Dans les toutes
premières années de l'indépendance, les habitants d'une ville moyenne du pays
ont hérité d'une belle équipe de football qui évoluait en division d'honneur,
était la fierté de toute la population et faisait tous les dimanches la joie
des grands et des petits.
Elle était
l'objet de toutes les discussions et arrivait même à éclipser l'actualité
nationale, chaque fin de semaine, durant les veillées encore fréquentes et très
animées, à cette époque, dans toutes les chaumières. Ses joueurs étaient les
héros des jeunes et des moins jeunes et avaient droit à la considération des
habitants, des commerçants , des notables et des autorités locales. Ils étaient
l'attraction de tous les regroupements et retrouvailles et ne passaient pas
inaperçus dans les artères de la ville. Mais au bout de quelques saisons les
résultats n'étaient plus les mêmes, les matchs étaient souvent perdus à
l'extérieur et le score nul était quasi-systématique à domicile. La déception
se lisait sur tous les visages et les dimanches étaient de plus en plus tristes
même au printemps.
Les dirigeants du club faisaient moins leur
superbe au café du centre ville et les joueurs étaient de moins en moins
visibles dans les rues et dans les rendez-vous sociaux. Et si les plus âgés des
supporters se contentaient de maugréer leur désespoir les plus jeunes
exprimaient ouvertement leurs récriminations et de façon de plus en plus crue.
Il fallait réagir et au plus vite. Une assemblée générale a permis à tout un
chacun de mettre des mots sur sa frustration devant une contre-performance
sportive dont la durée a empoisonné l'ambiance, nourri l'animosité entre
fideles et moins fideles de l'équipe, réveillé de vieux antagonismes tribaux,
divisé les joueurs et par extension leurs familles et leurs proches.
Bref, la ville avait
perdu toute sérénité
Des débats
houleux ont véhiculé les essais d'explications, les assauts d'accusations, les
tentations de justifications, les replis nostalgiques et même les envolées
incantatoires pour s'accorder après épuisement de toutes les énergies, sur la
cause majeure de la débâcle : la précarité matérielle du Club. Les raisons de
l'échec indiquaient dés lors la nature de la solution : une source de
financement consistante et durable.
Les avis convergèrent rapidement vers
l'urgence d'offrir la présidence du club à un mécène de la ville qui dispose
d'une aisance financière conséquente et accepte de prendre en charge les
destinées du club. La bourgeoisie locale était connue et ses capacités
financières aussi, le choix de la personnalité qui répondait à toutes les
attentes ne fut pas difficile. D'autant que le « requis » a été « candidat »
comme membre du comité à diverses reprises sans succès en raison de l'activité
commerciale qu'il exerçait et que la bigoterie locale vouait à toutes les
gémonies. Mais comme il y ‘a rarement des fortunes rapides qui ne soient
douteuses, il y ‘a aussi rarement des réussites financières qui ne fassent
oublier leurs origines. Le nouveau président n'était pas pour ainsi dire un
intellectuel mais sa réussite commerciale couvrait toute autre considération,
et sa disponibilité à mériter sa «ré-adoption» même intéressée par la
communauté augurait de bonnes perspectives pour le club.
Dés sa prise de fonction il multiplia les
réunions pour s'enquérir des besoins de ses protégés et ne lésina sur aucune
dépense pour réaménager les bâtiments, renouveler les équipements, couvrir les
frais de déplacement, d'hébergement et de restauration dans les meilleures
conditions. L'angoisse retomba et tout le monde se remit à espérer.
La manière de profiter des largesses du
nouveau protecteur a fait oublier toute autre souci. Mais les dimanches se
succédèrent et les bonnes nouvelles se faisaient toujours attendre; L'atmosphère n'arrivait pas à s'extirper de la morosité dans
laquelle elle s'était enlisée. Une réunion de concertation permit de passer en
revue de nouveau tous les besoins et constata leur prise en charge plus que
convenable estimant toutefois qu'il fallait « motiver » les joueurs par des
primes plus conséquentes. Ce que le Président s'empressa de satisfaire sans
aucune hésitation.
Mais la panne de
l'équipe ne se démentit pas pour autant
Comment conjurer
un tel- sort ? Devant la persistance de la déconvenue à quel saint se vouer ?
Les saints de la ville ne se vengent-ils pas d'avoir été délaissés ? Il fallait
s'attirer leur bénédiction et la prodigalité du président a l'occasion des
«mouassem», «ouâda», «taâm», «zarda» et «rakb» a ravi la vedette aux donateurs
traditionnels.
Rien n'y fit
Une ultime
assemblée fût alors convoquée pour se réunir en véritable conseil de guerre ,
il fallait trancher dans le vif, le temps n'était plus aux civilités, il était
à la vérité et chacun était invité à dire la sienne. Après un tour de table
défaitiste sur les réalités du club, l'entraineur sur un ton pessimiste mais
solennel prononça la sentence que l'assistance s'était résignée à entendre :
l'équipe manquait de condition physique. Assommés, tous les présents se
turent... Soudain une voix, curieusement sereine et décidée brisa le silence de
plomb qui avait suivi l'intervention de l'entraineur : combien coûte- t-elle ?
L'auteur de cette étrange question, qui
n'était autre que le Président avait un stylo à la main droite et tenait de sa
main gauche un chéquier ouvert sur la table. Les regards sidérés s'échangèrent
dans la gène et même la consternation pour certains.
Au delà de l'inanité des propos, les présents
ont subitement pris conscience que la situation du club n'a jamais été
analysée, que les moyens financiers avaient obnubilé toutes les facultés et que
les véritables équations n'ont jamais été posées.
La composition de l'équipe a été héritée et
maintenue en l'état , personne n'a cherché à connaître les raisons qui ont
présidé à l'époque à sa mise en place ? En fonction de quoi ont été arrêtées
les sélections et les affectations sur le terrain ? Les conditions sont-elles
toujours les mêmes ou ont-elles changées ? Comment ont évolué les capacités de
chaque joueur ? Comment a évolué l'adversaire ?
Et l'entraineur qui déborde de qualités que
personne n'a qualité de discuter a t-il une ambition pour le club ? Sa
technicité laisse-t-elle une place au rêve qui décuple les forces et force les
talents. Est-il en mesure de cerner les soucis endurés individuellement et d'en
donner une acception générique pour préparer leur traitement collectif ? Les
dirigeants ne doivent-ils pas esquisser et promouvoir une vision performante de
l'action collective et définir l'apport de chacun à cette performance ?
Ne doivent-ils pas convaincre le groupe que
le succès est dans la capacité de renaitre à chaque fois et dans la
«perpétuité» des nouveaux départs ? Le club avait-il une stratégie pour sa
prestation et un projet pour son développement ?
A-t-il crée et entretenu le creuset humain
nécessaire à son renforcement et à sa relève ? La fugacité du vedettariat n'a
rien à voir avec la durabilité de l'estime publique, comme la célébrité du coup
d'éclat n'est rien devant la renommée que seul l'effort peut garantir. Toutes
ces questions ont été superbement voilées par le mécanisme de la dépense,
prompt à se déclencher quand les moyens financiers ne font plus défaut. La
panne intellectuelle s'installe subrepticement et toute velléité de
raisonnement finit par gêner le processus simpliste de la fonction de dépense.
L'aisance financière met l'esprit à la
retraite, libère la dépense de son opportunité et réduit la concertation à un
oiseux retard. L'évaluation de la réalité n'est contrainte à la précision par
aucun souci d'économie et l'anticipation du résultat n'est exigée par aucune
crainte de gaspillage.
Même l'éthique ne peut accompagner une
conscience non éclairée. Alors l'incompétence qui s'ignore peut offenser
l'intelligence et faire rire de la rigidité de ses principes et de la Chape de
ses précautions.
Oui la raison est soluble dans la rente.
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Posté Le : 18/02/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed ABBOU
Source : www.lequotidien-oran.com