à une circonstance assez singulière. M. Huertas confia le travail de l’enseigne à un peintre de nationalité espagnole, de passage dans la « localité ». Celui-ci avait fait son Tour de France et le Saint-Cloud de la capitale l’avait tellement impressionné qu’il demanda et obtint l’autorisation de rappeler en quelques lettres, qui ont eu un effet auquel il ne songeait sans doute pas, un souvenir qui lui était cher.
Dans le courant de cette même année 1846, un Français, M. Laville, était également venu à Saint-Cloud dans le but d’y établir une filature de laine. Une chute d’eau lui avait été promise pour mettre en mouvement les machines nécessaires à cette industrie ; mais il ne put réaliser son projet parce qu’il n’y avait en fait de chute d’eau qu’une modeste source. Il obtint cependant une concession et se fixa à Saint-Cloud pour y pratiquer la culture. Mais ni Huertas, ni Laville n’avaient encore défriché aucun espace de terrain appréciable à l’arrivée du « détachement ». Tout restait à faire comme travaux de colonisation, et l’on peut dire que la création du village de Saint-Cloud date réellement de 1848. Le détachement qui devait peupler le Centre de Saint-Cloud partit de Paris, plus exactement de Bercy, le 8 octobre 1848.
On communiqua aux colons qui le constituaient le plan du pays où on les envoyait. C’était superbe. Saint-Cloud y était représenté comme un vrai pays de cocagne. Une grande rivière arrosait la contrée et entretenait la vie de nombreux arbres d’une riche végétation. Des routes larges et commodes mettaient Saint-Cloud en communication avec les centres existants ou à créer. Sans doute les auteurs du plan n’avaient-ils jamais vu Saint-Cloud mais ils sentaient le besoin de stimuler les indécis par des appâts trompeurs.
Au cours de leur long parcours fluvial et ferroviaire, les émigrants – cruelle prédestination - reçurent parfois un très mauvais accueil. On les prit pour une troupe d’insurgés, condamnés à la déportation. Ils durent essuyer de la part d’un grand nombre de spectateurs placés sur les ponts au-dessus desquels ils passaient, une pluie d’injures et de pierres. Ils n’échappèrent même pas au coup de pied de l’âne. Les détenus de la Maison Centrale, édifiée sur la rive du fleuve près de Melun, leur envoyèrent un salut fraternel, témoignage délicat de la sympathie qu’ils éprouvaient pour des « copains ». Heureusement, à partir du passage dans les canaux du Loing et de Briare, les riverains firent généralement aux émigrants un accueil enthousiaste qui vint adoucir quelque peu leur amertume du départ.
Mais voici le compte rendu de ce départ, paru dans le numéro du 19 octobre 1848 du Moniteur de Paris.
Ce matin, à 7 heures, les colons composant le premier convoi que le gouvernement dirige vers l’Algérie étaient réunis à Bercy. Le ministre de la Guerre présidait celle réunion et il a gratifié nos braves émigrants d’un discours et d’un drapeau autour duquel la troupe doit se regrouper pendant le voyage et à son arrivée dans la colonie.
Cinq remorqueurs chauffaient, ils étaient attelés à dix bateaux qui contenaient cent soixante individus chacun, soit mille six cents habitants allant en Afrique fonder une nouvelle France. Le capitaine du génie Chapelain fut désigné pour prendre le commandement du convoi puis de la colonie agricole de Saint-Cloud.
Six grands bateaux de 30 mètres de long, dits « toues de la Loire », et couverts d’un cabanage en planches sont affectés aux huit cent quarante-trois colons de Saint-Cloud. Quatre de ces bateaux contiennent chacun cent quatre-vingts colons et l’ambulance. Un cinquième en contient quatre-vingt, un sixième est affecté aux bagages. Chacun des colons a pu joindre à ses bagages les outils les plus essentiels et les moins encombrants de sa profession.
Durant le voyage, ils étaient formés en groupes de douze individus avec un chef chargé de maintenir l’ordre, de recevoir et de distribuer les vivres aux heures des repas. Un livret a été remis à chacun des colons chefs de famille. Il renferme, outre le décret de l’Assemblée nationale qui a constitué les colonies agricoles, toutes les indications relatives à l’état civil du colon et de sa famille, et aux diverses prestations qu’il recevra (habitation, jardin, terres, effets de couchage, ustensiles de campement, semences, instruments de culture, cheptel, rations de vivres et salaire pour les ouvriers d’art).
Le voyage doit s’effectuer de Paris à Roanne par la Seine, les canaux du Loing et de Briare et le canal latéral à la Loire. De Roanne à Givors le trajet se fera par chemin de fer, de Givors à Arles, par bateaux à vapeur et d’Arles à Marseille par chemin de fer. Le voyage jusqu’à Marseille durera de huit à neuf jours. De Marseille à Oran, la traversée se fait normalement en soixante-quinze heures.
Le 26 octobre 1848, on parvint au terme du voyage à Saint-Cloud. Des soldats du 12e régiment d’infanterie légère, en détachement dans le futur village, reçurent les colons l’arme au bras, persuadés eux aussi qu’ils avaient affaire à un troupeau d’insurgés.
Comme il fallait s’y attendre, l’arrivée à Saint-Cloud fut une cruelle déception. On se trouvait dans un pays inculte et inhabité. La rivière, vue de Paris, n’existait que sur le papier. Seul un mince filet d’eau venant de la colline voisine traversait le « village » et allait se perdre dans les lentisques et les palmiers nains qui représentaient les grands arbres annoncés.
À l’aspect de ce pays, couvert de broussailles et dépourvu d’habitations, ce furent des plaintes et des récriminations haineuses contre les trompeurs qui avaient préparé ce guet-apens. Et c’était pitié de voir ces combattants pacifiques mesurant de l’œil cet ennemi invisible et qu’on devinait pourtant sous chaque pied de lentisque ou de palmier. La lutte avec la charrue menaçait d’être aussi impitoyable que celle avec le sabre. Quelques-uns désespérèrent en songeant à la somme d’efforts nécessaire pour vaincre cet ennemi et dont ils ne se sentaient pas capables. Jamais, pensaient-ils, des récoltes ne pousseraient dans ce terrain en broussailles, jamais la charrue ne féconderait ce sol aride et n’y développerait de mamelles assez puissantes pour nourrir des habitants. La terre promise était le désert, la solitude et la mort.
Le nom même de Saint-Cloud donné à ce pays leur semblait une cruelle dérision, et ne leur rappelait le Saint-Cloud de la capitale que pour les plonger dans une douleur abîmant tout leur être dans le regret et le désespoir.
Trois mois avant l’arrivée de la colonie, l’armée avait exécuté les travaux nécessaires à l’établissement d’un village.
Les colons furent logés dans des baraquements en planches formant dix corps de bâtiments.
La démoralisation ne tarda pas à produire ses funestes effets. Quelques jours à peine écoulés, des demandes de rapatriements furent faites. Le découragement avait surtout gagné les ouvriers d’art. Il y eut en effet deux catégories de Français bénéficiaires des crédits affectés à l’implantation de colonies agricoles : les cultivateurs et les ouvriers d’art. Ces derniers étant les moins favorisés partirent à la première occasion.
Ceux qui restèrent reçurent chacun une concession d’un terrain qui n’appartenait à personne, le pays étant pratiquement désert. Chaque concession était de six ares dans le village et un lot de jardin de vingt ares et, en outre, dans le périmètre de la commune, un lot variant de deux à dix hectares selon l’importance de la famille. Après détermination de ces lots, chaque cultivateur reçut un bœuf, un porc, des semences, une charrue et les outils agricoles nécessaires ainsi que les ustensiles de ménage indispensables. Cette distribution était gratuite. Il n’y avait plus qu’à se mettre à l’œuvre. On s’y mit résolument.
Les difficultés commencèrent. À celles de mettre en valeur des terres entièrement en friches, vint s’ajouter le changement de climat, avec l’atteinte des fièvres. Les premières récoltes furent décevantes : production insuffisante, mévente des produits. Les colons cherchèrent à vendre le bois des arbustes venant du défrichage. Mais lorsque, après un long trajet sur une piste pleine d’ornières et de rochers, on parvenait à Oran, on y vendait la charretée de bois pour 5 ou 6 francs et parfois même on l’abandonnait faute d’acquéreur et il fallait revenir rompu et le ventre creux.
Pour comble de malheur, le choléra vint frapper la population, dès 1849, la plongeant dans la consternation et l’angoisse. L’année 1 851 fut terrible : cent quarante-deux décès dont cent au mois d’août et dix-neuf en un seul jour. On en fut réduit à entasser les morts dans une charrette pour les emporter au cimetière.
Beaucoup s’enfuirent pour échapper au terrible fléau, seuls les plus courageux, laborieux et patriotes restèrent à Saint-Cloud. Leurs efforts et leur héroïque persévérance ne furent pas déçus par la suite.
L’autorité militaire leur construisit trois cents maisons d’un type unique et, peu à peu, avec une meilleure connaissance du pays et du climat, ces premiers Français d’Algérie commencèrent à récolter le fruit de leurs peines et de leurs souffrances.
Ils s’habituèrent au pays qui était alors infesté de lions, de panthères, de hyènes et de très nombreux chacals et sangliers, ce qui permit à quelques-uns d’exercer leurs talents de chasseurs.
On cultivait surtout des céréales, puis on en vint à l’écorçage du chêne vert et à la récolte de l’alfa et du palmier nain pour la fabrication du crin végétal et de la vannerie.
Le premier essai de viticulture date de 1 851. On. avait fait venir des plants de France, mais les ceps avaient beaucoup souffert et étaient arrivés presque desséchés. La plantation fut ainsi retardée puis la sécheresse acheva l’œuvre de destruction et l’essai en resta là. En 1862, un nouvel essai fut tenté par trois colons, mais on n’obtint d’abord que du raisin de table. En 1864, après une sélection des meilleures qualités et un travail opiniâtre, on parvint à planter deux hectares. Dès lors, les innovateurs de cette culture distribuèrent gratuitement des boutures à leurs voisins, les encourageant à planter à leur tour. En dépit de difficultés multiples, dont l’inexpérience des cultivateurs, la sécheresse, les sauterelles, etc., en 1868, il y avait dix hectares de vigne. Mais le grand essor ne se produisit réellement qu’à partir de 1872-1873, époque où M. Louis Laurent obtint une première récompense à l’exposition de Vienne (Autriche), pour ses vins et ses eaux-de-vie de marc.
Tous les colons se mirent dès lors à défricher leurs terres et à planter de la vigne. Mais, par manque de capitaux et d’outillage de vinification, la qualité des produits laissa longtemps à désirer. La confiance et la persévérance opiniâtre des colons furent cependant récompensées par le succès.
Un hommage particulier doit être rendu à ces rudes travailleurs qui ont changé ces plaines et ces coteaux arides, ces friches de broussailles inextricables, en luxuriant vignoble. En 1894, Saint-Cloud comptait au total 2 964 hectares de vigne en plein rapport. Que de chemin parcouru en trente ans !.
À la viticulture qui devint prédominante dans le pays, vint s’ajouter la meunerie. Durant les premières années la petite colonie devait faire venir de Mostaganem ou d’Oran la farine nécessaire à sa consommation locale. Puis, en 1852, M. Huertas fit bâtir un moulin à vent qui fonctionna jusqu’en 1 883 et que l’on pouvait encore voir sur la propriété Brière vers la fin des années 1920…
Par la suite, un sous-officier d’intendance d’Oran, M. Lanoé, eut l’idée d’installer, en 1884, un petit moulin à vapeur. Deux ans plus tard, ne pouvant suffire à la demande, il agrandit son usine et l’équipa de moteurs plus puissants. En 1890, enfin, il dut procéder à de nouveaux aménagements et construisit une belle usine qui fournissait toute la. région. En cinquante ans, aidés par l’armée, les colons français auxquels s’étaient joints de nombreux ouvriers agricoles espagnols et arabes transformèrent un désert hostile et insalubre en une jolie commune verdoyante. En 1867 eurent lieu les premières élections et l’installation du premier conseil municipal. En 1874, les musulmans votèrent avec les Français aux nouvelles élections municipales.
Dès lors, la commune de Saint-Cloud devenait majeure et commençait le chemin de sa croissance qui devait la conduire à se transformer au cours de notre siècle jusqu’à devenir une charmante petite ville de dix mille habitants.
Le lecteur sera peut-être surpris que ce récit laisse si peu de place à la population autochtone. Au début, celle-ci n’était constituée, pour la région de Gdyel, que d’un ou deux douars assez éloignés de l’implantation de la colonie française. Leurs habitants logeaient sous des tentes et vivaient misérablement du produit de leur troupeau et de mauvaises et rares récoltes arrachées à un sol plein de rochers et de cailloux par un travail des plus sommaires et archaïque.
Incrédules et méfiants, voire hostiles, ils observaient de loin les travaux refusant toute collaboration. Puis, les résultats s’affirmant, ils se rapprochèrent peu à peu de ces hommes qui savaient transformer le désert en « paradis ». Ils furent bien accueillis et on leur offrit, avec du travail, une nourriture plus abondante et des soins.
Leur méfiance s’évanouit et leur incrédulité aussi. Ils vinrent de plus en plus s’embaucher pour les travaux des champs et apprendre comment obliger cette terre sauvage et rebelle à nourrir les hommes.
Peu à peu, certains abandonnèrent le douar et la tente pour une maison plus confortable dans le village et ainsi la population de ce dernier prit son aspect humain et social définitif où les deux communautés, sans s’interpénétrer, vivaient en bonne intelligence et se sentaient solidaires dans la tâche à accomplir pour l’amélioration du sort et la prospérité de tous.
Un sentiment de reconnaissance et de fidélité envers la France qui leur avait permis ce miracle, s’implanta au cœur de chacun et c’est ainsi que le monument aux morts de ce village devenu une petite ville portait des noms français, espagnols et arabes fraternellement unis dans le même sacrifice pour la mère patrie. Des noms d’Algériens devenus français qu’étaient devenus les descendants des pionniers et des autochtones des débuts.
Guy HUERTAS - Ingénieur - ALICANTE, Espagne
27/03/2019 - 399295
Posté Le : 26/03/2019
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : R S
Source : www.lesoirdalgerie.com