Algérie

La saga des «Djamilate» Chérifa Bouatta et Nadia Aït Zaï reviennent sur le long combat des femmes



La saga des «Djamilate»                                    Chérifa Bouatta et Nadia Aït Zaï reviennent sur le long combat des femmes
Dans le cadre d'un cycle de conférences qu'il a lancé pour étoffer les soirées ramadanesques, l'Initiative pour la refondation démocratique (IRD), nouveau sigle politique qui entend investir le terrain en injectant de la pensée dans le débat public autour de questions sociétales lourdes, a consacré sa dernière thématique au combat des femmes.
C'était mardi dernier, peu après le sacre de Taoufik Makhloufi aux JO de Londres. Sous le titre : «La conquête de l'égalité des droits : un combat permanent», les invitées du jour, Nadia Aït Zaï et Chérifa Bouatta, ont esquissé une belle rétrospective du mouvement féministe algérien.
Chérifa Bouatta, professeur de psychologie à l'université Alger 2 et vice-présidente de la Société algérienne de recherche en psychologie (SARP), a consacré son exposé aux associations féminines. Mme Bouatta indiquera à ce propos que durant les premières années de l'indépendance et jusqu'à quasiment octobre 1988, les femmes activistes eurent à fourbir leurs armes au sein des partis politiques en soulignant qu'il n'y avait pas encore d'associations autonomes dédiées exclusivement à la défense des droits des femmes. «Ces militantes étaient toutes rattachées à des partis politiques, notamment les partis de gauche et d'extrême gauche», dira la psychologue.
Mme Bouatta relève que la promulgation du fameux code de la famille en 1984 rencontrera une forte opposition de la part des militantes féministes qui y voient une loi «inique» confinant les femmes dans un statut de «citoyennes mineures». Chérifa Bouatta insistera sur la filiation évidente entre le mouvement des militantes «post-indépendance» et l'engagement de leurs aînées moudjahidate. «Ces femmes se réclamaient du combat des moudjahidate pour l'égalité des droits», appuie-t-elle. A la faveur du multipartisme instauré après les événements d'Octobre 1988, plusieurs associations de femmes vont émerger, poursuit la conférencière : l'Association pour la défense et la promotion des droits des femmes (ADPDF), l'Association pour le triomphe des libertés démocratiques (AITDF) ou encore le Rassemblement algérien des femmes démocrates (RAFD) pour ne citer que celles-là.
La psychologue aborde ensuite l'épisode du FIS et sa réaction hautement misogyne au combat des femmes : «Nous étions traitées de 'moutabaridjate' (dévergondées), d'occidentalisées et d'aliénées. On voulait nous externaliser de notre pays. Nous étions présentées comme un corps étranger.» Evoquant les affres du terrorisme, elle dira : «Les femmes ont payé au prix fort la violence terroriste. On a violé les femmes pour faire mal aux hommes. C'est l'honneur des hommes qui est visé.» Tout en diagnostiquant une forme de castration.
Cela n'a pas empêché les associations féminines de poursuivre la lutte, insiste l'oratrice. Pour Chérifa Bouatta, il ne fait aucun doute que le combat citoyen des femmes et celui de Djamila Bouhired et de toutes les icônes de la guerre de Libération nationale ne font qu'un. « Nous sommes de cette tradition-là, de cette histoire-là. Notre filiation, c'est celle-là», martèle-t-elle.
Nadia Aït Zaï a pris le relais pour compléter ce tableau. Elle est avocate et enseignante à l'école de droit de Ben Aknoun. Elle dirige par ailleurs le Centre d'information et de documentation sur les droits de l'enfant et de la femme. S'agissant du code de la famille, la juriste indiquera qu'une première mouture de ce code circulait déjà en 1980. «Elle était bien meilleure que celle de 1984, mais elle a été jetée dans les tiroirs», regrette-t-elle. Nadia Aït Zaï confirme, à la suite de Chérifa Bouatta, qu'au tout début du mouvement féministe algérien, la condition féminine était noyée dans les circonvolutions partisanes. «A l'époque, l'idéologie partisane a pris le dessus sur la revendication égalitaire, car on avait en perspective la construction d'un projet de société», argue-t-elle, avant d'asséner : «On nous a menés en bateau !»
Nadia Aït Zaï met l'accent sur les luttes des années 1990 en rappelant la fameuse campagne de signatures lancée par plusieurs associations féminines pour les droits des femmes dans la famille. Il aura tout de même fallu attendre 2005 pour voir enfin des amendements introduits dans le texte controversé. Ce dont se félicite la conférencière, en dépit des articles qu'il reste encore à abroger. «Pour moi, si le mouvement associatif a été la base de ces revendications et la source de ces modifications, il faut dire qu'il a manqué de stratégie et de construction idéologique propre quant aux droits des femmes», constate-t-elle. Et d'ajouter : «Il n'y a pas eu de vrai travail sur l'égalité en tant que concept.» Et de faire remarquer comment le législateur a assaisonné cette notion à la sauce traditionnelle «sous le prisme de la conformité à nos valeurs». Chérifa Bouatta dira à ce propos avec une pointe d'ironie : «La femme chez nous fait partie des constantes nationales.»
Nadia Aït Zaï estime que le socle philosophique et culturel du code de la famille est complètement obsolète : «Je considère que ce code est archaïque, car il a été élaboré sur la base du système patriarcal archaïque et il est fondé sur la hiérarchisation des sexes. Le code de la famille doit sortir de la sphère privée et être versé dans la sphère publique, avec des lois civiles égalitaires.» Disséquant les amendements de 2005, elle dira : «Le législateur a essayé de changer l'architecture de la structure familiale. La notion de chef de famille a disparu dans les textes..» Mais il n'empêche, déplore-t-elle, que «ce code continue à véhiculer des discriminations entre les hommes et les femmes».


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