Algérie

La sécurité énergétique, une priorité pour quels objectifs ?



La sécurité énergétique, une priorité pour quels objectifs ?
PUBLIÉ LE 29-05-2022 dans le quotidien Le Soir d’Algérie

Par le Pr Baddari Kamel(*)
La complexité, l'ampleur et la profondeur des problèmes énergétiques de notre époque placent la sécurité énergétique parmi les composantes les plus importantes de la sécurité nationale. En tant que problème politique, la sécurité énergétique est apparue au début du XXe siècle dans le cadre de l'approvisionnement en carburant des forces armées. Au tournant du XXIe siècle, le problème de la sécurité énergétique revêt une importance particulière, qui est due, d'une part, à l'épuisement des réserves prouvées de sources d'énergie naturelles, et, d'autre part, à la hausse de la demande en Asie, des perturbations de l'approvisionnement en gaz en Europe, de la pression pour décarboner les systèmes énergétiques et des troubles géopolitiques.
L'approvisionnement en énergie de la population est l'un des principaux problèmes étroitement liés à d’autres questions de politique énergétique, dont la solution détermine le développement durable du pays, c'est-à-dire un développement sans épuiser les ressources économiques, environnementales et sociales et sans transférer une charge disproportionnellement lourde aux générations futures.
C'est pourquoi la sécurité énergétique doit rester une priorité. Ainsi, un décret présidentiel n°22-112 du 15 mars 2022, donnant naissance au Haut-Conseil de l’énergie, a été publié dans le Journal officiel n°19 du 19 mars 2022. Cette institution, présidée par le président de la République, est chargée de définir les orientations dans le domaine de la politique énergétique nationale, d'en assurer le suivi et la stratégie en matière de sécurité énergétique face à ses véritables défis.
La sécurité énergétique, un concept à géométrie variable
Il n’y a pas de définition universelle de la sécurité énergétique. Actuellement, il existe plus de 80 formulations et interprétations du concept de sécurité énergétique. Diverses sources définissent la sécurité énergétique de différentes manières, à savoir, l'indépendance énergétique de l'État en tant que caractéristique du complexe de chaleur et d'électricité du pays ; en tant qu'État de protection des citoyens, de la société et de l'État contre la menace d'une pénurie d'énergie, de combustibles et de ressources énergétiques ; en tant qu' État de la société et de l'économie, qui permet de maintenir le niveau requis de consommation d'énergie ; comme un ensemble de conditions dans lesquelles il n'y a pas de déficit énergétique ; comme moyen d'influence économique et politique ; comme un système réglementé de déplacement fiable et sûr les ressources en carburant et en énergie et les facteurs de production connexes à l'échelle mondiale, offrant un environnement économique serein et durable. Le Conseil mondial de l'énergie définit la sécurité énergétique comme l'assurance que l'énergie sera disponible en quantité et en qualité requises dans des conditions économiques données. L’Agence internationale de l'énergie (AIE), créée dans les années 1970 pour coordonner une réponse vigoureuse aux perturbations de l’approvisionnement en pétrole, définit la sécurité énergétique comme la disponibilité ininterrompue de sources d'énergie à un prix abordable. En revanche, la revue scientifique américaine Energy Policy mentionne les quatre A de la sécurité énergétique (Availability, Accessibility, Affordability and Acceptability), c'est-à-dire la disponibilité, l’abordabilité, l’accessibilité et l’acceptabilité. Ces derniers temps, un vif intérêt s’est manifesté en faveur de l’intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique en tant que mesure prioritaire pour faire face à la sécurité énergétique et au changement climatique.
L’ensemble de ces éléments invite à penser à l'impossibilité de rechercher une définition commune de la sécurité énergétique. Ceci étant, la présence de plusieurs définitions de la sécurité énergétique ne signifie pas nécessairement l'existence de différents concepts de sécurité énergétique. C'est ce qui explique en grande partie les variations des priorités et des politiques de sécurité énergétique entre les différents pays. De telles différences soulignent plutôt qu'elles n'annihilent pas une conceptualisation claire de la sécurité énergétique fondée sur les intérêts énergétiques, les menaces énergétiques et la protection de l'énergie. A notre avis, la sécurité énergétique signifie l'état de protection du pays, de ses citoyens et de son développement socio-économique contre les menaces pesant sur le plus haut niveau possible de fiabilité de l'approvisionnement en carburant et en énergie. Ces menaces sont déterminées à la fois par des facteurs externes (géopolitiques, macroéconomiques, de marché, de situation d’urgence, de perturbations économiques, sociales et politiques) et d’autres internes en relation avec l'état et le fonctionnement du secteur énergétique du pays. Dans un sens global, la sécurité énergétique peut être envisagée sous plusieurs niveaux : mondial, interétatique, national, régional et local. Cela implique des mesures et des politiques adaptées pour renforcer la sécurité énergétique à diverses hiérarchies.
L’Algérie, demain commence aujourd’hui
Posons-nous la question suivante : que sera l’Algérie dans 50 ans ? Une réponse immédiate touchant plusieurs domaines traverse tout de suite l’esprit : changements démographiques, défis écologiques, problématiques énergétique, climatique…
Ainsi, assurer la sécurité énergétique implique de garantir la protection de l'individu, de la société et de l'État contre une pénurie de combustibles et de ressources énergétiques, d'assurer la stabilité de l'approvisionnement énergétique pour la consommation intérieure, d'adapter l'économie nationale aux nouveaux prix mondiaux, d'assurer la sécurité des infrastructures énergétiques, des centrales électriques, oléoducs et gazoducs et autres éléments vitaux. Dans son intervention sur la Chaîne III de la Radio nationale le 26 octobre 2020, Abdelmadjid Attar, ex-ministre de l’Énergie, a indiqué que la sécurité énergétique nationale sera assurée au moins jusqu'en 2040, notamment grâce à des réserves prouvées de 2 500 milliards de m3 de gaz et 1,7 milliard de tonnes de pétrole (APS https://www.aps.dz/economie/111799-attar-la-securite-energetique-nationale-assuree-au-moins-jusqu-en-2040). Ces chiffres donnent lieu à des discussions, car ces réserves sont des quantités d’hydrocarbures prouvées que l’on estime récupérables, en particulier pour le pétrole, compte tenu des conditions techniques et économiques du moment. Les réserves prouvées sont celles qui revendiquent un niveau de certitude approximatif d'au moins de 90 % d'être récupérées avec succès. La récupération signifie que seule une partie de pétrole contenu dans le champ pétrolifère peut être économiquement et techniquement récupérable. Le taux de récupération du pétrole est de l’ordre de 35% en moyenne et qui peut être stimulée dans l’avenir. En supplément, il existe des réserves non prouvées (probables et possibles), estimées comme moins récupérables, qui tiennent compte des découvertes futures.
Naturellement, les enjeux énergétiques de demain doivent être pris en considération dès aujourd’hui. Comment ? Comme on le sait, la base de toute sécurité est constituée par les intérêts, les menaces, les risques et la protection, il est donc évident que la sécurité énergétique ne fait pas exception et repose sur les intérêts énergétiques, les menaces énergétiques, les défis énergétiques, les risques énergétiques et la protection énergétique.
L'essence des intérêts énergétiques se résume à l'utilisation rationnelle des ressources disponibles de tous types d'énergie qui en sont tirées, ainsi qu'à la production, la conservation et l'accumulation d'un potentiel énergétique et des ressources de haute qualité, y compris par le biais de sources d'énergies alternatives. Un rôle particulier dans le système des intérêts énergétiques sera de résoudre les problèmes de dépréciation et de manque de capacité, de créer les conditions pour le développement de nouvelles industries, l'expansion et la reconstruction des équipements existants et des réseaux de transport d'énergie, puisqu'ils déterminent le niveau de développement du système énergétique, industriel et de transport du pays et, en définitive, le bien-être des citoyens.
Les menaces à la sécurité énergétique sont l’ensemble des conditions et des facteurs qui peuvent causer des dommages à ce secteur. Les menaces à la sécurité énergétique de l'État et de ses citoyens peuvent provenir à la fois de l'intérieur et de l'extérieur du pays. À l'intérieur du pays – l’épuisement des gisements existants ; le vieillissement des infrastructures ; la diminution de la taille et de la qualité des gisements découverts ; la consommation irrationnelle des ressources énergétiques ; le manque de personnel hautement qualifié ; les activités d’innovation insuffisantes ; la corruption dans le secteur ; (...) De l'extérieur – les actions néfastes délibérées d'acteurs étrangers ; la réduction des marchés énergétiques extérieurs traditionnels et les difficultés liées à l'accès à de nouveaux marchés énergétiques ; la restriction à l'accès des institutions énergétiques nationales à certaines technologies ; l’émergence et l’escalade militaro-politique, le sabotage d’origine criminelle, les cyberattaques, les catastrophes naturelles, les menaces transfrontalières ; l'utilisation par certains gouvernements étrangers de moyens juridiques internationaux afin d'endommager le complexe énergétique national...
Le défi à la sécurité énergétique est un ensemble de facteurs qui incite au développement de l'énergie, mais qui peut également conduire à une menace pour la sécurité en question. Les défis externes sont : le ralentissement de la croissance de la demande mondiale en ressources énergétiques ; la chute du prix des produits énergétiques sur le marché international ; l'efficacité énergétique ; la concurrence accrue entre les exportateurs d'énergie ; les lois de l'offre et de la demande comme déterminant les prix de l'énergie ; l'évolution de la réglementation internationale et des marchés mondiaux de l'énergie ; l’accroissement de la part des sources d'énergie renouvelables... L’un des défis principaux internes de l’Algérie consiste à équilibrer les besoins en carburant et en ressources énergétiques et les possibilités d’y répondre. En tenant compte du concept du développement énergétique durable, l’extraction et la consommation des hydrocarbures ne devraient pas réduire les réserves nationales en ressources énergétiques prouvées. Cela signifie que tout épuisement du pétrole et du gaz non renouvelables doit être compensé par l’exploration de nouveaux gisements, ainsi que le développement de nouvelles technologies liées à l’exploration et l’exploitation de sources d’énergie non conventionnelles telles que le pétrole très visqueux, le schiste bitumineux, le gaz de schiste et les hydrates de gaz, sans perturber l’équilibre écologique. Les autres défis internes sont situés au niveau de la transition de l’Algérie vers un nouveau modèle de développement socio-économique, qui implique une transformation structurelle de l'économie et un développement régional équilibré ; la croissance de la consommation intérieure algérienne en énergie ; le soutien des prix de l'énergie dans le marché intérieur ; la décroissance des exportations de pétrole brut par rapport à l'augmentation des importations des dérivés du pétrole ; le développement des centrales électriques et, enfin, la réussite de la transition énergétique.
Les risques ou vulnérabilités pour la sécurité énergétique associés aux défis et menaces externes sont : un manque d’un plan stratégique de développement énergétique ; une préparation institutionnelle insuffisante pour fonctionner en cas de menaces externes ; une prise de mauvaises décisions d'investissement à long terme dans des conditions de grande incertitude sur les marchés mondiaux de l'énergie.
La protection énergétique fait référence à diverses mesures visant à limiter et à éliminer les conséquences des menaces émergentes pour les intérêts énergétiques qui peuvent être qualifiées de protection active ou de sécurité énergétique active. Ainsi, la nature mondiale des problèmes énergétiques, leur politisation, ainsi que l'importance des industries énergétiques pour l’Algérie prédéterminent la nécessité de moderniser son complexe énergétique, d'assurer la sécurité physique de ses infrastructures, de stimuler davantage l'introduction de technologies innovantes qui garantissent une production plus efficace d'hydrocarbures et réduisent le risque d'impact négatif de leur production et de leur utilisation sur l'environnement, d'améliorer le cadre juridique, etc. Afin de répondre en temps utile aux défis et menaces pesant sur la sécurité énergétique, la création d’un système de gestion des risques dans le domaine de la sécurité énergétique sera indispensable.
Selon les données actuellement disponibles, on comprend clairement que les énergies fossiles constitueront encore une partie très importante du bouquet énergétique de l’Algérie à moyen terme, ce qui signifie un renforcement significatif du développement du gaz et du pétrole conventionnels. Même si l'une des principales orientations de la stratégie de protection énergétique de l'État consistera à accélérer le développement des ressources énergétiques alternatives et des technologies de pointe, ce qui implique d'accélérer l'expansion de la consommation de gaz, de déchets solides municipaux, ainsi que le gaz de schiste et des énergies renouvelables, la stratégie à moyen terme devra maintenir l’accent sur l’investissement dans le développement des énergies traditionnelles.
In fine, la sécurité énergétique algérienne doit être assurée par un approvisionnement sans déficit en énergie pour l'économie nationale et les ménages, une rentabilité d'un tel approvisionnement et, enfin, une possible extraction, production et consommation de cette énergie dans un cadre de technologies et de mesures environnementales y afférant.
Conclusion
Une sécurité énergétique nationale sûre est déterminée par la suffisance des ressources, l'accessibilité économique, l'acceptabilité environnementale et technologique. La croissance rapide de la demande d'énergie en raison d'une croissance économique, et d’une autre démographique est un défi majeur qui nécessite des stratégies pour atteindre les objectifs de sécurité énergétique fixés par la nouvelle orientation politique du pays. Premièrement, grâce à des investissements intelligents dans les ressources énergétiques conventionnelles et non conventionnelles et leurs infrastructures qui favorisent leurs activités de l’amont vers l’aval, le pays peut améliorer sa sécurité énergétique. Deuxièmement, l’efficacité énergétique peut être renforcée par un endigage de la croissance de la demande d’énergie, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la réduction de la consommation d’énergie par les ménages et les entreprises. Troisièmement, le pays peut accroître sa sécurité énergétique par la transition vers un système énergétique basé sur la diversification des types de vecteurs énergétiques. Quatrièmement, la recherche et développement dans le domaine en question réalisera une grande variété d’objectifs de la sécurité énergétique.
B. K. 
(*) Professeur des universités. Expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Expert en conduite de changement. Université Mohamed-Boudiaf de M’sila.




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