Algérie

La «révolution» impossible Reportage inédit sur la Syrie (1re partie)



La «révolution» impossible Reportage inédit sur la Syrie (1re partie)
Pierre Piccinin était en Syrie en décembre 2011 et janvier 2012. L'historien et le politologue apporte un éclairage nouveau sur les évènements qui secouent ce pays, ainsi que sur les enjeux régionaux. Sans parti pris et loin de la propagande de Damas et de ses opposants ou des avis sans nuance des capitales occidentales et des médias internationaux. Où l'on pénètre dans cette zone grise, complexe, pour comprendre un conflit' Analyse et état des lieux.
Alors que les gouvernements tunisien et égyptien ont dû céder face à la contestation (ou ont su en donner l'impression, à tout le moins), alors que l'Alliance atlantique a profité des troubles pour renverser le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, tandis que d'autres, comme au Bahreïn, se sont maintenus par la force ou, comme en Algérie,
en Jordanie et plus encore au Maroc, par la ruse de quelques vagues promesses de réformes, exception faite du Yémen qui, en dépit du retrait apparent du président Saleh, s'enfonce chaque jour un peu plus dans le chaos, la Syrie reste le dernier Etat empêtré dans ce phénomène que d'aucuns ont souhaité habiller d'une expression poétique, le «Printemps arabe».
Depuis le 15 mars 2011, en effet, le gouvernement baathiste du président Bashar Al-Assad doit faire face à des troubles, parfois violents, comme je l'avais déjà constaté lors d'un premier séjour d'observation, en juillet dernier. En juillet, j'avais parcouru tout le pays, aussi bien le sud, Deraa, Souweida, que le centre, puis la côte et le nord, jusqu'à
Alep, et l'est, jusqu'à Deir-es-Zor, sur l'Euphrate, vers la frontière irakienne. Cette fois-ci, je me suis concentré sur le centre, principalement, Damas, le gouvernorat de Homs et Hama.
Un de mes objectifs était de rencontrer les Chrétiens de Syrie, qui représentent un peu plus de 10% de la population, en cette période de Noël, et parmi les premiers concernés par la vague islamiste qui submerge ce «Printemps arabe». J'ai tenté d'appréhender leur sentiment sur les événements et de mesurer leur inquiétude face à la montée de l'influence islamiste, des Frères musulmans, qui s'imposent de plus en plus à la tête des contestataires, et de la violence dont font preuve les salafistes.
Les Chrétiens ont, en effet, sous les yeux ce qui s'est passé en Irak où, depuis le renversement de Saddam Hussein en 2003, leurs communautés font l'objet d'attaques et d'attentats réguliers (des dizaines de milliers de Chrétiens irakiens ont depuis lors fui leur pays et trouvé refuge en Syrie).
Ils ont aussi l'exemple des Chrétiens d'Egypte : les scènes de fraternisation entre chrétiens et musulmans que l'on avait pu observer, place Tahrir, au moment de la révolution, il y a tout juste un an, sont désormais bien loin, et plusieurs milliers de Chrétiens coptes se seraient déjà exilés'
J'ai ainsi eu l'occasion de parler à des familles chrétiennes et de rencontrer quelques personnalités de leurs communautés : Monseigneur Hazim, le Patriarche grec orthodoxe, mère Agnès Mariam de la Croix, supérieure du monastère de Saint-Jacques le Mutilé à Qara, une des figures les plus emblématiques des chrétiens de Syrie, ou encore le père Elias Zahlaoui, prêtre catholique à Notre-Dame de Damas'
En juillet, j'avais déjà rencontré le père Paolo, autre figure emblématique, au monastère de Mar Moussa. Leur inquiétude est réelle, face à la haine islamiste qui se manifeste à leur égard et aux ingérences étrangères, celles du Qatar et de l'Arabie saoudite, notamment.
Dès lors, même si la grande majorité des chrétiens se dit favorable à la démocratisation des institutions, ils composent, cependant, avec le régime baathiste, un régime laïc, qui assure la protection de toutes les minorités religieuses.
L'opposition et la contestation
Un autre de mes objectifs essentiels était d'essayer d'entrer en contact avec l'opposition ou, plus exactement, avec «les» oppositions'
Si les manifestations du mois de mars avaient été pacifiques et massives, la contestation s'est par la suite affaiblie, en partie du fait de la répression, en partie aussi par rejet d'un islamisme radical dont l'influence croissante au sein de l'opposition a inquiété plusieurs des communautés et confessions qui tissent le patchwork de la société syrienne.
La contestation avait également rapidement changé de forme : certains groupes, parmi les différents mouvements qui contestent le pouvoir, ont commencé à recourir à la violence, entraînant une réaction accrue des forces de l'ordre et même de l'armée, comme à Maraat al-Nouman ou dans la région de Jisr-al-Shugur, le long de la frontière turque, où les sièges du parti Baath ont été incendiés et où les postes de police ont été attaqués. En juillet, les premières bandes armées ont fait leur apparition, à Homs en particulier.
Depuis lors, la situation s'est complexifiée et localement enlisée dans un étrange conflit aux relents de guerre civile, un conflit larvé et qui semble ne pas vouloir éclater.
Si l'opposition en exil n'a toujours pas surmonté ses profondes divisions, une relative majorité se retrouve néanmoins dans le Conseil national syrien (CNS), dominé par les Frères musulmans (dont d'aucuns prétendaient pourtant l'organisation presque disparue).
Basé à Istanbul, le CNS appelle à une intervention militaire de la Turquie et voudrait être reconnu comme le gouvernement légitime de la Syrie, à l'instar de ce qu'il en avait été du Conseil national de transition en Libye. Le Comité national pour le changement démocratique (CNCD),
l'autre principal groupe d'opposants de l'extérieur, dominé quant à lui par les nationalistes kurdes et l'extrême gauche, a finalement accepté, fin décembre 2011, de passer un accord temporaire avec le CNS, dans le but de produire une image d'unité en direction de la communauté internationale.
Sur le terrain, plusieurs mouvements hétérogènes coexistent : des organisations de citoyens, à Hama et à Homs, principalement, mais aussi des groupuscules salafistes, qui frappent ça et là en Syrie, également infiltrée d'unités instrumentalisées par l'étranger, par le Qatar et l'Arabie saoudite notamment, tandis que le gouvernement peut compter, quant à lui, sur l'aide de miliciens du Hezbollah et de soldats iraniens.
D'un important appui russe, également, dont les agents sont présents en nombre (lorsque j'ai quitté Damas, à l'entrée de l'aéroport, alors que toutes les automobiles étaient soigneusement fouillées le policier, à la vue de mon visage européen, m'a salué d'un vif «Russia !» et m'a ouvert le passage sans même vérifier mon passeport).
«Armée syrienne libre»
En outre, une action militaire est désormais revendiquée par une organisation autoproclamée «Armée syrienne libre» et qui serait constituée de soldats syriens déserteurs, selon certains opposants au régime, d'étrangers ayant revêtu l'uniforme syrien, selon le gouvernement.
Enfin, par ce rapport, à contre-courant de l'angle d'approche généralement choisi par les médias dominants, j'ai également décidé de prendre le risque de montrer le point de vue des autorités syriennes et de leurs partisans, nombreux, très nombreux même au sein de la population syrienne, un point de vue complètement négligé par les médias occidentaux,
trop prompts à relayer les émissions de la chaîne de télévision qatari Al-Jazeera et ce que leur transmet l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), la principale source de la presse européenne, cet OSDH qui, notoirement, travaille de concert avec l'organisation des Frères musulmans.
Il m'est apparu nécessaire, en prélude à ce rapport, de préciser que je ne suis entré en Syrie ni à l'initiative de l'opposition ni sur invitation du gouvernement, et que je n'ai dès lors été soumis à la propagande ni de l'une ni de l'autre. En juillet, j'avais pu obtenir, sans difficulté, un «visa touristique», sous prétexte d'excursions archéologiques.
À ma grande surprise, j'avais aussi pu louer une voiture et me déplacer seul, sans aucun contrôle, à travers toute la Syrie. Dans les articles que j'avais produits au terme de ce premier voyage, j'avais fait état d'une réalité de terrain bien différente de l'image de la «révolution» syrienne diffusée par les médias occidentaux.
J'avais aussi démonté plusieurs mystifications mises en 'uvre par la propagande de l'opposition, ce pourquoi j'avais déjà fait l'objet alors de virulentes critiques et d'accusations de soutenir la dictature, de la part de certains médias bien décidés à ne pas remettre en question leur ligne éditoriale, mais aussi de la part d'universitaires spécialistes du monde arabe '
ce qui m'était apparu plus préoccupant, voire inquiétant, car symptomatique d'une vaste problématique d'ordre déontologique et méthodologique dans le chef de ces scientifiques. C'est probablement pour cette raison que le gouvernement syrien m'a laissé entrer une deuxième fois sur son territoire (en connaissant mes intentions, cette fois) et m'a donné carte blanche pour effectuer mes observations, alors qu'il est toujours très difficile pour les médias étrangers d'entrer dans le pays.
P. P.


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