Algérie

La rivière et les mares asséchées



La rivière et les mares asséchées
Ils ne connaissaient pas alors la plage. Elle était loin et il fallait beaucoup d'argent pour s'y rendre. Ils passaient les trois mois de l'été à se rafraîchir au bord des mares. L'eau pure provenait des sources de la montagne et le long de la rivière qui allait se jeter en mer se formaient des étendues d'eau différentes par la superficie et la profondeur. Chacune avait un nom. Celle du chacal était ainsi désignée à cause de sa proximité avec la forêt où pullulaient ces charognards. Les branches de certains arbres touchaient presque l'eau et les feuilles jaunies formaient en automne un tapis. A celle appelée « la mare de la mariée » était liée une légende. On prétendit qu'une femme y était tombée du haut d'une monture le jour de ses noces. Les mares peu profondes en amont étaient le royaume des enfants. Dans celle du pou, on n'y rencontrait que des bambins qui s'initiaient à la nage sans courir aucun risque. On se gaussait de ceux qu'on comparait à ces parasites qui pouvaient s'y ébattre sans risque de se noyer. En aval, les mares étaient les lieux de ralliement des plus grands. Ils s'élançaient du haut des rochers, exécutant d'acrobatiques plongeons qui, au milieu des cris d'admiration, suscitaient rires et applaudissements. Ils revenaient ensuite bronzer sans s'encombrer de crème ou de parasols. Ces dernières années, la rivière est devenue le réceptacle des ordures et des réseaux d'égouts. Les maisons avaient maintenant des toilettes et les amas d'ordures qui, en contrebas des maisons, faisaient le bonheur des poules fouineuses, ont disparu. L'eau, intarissable même en été, coule en filets très minces. La rivière s'est progressivement tansformée en une succession de surfaces noires et putrides. Un des riverains, pour dissuader les adolescents de venir nager, jeta le cadavre d'un chien dans la mare mitoyenne de son jardin. Il était aussi soucieux de protéger ses filles des regards indiscrets. Un autre s'est montré plus expéditif. Il a bloqué, par une infranchissable haie d'épineux, les accès qui débouchaient sur une autre mare. Personne ne songera désormais à recourir à de telles méthodes devenues inutiles. C'est une armada de fourgons transformés en moyens de transport collectif qui envahit chaque semaine les localités de la côte. Les plages sont bondées et même les criques lointaines et isolées connues seulement des touristes étrangers sont noires de monde. De lieux de camping, elles sont devenues le lieu prisé des amoureux avant qu'ils ne soient chassés par les adeptes de Bacchus. La rivière est redevenue en été un royaume du silence. Nul éclat de voix ne trouble désormais la sérénité des lieux. Toutes les mares se sont asséchées et les têtards ont cessé de se mouvoir dans ce cloaque. Certains habitants ont même élevé des maisons à côté de la rivière dont personne ne craint les colères et les crues de l'hiver. En été, il faut fermer les volets pour empêcher les odeurs pestilentielles d'envahir les pièces.




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