Algérie

La recherche se fait dans l'entreprise, c'est le message qu'on veut passer au ministère de l'industrie



La recherche se fait dans l'entreprise, c'est le message qu'on veut passer au ministère de l'industrie
Hafid Aourag, le directeur général de la recherche scientifique, révèle les grands axes de la stratégie de développement du secteur et revient sur «l'instabilité chronique» qui a empêché la recherche d'apporter une valeur ajoutée à l'économie et la société en général. Dans l'interview accordée à El Watan étudiant, le DGRSDT insiste sur l'impératif recours à la recherche appliquée, qui ne peut se faire qu'au sein de l'entreprise. Une condition sine qua non pour l'émergence d'une recherche innovante et surtout utile.- Dans quel état est la recherche scientifique en Algérie 'Il faut d'abord comprendre le contexte dans lequel a évolué la Recherche scientifique (RS) dans notre pays. Après l'indépendance, il faut savoir que dans les accords d'Evian, il était dit que la recherche scientifique serait encore gérée par les Français. Après, le Commissariat de la recherche scientifique (CRS) a été mis en place et nous avons fait un état des lieux. On avait à dénombrer une centaine de chercheurs. 1971 a vu la création du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Suivi en 1973 par l'Office national de la recherche scientifique (ONRS).Il faut dire que l'ONRS a fait un excellent travail. Mais cela n'a pas duré. Tout ce qui a été construit, on l'a démoli en septembre 1983 par un décret. Avec une seule ligne, l'ONRS est dissout sans prévoir ce qui le remplace. Ce n'est qu'en 1998 qu'on promulgue la première loi sur la recherche 98-2002. La mise en ?uvre de cette loi a commencé en 2000 en mettant en place les premiers laboratoires de recherche au niveau des universités. Mais, en 2002, la loi n'a plus d'effet et rien n'est prévu pour parer à ce vide juridique. Pas de loi, plus de financement.Encore une fois, après tout ce qu'on a construit à partir de 2000, on revient au point de départ. C'est cette instabilité de la recherche scientifique en Algérie qui a eu des répercussions très négatives sur la continuité de l'action. En 2008-2012, la deuxième loi quinquennale a repris un peu ce handicap.On a mis un article qui disait que même si la loi arrive à échéance, le financement continue. Aujourd'hui, nous avons décidé de proposer une troisième loi pour ne plus avoir cette instabilité et ces sautes d'humeur. On a décidé que la loi ne devient plus la loi programme, mais qu'elle soit une loi d'orientation à vie.- C'est une loi définitive 'Oui, c'est une loi à vie et la programmation se fera annuellement, ou pluriannuellement, en fonction de la loi programme. Maintenant, nous pouvons dire que la recherche a réellement sa place dans la société comme un élément moteur et ne subit plus les aléas et les humeurs. Et on peut dire qu'on a protégé la recherche scientifique aussi à travers la création d'une Direction générale de la recherche, ainsi le problème de la tutelle ne se posera plus.- Quels sont, justement, le rôle et les prérogatives de la Direction générale de la recherche scientifique et de développement technologique (DGRSDT) 'La DGRSDT est un organe autonome en charge de mettre en place la politique nationale de la recherche scientifique. Elle coordonne, finance et programme les actions. Elle existe depuis octobre 2008. Donc, la première loi a posé les fondements institutionnels de la recherche scientifique en 1998, essentiellement une période de mise en place des structures. La deuxième a contribué à faire un plan d'investissement en termes d'infrastructures de recherche, d'équipements, et de mise à niveau des ressources humaines. On a lancé un programme de création de plus de 1000 laboratoires, nous en avons reçu plus de 400.Nous avons lancé plus de 200 nouvelles infrastructures de recherche, acquis plus de 22 milliards DA en équipements scientifiques, fait un plan de recrutement de plus de 3000 chercheurs permanents au niveau des universités. Et ce n'est qu'avec la 3e loi que nous passons réellement à l'étape de la recherche au service du citoyen et du développement socio-économique. Auparavant, c'était de l'utopie de parler de la recherche scientifique et de ce qu'elle peut apporter, alors que nous n'avons rien.- Cela élimine donc la question de savoir comment évaluer la recherche scientifique?Sincèrement, si on venait à faire un bilan par rapport à l'environnement dans lequel a évolué la recherche scientifique, on peut dire que le bilan est très positif. Comparativement aux moyens mis en place : combien on a dépensé entre la 1re et la 2e lois (2000-2015) ' Pas plus de 100 milliards de DA, c'est le budget que dépense aux USA une seule université en une année. Ce qui est important aujourd'hui, c'est que la recherche est organisée. Maintenant, il faut savoir que chaque laboratoire de recherche est indépendant. Le directeur du labo est ordonnateur de son budget.- Ceci dit, il y a certains directeurs de labo qui disent souffrir de la bureaucratie dans la gestion de leurs structures?Il faut savoir qu'il y a deux sources de financement. Un financement public, donc le labo est soumis à la comptabilité publique. D'autre part, il existe les sources de financement externes que peut avoir un labo par rapport à la prestation qu'il fait. C'est ce qu'on appelle le fonds propre du labo.Actuellement, nous leur avons dit (directeurs des labos, ndlr) : «Vous voulez avoir plus de liberté, travaillez plus et faites entrer de l'argent». Et encore ! Il faut dire qu'un décret a été promulgué seulement pour les labos concernant le contrôle a posteriori. Publié en 1998, le texte d'application garantit aussi la possibilité de commercialisation.- Certains chercheurs disent le contraire, que le contrôle justement se fait en amont de l'acquisition du matériel?Vous savez, c'est aussi au gré du chef d'établissement (recteur). Je dirais que dans la majorité des établissements, les grandes universités, ça marche très bien. Mais dans d'autres universités, le recteur fait la loi. Il y a aussi beaucoup de dérives : des laboratoires où le directeur se dit ordonnateur et n'applique pas la réglementation. Aujourd'hui, nous avons plus de 1300 labos, c'est un effort considérable de l'Etat. On a laissé faire durant la 1re et la 2e lois, mais avec cette troisième, ça va être vraiment la rigueur. Celui qui travaille aura de l'argent et celui qui ne travaille pas son labo sera dissout.C'est l'excellence que nous cherchons. Nous avons donné la chance à tout le monde sans a priori, nous leur avons donné un temps d'apprentissage et d'adaptation. Nous n'avons pas demandé de comptes pendant quatre ans, mais maintenant c'est fini. Depuis 2015, c'est la décantation. Survivra celui qui mérite et qui peut apporter une valeur ajoutée au pays. Et celui qui est un carnivore n'aura plus le droit d'exister dans notre système.- En décembre dernier, vous avez parlé d'un projet de schéma de développement scientifique ; qu'en est-il 'Il faut savoir que la Direction générale s'occupe de la recherche scientifique dans toutes les structures socio-économiques. Nous mettons des infrastructures au niveau de chaque ministère. Nous coordonnons les actions à travers des commissions interministérielles qui mettent en place les problématiques posées dans chaque secteur. Nous prenons en charge ces problématiques que nous transformons en programmes nationaux de recherche.- Quels sont les critères de choix des objectifs à atteindre 'La première des choses est la mise à niveau des ressources humaines. Si nous nous comparons à l'échelle internationale, la moyenne du nombre de chercheur par million d'habitants est de 1080. En Algérie, nous sommes entre 800 à 900. Un de nos objectifs est d'atteindre une masse cohérente de chercheurs. Nous avons 3000 chercheurs permanents sur les 30 000, et là est le déséquilibre. Si je compare avec les pays développés, le ratio entre le chercheur permanent et universitaire est de 3. Normalement, il y a plus de chercheurs permanents que d'enseignants-chercheurs.Car la recherche est dans l'entreprise. Voilà le message qu'on veut faire passer au ministère de l'Industrie. Tant que ce ministère ne réfléchit pas à mettre en place une stratégie de recherche et de développement en entreprises, nous ne réussirons pas et nous continuerons à importer des licences et un savoir.- Mais cela n'implique plus seulement le ministère de la Recherche scientifique, mais toute une politique nationale...C'est pour cela que dans la 3e loi nous essayons de promouvoir et d'encourager la recherche en entreprise. Aujourd'hui, il y a la possibilité pour toute entreprise publique ou privée qui veut mettre en place des structures de Recherche et développement (RD) aura un accompagnement de la DGRSDT en termes de structuration et de financement. Nous avons déjà mis en place un décret stipulant que ces entreprises seront exonérées de la fiscalité et des impôts (IBS). En plus, nous avons mis des articles qui permettent la création d'un statut de chercheur en entreprise.- Quelle est la cohérence d'une nouvelle loi donc dans un environnement qui ne semble pas propice à la recherche 'Puisque les ministères ne veulent pas installer ces structures, nous nous mettons en place une loi qui les oblige à le faire. Dans cette loi, obligation est faite aux entreprises de mettre en place un statut de chercheur, des programmes de recherche, et nous les aiderons. Cela ne coûtera rien à l'entreprise.Dans le monde, 80% de la recherche est consacrée à l'industrie, en Algérie 99% elle est d'ordre académique. Et on se demande ce qu'a fait la recherche pour l'Algérie ' Elle ne pourra rien faire tant qu'il n'y a pas une vision globale. Le second problème est la création de start-up, ces entreprises innovantes pour exploiter les brevets. Et pour cela, un fonds d'amorçage qui devait être fait par le ministère de l'Industrie, l'Ansej, ou l'ANEM, c'est notre direction qui l'a inclus dans cette nouvelle loi.




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