Algérie

La révision constitutionnelle entre les autres et les uns



L?opinion publique est abreuvée de déclarations, d?articles de presse et de contributions sur la révision constitutionnelle annoncée. Toutes ces informations, et particulièrement les chroniques d?une manière plus incisive, traitent des aspects politiques et politiciens de cette chirurgie.Les travaux académiques du tandem Youssef Courbage, Emmanuel Todd et de Jared Diamond fournissent des éléments scientifiques sur les évolutions des sociétés, peuples et pays. Ils fournissent aussi des indications sur les changements inévitables à apporter pour les rendre moins tragiques. D?abord un rappel sur les différents Constitutions du pays.C?est en 1963 qu?a été mise en oeuvre la première Constitution algérienne. Elle était composée de 78 articles. Les articles 11 sur les droits de l?homme, 56 qui décrit l?un des mécanismes de destitution du Président et 75 qui traite de l?hymne national sont d?actualité 45 années après.En 1976, une nouvelle Constitution de 196 articles a été adoptée.Les droits de l?homme y sont consacrés à travers l?article 39 pendant que l?article 94 consacre le parti unique. Ses articles 105 et 108 consacrent l?unicité du candidat aux élections présidentielles sans limitation de mandats. L?article 166 met la justice au service de la Révolution socialiste et de ses intérêts. En 1989, une autre loi fondamentale avec de belles trouées est promulguée. L?article 31 protège les droits de l?homme. L?article 40 autorise la création de partis politiques. Son article 71 autorise les « Présidences » à vie. L?indépendance du pouvoir judiciaire est codifiée par l?article 129.En 1996, une autre Constitution de 182 articles est promulguée. En 2002, elle a intégré l?amendement qui a institutionnalisé en tant que langue nationale Thamazight. Ses articles 32 et 74 reviennent sur le devant de la scène politique. Courant 2008, elle subira une autre révision dont la teneur demeure inconnue pour causes d?illisibilité politique et de l?opacité caractérielle du pouvoir. Seul l?élément « nombre de mandats présidentiels » qui subira un lifting fait bruit.Ce nombre de versions démontre que le texte fondamental n?est pas conçu pour garantir un fonctionnement normal du pays qui « survivra aux hommes » et protéger l?Algérien en faisant de lui un citoyen, mais pour le maintenir à son stade de sujet, assurer la liberté des mains aux tenants des centres de décisions et surtout les y maintenir.Venons à ces travaux académiques. Youssef Courbage et Emmanuel Todd (1) ont montré par la froideur des statistiques que la première crise d?un pays est vécue quand le taux d?alphabétisation des femmes de la tranche 20-24 ans dépasse les 50% et l?indice de fécondité proche de 2 entre autres. Selon la même étude, notre pays l?a fait en 1981 quand il avait vingt ans. Il n?est nul besoin de revenir sur les crises vécues durant la décennie 1980. 1988 étant l?année de l?explosion. A défaut de rigueur mathématique, faire une analogie avec les 20 années 1988-2008, est tentant pour peu que nous mettions face aux jeunes hittistes (chômeurs), harraga (boat people) et kamikazes, les lycéens qui ont manifesté ces derniers jours pour faire naître une nouvelle Algérie (2).Leurs mérites sont multiples. Le sentiment de peur et de défaitisme ne les habite pas. Ils ont démontré qu?ils peuvent se prendre en charge pacifiquement en s?éloignant de la fatalité de l?assistanat. C?est l?un des changements que ces auteurs préconisent. Le silence des politiques de l?opposition et des autres élites est plus décevant qu?édifiant. La réaction du pouvoir est de sa nature, de ses habitudes : violente. 20 ans après 1988, malgré la terreur dans laquelle ils ont grandi, ces élèves ont montré qu?ils sont dans une tendance ascendante de l?espoir, pas celle de l?extrémisme.Ils ont montré que le glas a sérieusement sonné pour certains courants politiques. Pour cause de ce système de gouvernance qui persiste dans ses comportements politiques archaïques et complètement obsolètes à commencer par le non-respect de la loi fondamentale, leur avenir risque d?être hypothéqué et celui de la patrie avec puisqu?ils en seront ses dirigeants, ses cadres, sa force de frappe dans 33,3 ans.Jared Diamond (3) qui définit l?effondrement par la : «Réduction drastique de la population humaine et/ou de la complexité politique/économique/sociale sur une zone étendue et durée importante. Le phénomène d?effondrement est [donc] une forme extrême de plusieurs types de déclin moindres». Il a identifié 5 facteurs potentiels qui peuvent y mener un pays, un peuple, une société. Ce sont : les dommages environnementaux; un changement climatique; des voisins hostiles; des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux; les réponses apportées par une société, selon ses valeurs propres, à ces problèmes. Les trois derniers facteurs sont nos douleurs quotidiennes les plus lancinantes. En comptant à partir de l?an 2000 et en cumulant les dégâts antérieurs à cette année, ce n?est pas avec un système politique comme l?actuel que l?Algérie continuera à exister dans 333,3 ans ? A moins que !Nous qui aimons l?approximation, dans 2 mois environ, il sera demandé au Peuple d?approuver une ou plusieurs modifications de la Constitution de «1996» pour permettre à la souveraineté populaire de refermer la trouée constitutionnelle qui limite, au moyen de l?article 74, le nombre de mandats présidentiels à 2. Article qui ne précise pas s?il concerne 2 mandats consécutifs ou cumulés. Pour les surprises, attendant le soulèvement du chapeau.Si d?ici là, les spin-doctors des centres de décision jugent le risque de réponse négative du peuple élevé, la voie parlementaire, chaussée politique sûre, sera empruntée. L?obligation de soumission à référendum populaire de toute révision constitutionnelle étant floue dans l?article 174. Les élites du droit sont tenues par une obligation d?assistance publique.Les premières salves d?appui viennent des habituels chauffeurs d?opinions. Leur premier argument est la « stabilité » du pays. C?est à se demander si les changements indispensables et inéluctables constituent une menace !En les exprimant par le peu de moyens dont il dispose, grèves et manifestations, le Peuple a formulé sa quête d?un meilleur confort national en matière de droits à la dignité et à la protection. Leur second argument est le « parachèvement » de la politique menée jusqu?à maintenant. Il n?est pas nécessaire d?être grand clerc pour faire le constat qu?elle a servi très peu d?Algériens et en a laissé sur le carreau beaucoup d?autres par une économie qui « brille » par l?écart effarant entre les indices - qu?il faudra bien savoir calculer un jour - d?utilité populaire et de cupidité financière. Par ces deux arguments qui n?appellent à aucune ambition à passer à d?autres défis, le premier étant double : autonomies décisionnelle et alimentaire, il est demandé au Peuple de confondre stabilité et passivité. Un autre argument plus subtil qui n?a pas fait beaucoup de bruit, peut-être que le moment n?est pas encore venu ou que sa place dans l?orchestration a été décalée : contre la limitation de nombre de mandats (présidentiels) au motif que rien ne peut être opposé à la volonté populaire. Soit. Son auteur ne s?est pas risqué à dire que la volonté populaire n?est pas l?élément fondamental dans notre système de gouvernance. Il n?a pas dit aussi que la volonté populaire est un examen pour désigner un seul gagnant dans un concours à plusieurs candidats. Les conditions d?examen devant être identiques pour tous. Aussi, il faudrait bien qu?il réponde à la question : si, après une année d?exercice, la «volonté populaire» veut organiser un autre concours, est-ce que des mécanismes constitutionnels simples pour le faire sont prévus dans la mouture qui lui sera présentée pour amendement?Certes, l?alternance au pouvoir exprime souvent une élimination pour insuffisance de résultats. La limitation des mandats n?est pas forcément une opposition à la volonté populaire. Elle est un signe fort de vitalité d?un pays, de sa capacité à renouveler ses élites dirigeantes.Le timing de cette révision constitutionnelle est-il opportun ? Elle a l?habillage d?une opération qui sera menée au pas de charge sans modèle, sans débats et comme la grande mosquée d?Alger sans esprit. Une opération qui la fait ressembler à la préparation d?un chèque en blanc. Un chèque pour une présidence à vie.Les voix émanant de toutes les catégories sociales, qui refusent la fatalité de la stagnation, qui s?élèvent pour s?opposer à cette opération seront-elles entendues et suivies ? Dans un espace de liberté, particulièrement celui d?informer et de s?exprimer, étroit, ce sera dur et même très dur. Les appuis qu?elles attendent de recevoir risquent de s?exprimer plus en « Off » qu?en « Live ». Les causes étant connues : peur de représailles, campements sur des positions rentières, protection de déroulements de carrières professionnelles égoïstes, des petites susceptibilités personnelles ...etc.Le monde actuel évolue à une cadence d?enfer. Une technologie réservée et basée sur la remise en vie de neurones de leurs compatriotes décédés permettra bientôt à certains citoyens de donner leurs avis à partir de leur cuisine par le bout du doigt ou mieux encore par le souffle respiratoire.Si la dignité de l?Algérien n?est pas érigée en premier patriotisme, si ses libertés et absolument toutes ne sont pas sacralisées, le pays risque de devenir pour les premiers cités, dans l?échelle de temps de l?histoire des nations, un site archéologique et anthropologique pour séquencer un ADN assez singulier. Dans la paix de nos douleurs, disons sincèrement et publiquement ce que nous souhaitons pour notre pays.   1- Dans leur livre « Le rendez-vous des civilisations ». Editions République des idées et le seuil. Gallimard.2- Lire la contribution de Abed Charef au Quotidien d?Oran du 24/01/20083- Dans son livre : Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Editions Gallimard. 2006.


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