Algérie

La réunion du GPRA du 29 juin au 10 juillet 1959 L'année 1959 a été très difficile pour la Révolution



Sur le plan intérieur, les opérations militaires du Général Challe qui avait reçu un accord signé de la main propre du Général De Gaulle lors d'une de ses visites d'inspection sur le terrain (1), ont débuté par l'opération Couronne en Wilaya 5 du 1er février au 30 mars 1959. L'armée française avait mis le paquet, vingt mille hommes rassemblant les unités de parachutistes affectées à d'autres zones, transportées par une flottille d'hélicoptères et agissant sur renseignements.  Puis le 18 avril il déclencha l'opération Courroie en Wilaya 4 avec les mêmes forces mises au repos pour deux semaines et les mêmes moyens qui durera jusqu'au 20 juin visant surtout les monts de Blida et l'Ouarsenis.  Le 21 juillet c'est l'opération Jumelles en Wilaya 3 avec les mêmes forces aguerries par l'expérience et un débarquement de troupes au Cap Sigli qui prendra fin le 6 septembre.  Le 7 novembre débutait l'opération Pierres Précieuses en Wilaya 2. Elle n'a pas donné les résultats escomptés à cause du mauvais temps et aussi de la décision des responsables de cette Wilaya d'éparpiller les forces par petits groupes et éviter tout accrochage si possible.  Ces opérations «rouleaux compresseurs» avaient pour but la destruction et l'anéantissement de l'Armée de Libération Nationale et de son Organisation.  Elles devaient se poursuivre en Wilaya 1 début 1960, mais après l'insurrection des barricades, l'intervention du Général de Gaulle sur ce sujet et le rappel du Général Challe en France, cette opération malgré un début d'exécution, a été reportée sine die.  D'autre part, le 28 mars 1959 en route pour Tunis, les colonels Amirouche et Haouès tombaient au champ d'honneur.  Enfin, les Français avaient bouclé les barrages électrifiés sur les frontières Est et Ouest de l'Algérie et il était très difficile de ravitailler en armement les forces de l'intérieur.  Sur le plan extérieur, le GPRA était confronté aussi en son sein, à une crise avec la démission de Lamine Debaghine de son poste de ministre des Affaires étrangères suite à la mort de Allaoua Amira.  Début mai 1959, des incidents graves s'étaient produits à la frontière en Tunisie entre des éléments de l'ALN et l'armée tunisienne faisant état de morts de part et d'autre.  Auparavant, au mois de novembre 1958, l'affaire Lamouri avait créé un malaise entre le GPRA et l'Egypte.  C'est dans un climat pour le moins critique et morose que le GPRA se réunit le 29 juin 1959.  La veille, Boussouf m'informa de me préparer pour être le secrétaire de cette réunion. Je compris alors pourquoi deux semaines auparavant, il m'avait demandé de suivre des cours de sténo. Il avait suggéré à ces collègues l'enregistrement des débats, ce qu'il n'a pu obtenir, Abbas et Krim étant contre.  Dans la salle de réunion, il y avait une table carrée avec onze sièges et au fond à droite un petit bureau qui m'était réservé. Le 29 juin à 9 heures, je me suis pointé au deuxième étage du siège du GPRA, étage où se trouvaient les bureaux de la Présidence.  Il y avait déjà le Président Abbas et Boussouf qui avaient pris leur place. Les autres prenaient place au fur et à mesure de leur arrivée.  Autour de la table, face à la porte d'entrée, il y avait Ferhat Abbas avec à sa droite Krim Belkacem, côté droit Benyoucef Benkhedda, Mahmoud Chérif, Ahmed Francis, en face du Président, Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobbal, Abdelhamid Mehri, puis côté gauche Mhamed Yazid, une chaise vide prévue pour Lamine Debaghine et Tewfik El-Madani.  Ferhat Abbas ouvrit les débats en regrettant l'absence de Debaghine, demandant à ses ministres s'il n'était pas préférable de reporter la réunion au lendemain afin de faire revenir ce dernier sur sa décision de ne pas y assister.  Il faut signaler que Debaghine avait présenté sa démission du gouvernement le 15 mars 1959, que celle-ci a été retenue, en attendant de la soumettre au prochain CNRA. La nouvelle n'a pas été ébruitée pour sauvegarder l'unité de la direction. L'ordre du jour était : Bilan de 9 mois de gouvernance; Situation à l'intérieur du pays; Problèmes avec les pays frères Tunisie, Maroc, Egypte; Démission Debaghine;  Convocation congrès du CNRA et désignation de ses membres.  Après la présentation de l'ordre du jour, Abbas a donné la parole à Krim qui rejeta l'ordre du jour et demanda un changement de gouvernement, critiquant la mauvaise gestion de Ferhat Abbas et demandant la démission du dit gouvernement.  Tous les ministres savaient que Krim ambitionnait de présider le nouveau gouvernement et qu'il n'avait aucune chance d'y parvenir, Boussouf et Bentobbal s'y opposant d'emblée.  Tour à tour, Benkhedda, Francis et Mehri prirent la parole pour défendre le gouvernement et contrer la demande de Krim. Yazid et El-Madani se sont abstenus d'intervenir, Boussouf et Bentobbal semblaient non concernés, chuchotant entre eux des paroles inaudibles aux autres. Le Président Abbas en accord avec la majorité des membres demanda une suspension des travaux afin de calmer les esprits.  Après une journée de tractations et de négociations, le gouvernement se réunit de nouveau, soit le 1 juillet 1959.  Dès le début des discussions, l'incident le plus grave eut lieu entre Mahmoud Chérif et Krim. Ce dernier lui reprochait de ne pas le soutenir, lui rappelant qu'il lui devait sa promotion en tant que colonel de la Wilaya Une, puis de membre du Comité de Coordination et d'Exécution puis de ministre de l'Armement Général. Mis en cause dans la situation à la frontière tunisienne, Mahmoud Chérif s'en prit à son collègue en des termes sévères: le désordre aux frontières c'est toi, le complot de Lamouri et son exécution c'est toi, la désertion de Hambli et ses 130 djounouds c'est toi... etc. etc. Ils en arrivèrent même aux menaces telles que «je te briserai» et l'autre de rétorquer «je te supprimerai». Avec la gravité des échanges et la tournure des débats, le Président Abbas fut obligé de lever la séance pour arrêter la réunion. Il y eut les jours suivants plusieurs rencontres et conciliabules entre certains ministres pour trouver une issue à la crise sans résultat.  Certaines de ces rencontres se passaient dans la même salle de réunion, d'autres dans les bureaux de certains ministres.  Pour ma part tous les matins, à 10 heures, je me pointais dans la salle de réunion, attendant la reprise des discussions. Souvent j'assistais, sans y être invité, à certaines réflexions, points de vue ou analyses de ces responsables dont je bénéficiais de la pleine confiance, les fréquentant depuis la proclamation du GPRA.  Le 10 Juillet 1959, Abbas revient avec la proposition suivante : Message aux chefs et aux comités de Wilaya.  Au cours de la dernière réunion du Conseil des ministres, j'ai constaté qu'une crise grave avait conduit le gouvernement à l'impasse.  N'ayant pu faire appel à l'arbitrage du Comité Permanent de la Révolution (2) et du Conseil National de la Révolution Algérienne dont la composition est contestée par certains, le gouvernement s'est trouvé paralysé.  Dans ces conditions, je prends toutes mes responsabilités en tant que chef du gouvernement et je vous invite à vous réunir dans le plus bref délai, pour doter la Révolution d'un CNRA incontesté. Celui-ci sera alors habilité à :  1°) recevoir la démission collective des ministres actuels;  2°) investir un autre gouvernement;  3°) donner à notre Révolution une nouvelle stratégie militaire, politique et diplomatique dignes de notre lutte d'indépendance et des grands sacrifices que cinq années de guerre ont imposés à notre peuple.  Les ministres en exercice continueront à assurer leurs fonctions jusqu'à ce que le nouveau gouvernement ait reçu l'investiture. Le ministre des Forces armées est chargé de vous réunir et de vous communiquer le présent message.  Mes collaborateurs et moi-même restons à votre disposition pour vous seconder dans votre mission et vous donner tous renseignements utiles à l'accomplissement de votre tâche. Fait au Caire le 10 juillet 1959 Ferhat Abbas Président du GPRA


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)