Publié le 02.01.2023 dans le Quotidien d’Oran
par Mohamed Khiati*
La sécurité alimentaire, l'une de ces notions qu'on aborde presque toujours dans les parterres de réflexion et dans les discours à portée socio-économique ou géostratégique. Elle existe «lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante saine et nutritive leur permettant de satisfaire à leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie sine et active» notent en bref, les documents du Sommet mondial de l'alimentation (SMA) tenu à Rome, du 13 au 17 novembre en 1996.
Au-delà de cette définition, on fit noter que la sécurité alimentaire qui couvre aussi les usages de soins, de santé et d'hygiène permettant d'assurer une vie saine et active au niveau des ménages, nécessite la disponibilité d'une sécurité nutritionnelle qui la complète par une alimentation suffisante, accessible, salubre et nutritive. Dans les faits, cette sécurité alimentaire et nutritionnelle est liée dans aux disponibilités alimentaires à un moment donné et qui sont elles-mêmes dépendantes de la capacité du secteur de l'agriculture à mettre sur les marchés des volumes suffisants de produits alimentaires. C'est enfin, cette capacité qui devra être soutenue et renforcée dans les délais tout en procédant à la diversification de la nature des productions agricoles.
En Algérie, la question de la sécurité alimentaire a toujours été au cœur des politiques publiques de développement engagés dans le but d'assurer la disponibilité et l'accès aux produits alimentaires. Pour y concrétiser, les pouvoirs publics se sont attelés indéfiniment à asseoir, à travers des plans d'actions opérationnels de développement agricole et rural, les conditions adéquates pour l'atteinte d'une sécurité alimentaire durable dans le pays et ce, en engageant des programmes et des projets de développement visant la promotion de la production agricole, l'amélioration des conditions de vie en milieu rural, la création de l'emploi, de revenus et de richesses, ainsi que la contribution à la diversification de la croissance économique, la réduction des importations et la création des opportunités d'exportation des produits agricoles.
Ainsi donc et poursuivant de telles mesures de développement, on relève, dans le fond des choses, que la notion de sécurité alimentaire, un terme que l'on aborde dans les divers concerts des nations, n'est pas juste un débat intellectualisant sur le sujet, mais surtout de la manière par laquelle elle est et sera concrétisée. Dans le détail, on se focalise déjà, directement ou indirectement, sur la conduite des politiques agricoles et rurales.
Dans ce bref et modeste essai, nous tenterons d'aborder, tant que faire se peut, quelques éléments de perception sur la question de la sécurité alimentaire, ses acceptions théoriques formulées par des instances internationales et ses applications en pratique en Algérie. L'idée est que sur la base d'un nombre d'indicateurs et de tendances, on pourrait, peut être, parvenir à tirer des conclusions en la matière. In fine, il serait quand même important de noter que la sécurité alimentaire n'est pas une notion statique, mais plutôt une forme dynamique en relation avec les contextes contemporains dans lesquels elle évolue, national ou international.
1. Regards historiques sur la sécurité alimentaire
Dans le vif du sujet, disons sans cesse que l'indépendance réelle des peuples se mesure par leur degré de sécurité alimentaire. Elle est la seule et l'unique référence du reste. Les pays n'ayant pas atteint cet objectif se trouvent incapables de lutter contre l'oppression et l'exploitation. Le cours de l'histoire et les réalités du présent confirment la véracité d'une telle expression. Cependant, si l'on tarde à analyser le fond de la question de la sécurité alimentaire, on se rend parfaitement que la notion est basée dans ses entrailles sur le grain, autrement dit sur les céréales qui, on le sait, constituent la base de l'alimentation humaine et animale.
A ce sujet, on relève dans certains récits historiques que les plus anciennes constructions politiques de la planète (en Mésopotamie, Égypte, Chine, Inde ou Amérique précolombienne) ont été fondées sur l'organisation et l'encadrement de la production de céréales, le plus souvent en liaison avec le développement de la maîtrise de l'eau. Cérès, la déesse des moissons chez les Grecs de l'Antiquité (...) était vénérée pour avoir enseigné aux hommes la technique du labour et la façon de cultiver le blé. Les plus anciens foyers de peuplement de la planète coïncident avec les principales aires de domestication et de première diffusion des céréales, comme base de la sécurité alimentaire (Universalis Encylopaedia.sd).
Dans le sillage, Omar Bessaoud (2016) fit noter que «l'alimentation a toujours été l'un des problèmes politiques le plus ancien. Durant toutes les civilisations humaines et à toutes les époques historiques, les États ont cherché les moyens d'assurer la sécurité alimentaire de leur population pour maintenir la cohésion sociale et éviter les révoltes populaires». Il rappelle à titre de démonstration que Nizam El Mulk (1018-1092), Vizir de la dynastie seldjoukide et auteur du célèbre «Traité de gouvernement» n'affirmait-il pas, «qu'à toutes les époques, à celle du paganisme et à celle de l'Islam, il n'y a pas de qualité meilleure que celle de donner du pain à ceux qui en ont besoin» ?
Alors qu'en son temps Ibn Khaldùn nota, au 14ème siècle dans la «Muqqadima», rédigée pour l'essentiel, à Lajdar près de Frenda, dans l'antique Tihert (Tiaret) que la force des Etats dynastiques tenait de l'agriculture, «la plus ancienne occupation des hommes...qui fournit l'indispensable nourriture, irremplaçable source de vie». Il classait au moyen âge l'orge, le pain, les légumes secs (fèves, pois-chiches), les oignons, l'ail «et autres comestibles» comme des «denrées de première nécessité», tant «indispensables à la nourriture de l'homme» et à la prospérité des Cités. Jean Jacques Rousseau presque 1000 ans plus tard, fit remarquer dans le «Contrat social» que l'approvisionnement en pain était un signe d'un bon gouvernement.
On se met à avancer par ailleurs que le processus historique de construction de l'Etat en tant que construction institutionnelle a été historiquement fondé sur la réduction de l'incertitude et sur la production de la sécurité -y compris alimentaire- (...). Les premières Cités-Etat ont assuré les conditions d'approvisionnement à leurs populations en entretenant des silos et des réserves alimentaires, et l'histoire des sociétés humaines témoigne du rôle que de tels stocks ont pu jouer dans la puissance des Etats ou des civilisations qui se sont succédé.
L'on peut aussi rappeler que la «démocratie» à Rome dépendait de la capacité des empereurs à fournir «du pain et des jeux», et l'on sait qu'un blocus alimentaire de Rome par les Vandales a contribué à la chute de l'Empire romain au Vème siècle. La révolution française de 1789 n'a-t-elle pas été précédée d'une grave crise frumentaire privant Paris mais aussi les campagnes française du pain nourricier ? En définitive, la question agricole et alimentaire reste «une affaire d'Etat» ( Bessaoud-op cit).
Ainsi donc, et quel que soit le récit, on se rend compte qu'à la base de la sécurité alimentaire se trouve évidemment l'agriculture qui constitue, selon Xénophon, le philosophe grec et agronome de l'Antiquité et auteur de l'ouvrage L'Economique, «la mère de tous les arts: lorsqu'elle est bien conduite, tous les autres arts prospèrent; mais lorsqu'elle est négligée, tous les autres arts déclinent, sur terre comme sur mer «FAO, 1994). Cet aphorisme, vieux de plus de 20 siècles n'a nullement perdu de sa valeur. A l'heure actuelle encore et dans presque tous les pays, l'agriculture demeure, sinon la pierre angulaire de l'économie, du moins une source capitale de revenus, d'emplois et de richesses multiples.
Aussi disons, dans le sillage que l'agriculture soit encore, ou non, la mère nourricière de tous les «autres arts», c'est toujours à elle que nous devrons notre pain quotidien. Son rôle dans la sécurité alimentaire justifie à lui seul qu'on y prête une attention particulière et rend la «bonne conduite» de l'agriculture aussi urgente qu'au temps de Xénophon.
Voyons alors ci-après, nombre d'acceptions formulées quant à la notion de sécurité alimentaire puisée d'une documentation riche éditée en la matière à l'échelle mondiale et qui dans le fond constitue presque toujours le pain des discussions et débats à travers toute la planète.
2. Le conceptuel de la sécurité alimentaire
Aujourd'hui, la perception de la sécurité alimentaire a pris de nombreuses significations et le consensus par rapport à la notion n'a pas été définitivement établi. Selon le Comité de la sécurité alimentaire mondiale, le concept lié à la sécurité alimentaire est apparu dans les années 1970, dans un contexte marqué par la flambée des prix des céréales sur les marchés internationaux liée à une succession de mauvaises récoltes, de diminution des stocks et de hausse des prix du pétrole.
À l'époque, de nombreuses régions du monde souffraient d'insuffisance de production alimentaire pour nourrir leur population et étaient particulièrement vulnérables aux accidents climatiques (sécheresses, inondations) ou aux attaques de prédateurs (sauterelles par exemple). Aussi dans la lignée des analyses faites par Thomas Malthus, les projections de production agricole et de population laissaient craindre un écart croissant qu'il serait difficile à combler sans un effort supplémentaire important.
La définition adoptée par la Conférence mondiale de l'alimentation en 1974 reflète ce contexte. Il s'agit alors de : «disposer à chaque instant, d'un niveau adéquat de produits de base pour satisfaire la progression de la consommation et atténuer les fluctuations de la production et des prix». Depuis, de nombreux travaux, en particulier ceux d'Amartya Sen, ont montré qu'il ne suffit pas de produire suffisamment de nourriture dans un pays ou une région pour vaincre la faim. Des pays développés sont parvenus à produire suffisamment de nourriture pour nourrir toute leur population, voire exporter des surplus, sans avoir fait disparaître pour autant la faim. Par contre, des pays comme ceux bénéficiant de rentes pétrolières peuvent ne produire que peu de nourriture mais permettre à toute la population de manger en important depuis les marchés internationaux. C'est ainsi qu'a été mise en avant, au cours des années 80, la notion d'accès à l'alimentation comme un déterminant majeur de la sécurité alimentaire.
En 1986, une définition de la sécurité alimentaire fut proposée par la Banque mondiale dans son rapport «La Pauvreté et la Faim», place en priorité la question de l'accès et donc de la pauvreté, pour signifier que la sécurité alimentaire signifie «l'accès par chaque individu, à tout instant, à des ressources alimentaires permettant de mener une vie saine et active». Cette définition sera reprise et enrichie lors du Sommet Mondial de l'Alimentation de 1996 et reste quasi inchangée depuis.
Des années plus tard, lors du Sommet mondial de l'alimentation de 1996, il est admis que :«la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active». En résumé, il est mentionné que la «sécurité alimentaire» est une situation qui garantit à tout moment à une population, l'accès à une nourriture à la fois sur le plan qualitatif et quantitatif. Elle doit être suffisante pour assurer une vie saine et active, compte tenu des habitudes alimentaires. Elle dépend de nombreux facteurs :
- disponibilité (démographie, surfaces cultivables, production intérieure, productivité, capacité d'importation, de stockage, aide alimentaire, etc.),
- accès (pouvoir d'achat, fluctuation des prix, infrastructures disponibles, etc.),
- stabilité (des infrastructures, climatique, politique, etc.),
- salubrité et qualité (processus de transformation, transport, hygiène, accès à l'eau, etc.).
Enfin, divers travaux sont en cours pour intégrer, dans la définition de la sécurité alimentaire, des préoccupations de durabilité environnementale et sociale des systèmes alimentaires et relatives aux nouvelles pathologies nutritionnelles dites «de pléthore» (obésité et diabète associé, maladies cardiovasculaires, certains cancers, etc.) qui touchent désormais tous les pays du monde. Est ainsi proposée la notion de «sécurité alimentaire et nutritionnelle durable».
En 2012, à l'ordre du jour du Comité pour la sécurité alimentaire mondiale figurait une proposition d'évolution de la définition de la sécurité alimentaire pour intégrer la notion de sécurité nutritionnelle. Une telle proposition avait pour but de prendre en compte les acquis des sciences de la nutrition qui montrent depuis des décennies que la malnutrition, notamment infantile, principale manifestation de l'insécurité alimentaire ne résulte pas seulement d'une insuffisante qualité voire quantité de nourriture, mais aussi et souvent d'un état de santé (diarrhées, paludisme, etc.) et de soins insuffisants (par méconnaissance ou incapacité). La proposition de parler désormais de «sécurité alimentaire et nutritionnelle», même si elle est déjà adoptée par de nombreux pays, n'a pas encore fait l'objet d'un consensus international.
3. Eléments de perception de la sécurité alimentaire en Algérie
Prima facie, faut-il rappeler que la notion de sécurité alimentaire s'est apparue dans la politique algérienne de développement tout particulièrement à partir des années 1990 en remplacement de la notion d'autosuffisance alimentaire déjà en vogue quelques années avant. Mais cependant, on s'arrête d'insinuer que pour la sécurité alimentaire, il ne s'agit nullement d'un débat intellectualisant sur le sujet, mais de la manière de l'atteindre à travers des politiques publiques multisectorielles et des mesures d'insertion du secteur privé dans la démarche du développement agricole et rural, un secteur économique par excellence, une affirmation universellement établie.
Dans cette perception, les fondements du développement agricole et rural se sont toujours inscrits dans un contexte général du développement multiforme économique et social du pays, de telle sorte que le secteur par sa dimension stratégique dans la sécurité alimentaire durable constitue également un réel pourvoyeur d'emplois, de revenus et de richesses et un levier pour la régulation de la balance commerciale et la création d'opportunités d'exportation des produits agricoles.
Il ne va pas sans dire que l'Algérie indépendante n'a ménagé aucun effort pour promouvoir l'agriculture et son soubassement le développement rural dans une optique d'atteindre sa sécurité alimentaire en s'appuyant sur des générations de politiques et de réformes agraires ayant pour corollaire, la satisfaction des besoins alimentaires de la population en croissance ascendante et ce, à travers l'amélioration des niveaux de production agricoles et des conditions de vie et de travail en milieu rural.
A suivre
*Agronome post-universitaire. Doctorant et auteur d'ouvrages de politiques agricoles.
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Posté Le : 20/01/2023
Posté par : rachids