Classiquement, on distingue trois pouvoirs : l'exécutif, le législatif et le judiciaire, auxquels il convient d'ajouter le pouvoir de la presse comme quatrième pouvoir. Désormais, l'Algérie démontre que la rue constitue un cinquième pouvoir.A la ruse du pouvoir répond le pouvoir de la rue, peuple de jeunes, comme possible moteur de l'Histoire pour entamer une révolution démocratique. A la récente offre du président Bouteflika, une grossière ruse, la réponse de la rue est claire : non au pouvoir actuel, oui au changement pacifique.
Rappel. Après avoir battu campagne, plusieurs candidats ? dont certains ont fait partie du pouvoir (Ahmed Taleb Ibrahimi,
Mouloud Hamrouche, Mokdad Sifi) ? qui ne pouvaient espérer apporter, selon toute vraisemblance, que leurs expériences acquises au service de ce pouvoir, ont pu exprimer leurs craintes sur l'élection présidentielle d'avril 1999, avant de retirer leurs candidatures collectivement.
Si, pour le défunt Aït Ahmed, dans une intervention du 7 décembre 1998 à Paris, a pu relever que «cette élection ne pouvait ? ne peut ? rien régler pour une simple raison : dans notre pays, le pouvoir réel n'a jamais résidé dans les institutions» et que, par le biais de la revue El Djeïch (février 1999) l'armée a spécifié que «l'Armée nationale populaire est irréversiblement républicaine et qu'à ce titre elle ne s'implique dans toute opération électorale que pour contribuer à créer les conditions à même d'assurer la sécurité de son déroulement et de permettre à notre peuple d'exprimer librement son choix, sans pression ni contrainte». Qu'en sera-t-il pour la prochaine élection présidentielle '
En 1999, l'élection présidentielle devint sinon obsolète, du moins inutile. Ainsi, selon Youssef El Khatib, qui fit partie du staff de Zeroual, «Bouteflika, comme d'autres, n'ont fait qu'exploiter le prestige de l'Algérie durant cette période où l'audience de notre pays était au zénith? Mais le plus grave, c'est qu'il a observé un silence total depuis le début des événements qui endeuillent le peuple. Il a préféré offrir ses services à une monarchie du Golfe.»
Ce qui n'a pas empêché Abdelaziz Bouteflika de prononcer une allocution dont il résulte : «Le plein rétablissement de la paix civile et l'élimination de la violence dans les actes et dans les esprits sont les objectifs prioritaires de toute politique qui réponde aux v?ux profonds de la nation.»
A cet égard, il fit voter une loi sur la «concorde civile» aux fins de rétablir la paix, aidé en cela par une équipe «formée de financiers et d'économistes au fait des phénomènes qui gouvernent le monde actuel, cette troïka est composée de Benbitour, Abdelatif Benachenhou et Hamid Temmar». A l'intérieur figure Yazid Zerhouni, «son ami de toujours». A l'Agriculture, Bouteflika a placé un ami à lui, Saïd Barkat, à l'Hydraulique (Ressources en eau) figure Selim Saâdi, et à l'Energie? Chakib Khelil, un ancien cadre de Sonatrach, qui a passé près de vingt ans à la Banque mondiale?
L'arrivée de Abdelmadjid Tebboune à la Communication n'est pas fortuite, puisque, selon plusieurs sources, il serait un proche de Bouteflika, le gouvernement ayant été constitué après sept à huit mois de tractations, les partis d'opposition étant présents à l'Assemblée nationale.
Et, bien que l'espace de communication (médias audiovisuels particulièrement) soit verrouillé, des critiques furent formulées à l'endroit de la politique menée par le président Bouteflika pendant plus d'une année. Ainsi, pour Rachid Benyelles, général à la retraite, «c'est même un échec personnel pour l'homme qui a fait de "la démarche pour la paix" son axe d'effort principal? A l'entendre, les massacres, les attentats à l'explosif, les embuscades tendues aux forces de l'ordre ne seraient que vue de l'esprit ou propagande malveillante».
Pour Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre sous Chadli Bendjedid et Boudiaf : «En vérité, nous ne voyons rien d'autre que la consolidation des pratiques passées, qui se caractérisent par la contradiction permanente entre le discours et l'acte?
Les incessants va-et-vient, les gesticulations, les faux sommets à l'étranger, tout cela fait très animé certes, mais ça ne met rien de plus dans le panier de la ménagère algérienne ni dans l'escarcelle des investissements en Algérie, que du vent.»
Force est d'observer que le président Bouteflika n'a eu de cesse, au cours de ses nombreuses interventions retransmises par la Télévision algérienne, d'indiquer que les caisses de l'Etat sont vides et que les vingt dernières années sont la source des maux de l'Algérie.
Beaucoup d'observateurs ne manquent pas d'attribuer aux vingt ans de son règne la crise multidimensionnelle qui secoue le pays. Ainsi, Bouteflika serait «un homme gagné par le doute et l'incertitude et qui se cache derrière de faux prétextes (?). Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que le chef de l'Etat parle beaucoup sans faire grand-chose. Il limoge, par un coup spectaculaire, des walis avant de remettre en cause sa décision en installant une commission de recours.
Du jamais vu (?). Il évoque la liberté d'expression et il ferme entièrement les médias publics qu'il assimile, sans aucune crainte, à sa propre personne. Il s'étale, sans limites, sur la politique intérieure avec ses détails à l'extérieur du pays et il reproche aux Algériens de vouloir "nuire à leur pays" à partir des capitales étrangères» (El Watan).
Démocratie résiduelle et bailleurs de pouvoir
Sous son règne, plus que jamais, la Constitution algérienne dont la violation est devenue la norme, révèle les impressionnantes prérogatives du Président algérien. D'où un déficit chronique en matière d'équilibre des pouvoirs, dans la mesure où l'on est en présence d'un présidentialisme, sorte de technologie constitutionnelle artisanale de pays encore rivés au sous-développement politique par la grâce d'une gérontocratie qui n'a de grand qu'une rhétorique démesurée et une attitude arrogante dont le populisme est le moindre mal.
Il est manifeste que la caractéristique essentielle du système politique algérien repose sur un déséquilibre institutionnel établi au profit du président de la République, sans contrepoids réel, à savoir : un Parlement qui reflète un pluralisme politique authentique, une magistrature indépendante, une presse libre et une société civile structurée. Il y a là une déviation et une dégénérescence du régime présidentiel. Aussi, pour prévenir des risques certains de l'autoritarisme et de l'arbitraire, les éléments sus-évoqués constituent le meilleur rempart afin de tempérer les abus d'un Exécutif envahissant.
En ce sens, toutes les Constitutions algériennes consacrent le président de la République comme chef réel du gouvernement, chef suprême des armées et de l'administration. La pratique politique depuis Octobre 88 n'a pas modifié cette donnée, puisque cette situation a perduré du fait de l'aménagement du monopartisme en système de parti dominant, tempéré par une coalition au pouvoir espérant s'intituler «majorité présidentielle».
Sous le règne de Bouteflika, le syndrome du présidentialisme demeure la caractéristique de la pratique politique. Ainsi, la participation des citoyens au pouvoir est des plus réduites puisque, en effet, les assemblées locales, comme celles nationales, furent étroitement liées aux régimes en place, lesquels peuvent être caractérisés par une concentration excessive de prérogatives au niveau du pouvoir central, ce qui n'est en aucune façon un gage pour un retour de cet «Etat fort» (au profit de qui ') prometteur d'un autre «âge d'or», comme supputé par le discours officiel du pouvoir qui parle de «continuité», alors qu'il cultive avec ostentation le culte de la personnalité jusqu'à exhiber son portrait comme argumentaire par les serviteurs zélés du régime caractérisé par le populisme.
Durant le long règne de vingt ans, l'Algérie a payé un lourd tribut à la démocratie : 1000 milliards de dollars, outre les pertes en vies humaines et en infrastructures économiques durant la «décennie noire». Il reste à espérer que tant de vies humaines n'auront pas été sacrifiées pour rien au vu de la démocratie résiduelle actuelle car peu de résultats tangibles ont été enregistrés. Ceci, d'autant que l'opposition parlementaire a montré qu'elle n'est pas suffisamment structurée pour servir de contrepoids politique pour rendre crédible, effective et irréversible l'alternance au pouvoir comme élément substantiel de la pratique du pouvoir.
La législature encore en cours nous offre le spectacle édifiant de l'absence de cette alternance. N'étaient les interventions de certains parlementaires, la «classe politique» algérienne surprendrait par sa démobilisation. Et alors que la société civile se retrouve désarmée à maints égards. Et ce n'est pas le personnel administratif (de hauts fonctionnaires délégués à des fonctions politiques) qui pourrait apporter le changement, car ne pouvant au mieux que gérer des décisions prises en dehors des sphères classiques du pouvoir.
Les récentes manifestations démontrent que le «chahut de gamins» n'a pas cessé, il a même redoublé d'intensité. Plusieurs années, après Octobre 88, n'ont pas entamé cette persévérance juvénile. Dans une atmosphère de pessimisme flagrant, l'Etat semble être le grand absent, tant il apparaît qu'une économie -que d'aucuns qualifient volontiers de bazar, reléguée aux alentours des villes- cherche à s'installer durablement, tout ce qui est bibelots et gadgets importés y trouve refuge. Dans ces conditions, face à une paupérisation forcée de beaucoup de citoyens algériens, que pourraient valoir les satisfecit des gourous de la finance internationale ' L'Algérie a déjà l'amère expérience des «réformes structurelles» (restructuration et tutti quanti) n'ayant abouti in fine qu'à mettre ce pays à genoux et à enrichir davantage les héritiers du monopole de l'Etat sur le commerce extérieur.
Le pouvoir algérien depuis 1999
Après avoir laissé présager une vie politique sous-tendue par le multipartisme ? certes insuffisamment structuré ? l'élection présidentielle d'avril 1999 n'a pas permis de consacrer des traditions politiques durables inspirées de la démocratie en tant que nouveau concept soumis à l'épreuve des faits.
Et pour cause, le quinquennat de 1999 à 2004 a été, pour l'essentiel, consacré aux problèmes de la sécurité du pays dans le prolongement de la succession de Zeroual, davantage qu'aux problèmes découlant de la sphère socio-économique : investissements pour le développement, mesures pour réduire le chômage endémique et l'inflation galopante, programmes audacieux pour résorber au maximum la question du logement et assurer la sécurité alimentaire?
Le pouvoir a inauguré ce qu'il a appelé une politique dite de «concorde nationale», visant à faire la paix avec la mouvance islamiste ayant pris le maquis, considérant qu'elle a été frustrée de sa victoire électorale aux élections législatives de 1991.
L'Algérie de Bouteflika a réussi à entamer les 1000 milliards accumulés (produits des recettes des hydrocarbures) et à ruser pour rester au pouvoir durant vingt ans.
Après l'élection d'avril 2004, lors de son second mandat, celui-ci prône une politique dite de «réconciliation nationale», mandat au cours duquel il a annoncé des réformes économiques. Ceci dans un contexte où le budget de l'Etat a été établi sur la base de 19 dollars le baril (celui-ci atteignant jusqu'à 60 dollars et à certaines périodes plus de 100 dollars).
Certains économistes algériens ont émis des réserves, voire des doutes, quant à cette ambition volontariste du pouvoir, l'expérience algérienne des plans triennaux, quadriennaux et quinquennaux est pourtant édifiante quant aux limites des plans de ce type. Ainsi, Abdelatif Benchenhou -réputé alors proche de l'actuel président de la République- semble avoir fait les frais de son «opposition» à cette vision toute présidentielle en n'étant pas reconduit dans ses fonctions suite au dernier remaniement ministériel.
De même, à en croire un autre économiste algérien, Mohamed Cherif Belmihoub : «On finance le statu quo au lieu de financer les réformes.» (Cf. Le Monde du 24 juin 2005). Et pourtant, l'Algérie a bénéficié de conditions plus favorables qu'auparavant en vue de résoudre ses problèmes les plus flagrants. Ainsi, le pays a pu disposer de recettes pétrolières exceptionnelles. Et les vingt ans ont été minés par une gouvernance par la corruption, le clientélisme, les prébendes et le népotisme.
C'est ainsi que pour tenter en vain d'asseoir une légitimité toujours déficiente et accéder à une certaine crédibilité, le pouvoir s'est également permis ce qu'il a été convenu d'appeler une «moralisation de la vie publique». Ainsi, l'affaire de l'ex-wali de Blida, impliqué dans des affaires de corruption, de trafic d'influence, de détournement et dilapidation de biens publics, de faux et usage de faux, et qui aurait bénéficié de deux villas à Alger, des «biens immobiliers cédés par un homme d'affaires actuellement emprisonné», et également un appartement à Nice, un fonds de commerce et un logement en Espagne.
De même, le pays s'attela alors à résoudre des questions relatives à des scandales financiers, dont l'affaire Khalifa est la plus retentissante, dès lors qu'elle a entraîné la ruine de nombreux épargnants. La société Khalifa (banque, compagnie aérienne, pharmacie, télévision) a été liquidée.
La presse algérienne a également évoqué le cas de la Banque commerciale et industrielle d'Algérie (BCIA) dont le coût pour le Trésor public est estimé à 132 milliards de dinars (soit 1,7 milliard de dollars). Après 18 mois d'instruction, il y a eu la liquidation de la BCIA, l'incarcération de 33 personnes et l'émission de 16 mandats d'arrêt internationaux, dont l'un visant le promoteur de la banque, Ahmed Kherroubi (Cf. Jeune Afrique du 22 mai 2005).
Et cette situation a perduré jusqu'à l'affaire des 701 kilos de cocaïne (affaire El-Bouchi), qui vit l'incarcération de quelques hauts dignitaires du régime, dont de hauts gradés de l'armée et la destitution du DGSN, présenté parfois comme un possible dauphin. Au total, si l'Algérie n'est hélas pas sortie de l'auberge, force est de constater que le système politique algérien a besoin d'une vigoureuse série de réformes.
Candidat à sa propre succession, l'actuel président, auquel on attribue quelques lettres faisant état de propositions rejetées par la rue car considérées comme une énième pathétique ruse pour le maintien au pouvoir du régime et de ses affidés ? dont les oligarques constituent le noyau dur ? à travers le principe galvaudé de la «continuité» (du régime, en lieu et place de l'Etat). Il est vrai que les politologues et les constitutionnalistes évoquent plutôt la continuité de l'Etat avec un personnel politique renouvelé dans le cadre de l'alternance au pouvoir. Et, situation ubuesque : il a été présenté comme «un nouveau prophète», avec l'idolâtrie d'un portrait.
Du totémisme à l'usage des foules, qu'on croyait endormies alors qu'elles sont conscientes des enjeux. Le peuple des jeunes vient de le confirmer pacifiquement dans la rue : «Game over, democraty now ! «
Par Ammar Koroghli
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 02/04/2019
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : El Watan
Source : www.elwatan.com