Algérie

"La rigueur n'a de sens qu'en rapport à une orthodoxie d'ensemble"



Liberté : L'avant-projet de loi de finances 2022 a institué plusieurs mesures en faveur du soutien au pouvoir d'achat, dont la baisse de l'IRG-salaire, la hausse du point indiciaire dans la Fonction publique et l'institution d'une allocation chômage. Ces dispositions sont-elles suffisantes pour lutter contre l'érosion du pouvoir d'achat 'Driss Reguieg Issâad : Il s'agit de savoir si ces mesures sont pertinentes au vu des défis posés par l'érosion du pouvoir d'achat. Les différentes mesures budgétaires prises pour juguler la crise créeront de nouveaux risques budgétaires. Les pouvoirs publics doivent déterminer de manière exhaustive les différents risques qui pèsent sur les perspectives budgétaires, en mesurant l'impact sur les finances publiques et les gérer de manière préventive. Dans ce contexte, il convient d'évaluer un large éventail de risques budgétaires pouvant découler des facteurs suivants : soudaine détérioration de la situation macroéconomique, chute brutale des cours des produits de base, fortes dépréciations de la monnaie....
D'autres mesures sont également possibles, nous en citerons quelques-unes : injections de fonds propres dans des entreprises publiques financières ou non financières en vue de leur apporter de la liquidité ou un soutien à plus long terme, prêts aux entreprises ou aux ménages afin d'atténuer les contraintes de trésorerie et de liquidité. Ceux-ci pourraient avoir peu ou pas d'effet sur le déficit budgétaire dans un premier temps, mais pourraient accroître la dette. Ils comportent des risques pour l'Etat au cas où ils ne seraient pas remboursés à l'avenir. L'Etat pourrait également procéder à des reprises de dettes.
En général, elles ne comportent aucun coût budgétaire au départ, mais elles augmentent immédiatement la dette publique et pourraient à l'avenir creuser le déficit budgétaire. Il pourrait aussi accorder des garanties aux banques, aux entreprises ou aux ménages en vue de rehausser la confiance et d'atténuer les tensions de liquidité. Ces garanties peuvent se faire à travers aussi des programmes-cadres pour certains secteurs, notamment aux petites entreprises. Ces garanties ne comportent pas de coûts immédiats, mais elles créent un passif conditionnel, en exposant l'Etat à de futurs appels de garantie.
Quid des fonds extra-budgétaires que l'on crée pour fournir ou canaliser l'aide à la place d'un appui budgétaire direct, à l'image du fonds de solidarité '
Bien qu'ils puissent paraître utiles d'un point de vue opérationnel, les fonds extra-budgétaires peuvent facilement compromettre la responsabilisation et la discipline budgétaire. Leur création doit être déconseillée, en particulier dans un contexte de crise. De surcroît, les fonds extra-budgétaires doivent être inscrits au budget.
Les opérations quasi budgétaires effectuées à travers la Banque centrale et d'autres établissements publics financiers ou non financiers, pour soutenir la liquidité du secteur financier, des particuliers ou des entreprises, ou pour maîtriser les prix sont également à envisager et doivent être inscrites au budget.
Toutefois, si ces opérations sont extra-budgétaires elles n'ont pas d'effet immédiat ou visible sur le budget, mais elles créent des risques potentiels et peuvent compromettre la responsabilisation et la discipline budgétaire. En somme, l'Etat dispose de toute une batterie de mesures pour gérer le phénomène de l'érosion du pouvoir d'achat. Reste à les apprécier en termes de leur faisabilité technique et de leur pertinence.
Le gouvernement est également confronté à l'impératif de faire repartir la croissance. Les dépenses d'équipement au titre du prochain exercice grimpent à 3 546 milliards de dinars contre 2 798 milliards de dinars cette année. L'Exécutif prend-il option en faveur de l'investissement budgétaire pour relancer l'activité économique '
Il ne faut pas oublier que depuis la pandémie de Covid-19 les entreprises économiques tournent au ralenti. Les moyens de production fonctionnent en dessous de leurs capacités installées. Partant de là, l'investissement ne peut pas être que fonction d'équipement. Une orthodoxie managériale est plus recommandée en période de reprise de croissance que des solutions d'équipement. Maintenant et pour des considérations d'équilibre budgétaire, la mobilisation de ressources financières pour le volet équipement se confirme, une hiérarchisation des affectations à ce volet permettra une meilleure reprise économique et de la croissance.
La problématique du renouvellement du parc des outils de production ne devrait pas être que du ressort des pratiques budgétaires. La prise en charge comptable est foncièrement responsable de la question de la mobilisation de la ressource pour le renouvellement de l'outil de production. Je parle, bien entendu, de l'équipement ou rééquipement des entreprises déjà en activité. La constitution de provisions pour amortissements permet en principe de mobiliser cette ressource nécessaire au rééquipement. Chez nous, rares sont les entreprises qui le font, surtout dans le secteur public. Une autre question se pose : Qu'advient-il des équipes et autres outils de production déclarés vétustes '
Avec une forte hausse des dépenses prévues dans l'avant-projet de loi de finances 2022, comparées à celles de l'actuel exercice, sommes-nous face à un retour de la politique d'expansion budgétaire qui a marqué les années du pétrole cher ' Ou bien sont-ce les notions de rigueur budgétaire qui deviennent inappropriées en ces temps post-Covid '
Je ne le pense pas sincèrement. L'ère du pétrole cher est révolue. Les hausses des prix du pétrole sont de plus en plus conjoncturelles et ne durent que de courtes périodes. Le calcul macroéconomique ne se fait pas sur la base des rentrées d'argent suite à des hausses occasionnelles mais plutôt sur la base de ressources dont la tarification reste amplement prévisible.
La rigueur budgétaire n'a de sens que par rapport à une orthodoxie budgétaire. On peut être rigoureux, mais si la période exige plus de largesses, les résultats seront en décalage avec les objectifs ciblés. La légitimation quantitative n'a pas sa place en matière de management budgétaire. Ce ne sont pas les hauts débits des ressources qui légitiment la justesse d'une politique budgétaire, mais plutôt la clairvoyance et l'intelligence des architectes d'une telle politique.

Propos recueillis par : ALI TITOUCHE


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