Pierre Chaulet est mort. Il n'est pas, pour autant, nécessaire d'ajouter une contribution à d'autres plus légitimes et plus pertinentes sur une vie passée à se rendre utile. Mais la disparition d'un homme qui, malgré un demi-siècle de dérive nationale débridée, a su conserver une telle grandeur d'âme et d'esprit nous impose, par contraste, de constater l'écart moral qui sépare l'Algérie de l'Indépendance de l'Algérie de la Révolution.
En parcourant l'itinéraire de ce moudjahid de conviction, on découvre qu'il y a une vie après la révolution : comme en pleine guerre, il a su se trouver de belles causes à servir. Comme après 'le communiqué qui nous a été imposé à El Moudjahid, annonçant la mort de Abane Ramdane", il a continué dans l'Algérie indépendante mais troublée, à savoir 'situer l'enjeu principal". Et il le fit, dans la médecine et la santé notamment, avec la discrétion de l'humaniste qu'il était.
Ceux qui n'ont pas cette force ont décrété que l'Histoire était finie avec l'indépendance et se sont engouffrés dans la ruée vers le butin ponctuée de putschs en série. Lui est de ceux qui se sont tenus hors de portée des éclaboussures sanglantes de la curée. Et, malgré une seconde carrière de rapine, certains d'entre eux trouveront dans le témoignage sur l'engagement de Chaulet, l'occasion de se dédouaner de leurs compromissions ultérieures. Comme ils ont peur de se taire, ils ne savent pas méditer la vie des autres et s'en tiennent à l'opportunité commémorative. C'est curieux comme, dans l'Algérie postrévolutionnaire, les morts sont parfois convoqués à témoigner pour les vivants.
La discrétion de Chaulet et d'autres héros 'anonymes" arrangeait leur historiographie. Ainsi, le peuple ne sachant qui est qui, le système pouvait désigner ses propres étalons. C'est cela qui fonde la stratégie politique de séquestre de l'histoire nationale. Dans notre pays, l'ignorance de l'histoire, dont on mesure l'étendue à l'occasion de certaines obsèques, est érigé en impératif d'ordre public.
C'est significatif que Soltani qui vienne perturber ce moment solennel en nous faisant part de sa crainte devant le risque d'un '5 octobre" bis, alors même qu'il doit l'appeler de ses v'ux, attendu qu'aujourd'hui les 'révolutions" en 'Arabie" ouvrent la porte du pouvoir aux 'frères musulmans". Chaulet était un frère, incontestablement, mais pas dans la version exclusive, sectaire et régressive de notre identité 'retrouvée", pas un 'frère... musulman", ni... 'arabe". Un frère, comme si on était un peuple, pas une 'communauté", un Etat, pas une confrérie.
Chaulet lui-même disait, en réponse à la question sur la dénomination d''amis de l'Algérie" par laquelle sont désignés les moudjahidine d'origine européenne : 'Je pense que c'est le résultat de l'amnésie et de l'inculture politique et historique, entretenues par la dérive 'communautariste" de la conception de la nation algérienne, actuellement dominante à l'école et dans la majorité des discours 'commémoratifs" officiels. (...) Cette classification est commode pour certains de nos compatriotes, souvent encore attachés à une conception étroite et réductrice de la nation algérienne, qui n'était pas celle des rédacteurs de l'appel du 1er Novembre 1954".
M. H.
musthammouche@yahoo.fr
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Posté Le : 07/10/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mustapha Hammouche
Source : www.liberte-algerie.com