Algérie

La recherche de la croissance économique nous incite à la recherche scientifique



Par Pr Baddari Kamel(*)
La croissance économique est un enjeu de taille car elle permet au pays d'assurer le bien-être de ses habitants, de participer au développement dans le monde, de contribuer à la réduction des inégalités entre les êtres et la protection de l'environnement, entre autres. Elle se nourrit de plusieurs facteurs de développement parmi lesquels la recherche scientifique dont le rôle est de générer des externalités positives indispensables à la création des richesses. Ce qui nous intéresse dans cette contribution, c'est de montrer dans quelle mesure la recherche scientifique est un levier important de croissance économique. Nous entendons par recherche scientifique toute activité intellectuelle qui se propose de réaliser des découvertes, des innovations et la production des nouvelles connaissances à mettre à la disposition des entreprises pour permettre à la recherche ? développement - moteur de croissance ? de se réaliser.
En quoi la recherche scientifique peut-elle être un facteur de croissance '
La relation entre recherche scientifique et croissance économique peut être vue à travers la théorie de Schumpeter et d'Adams sur le savoir. Ils expliquent que la croissance économique est une succession infinie de cycles de croissance. Le départ d'un cycle est une innovation majeure. Cette innovation va donner lieu à la création d'un cluster d'entreprises dont les conséquences positives sont l'amélioration des perspectives de l'emploi et le pouvoir d'achat des ménages ainsi qu'à la confiance de s'installer.
L'économie du pays rentre alors dans une période d'expansion qui se poursuivra jusqu'à l'apparition d'un dérèglement économique provoqué par la concurrence qui, à son tour, provoquera la chute des prix que les entreprises, hélas, ne pourront pas supporter. Certaines de ces entreprises disparaîtront ou se trouveront dans une situation de précarité les obligeant à réduire le personnel notamment. La crise s'installe. Elle va toucher la totalité ou une partie de l'économie du pays qui va connaître une phase de récession qui mettra fin au cycle de croissance. Il faut impérativement en initier un autre lui succédant. C'est ce qui fait dire que le capitalisme est un système instable en raison de ces fluctuations. Pour mettre fin à la récession, seule une autre innovation majeure permettra d'initialiser un autre cycle de croissance qui suivra le même cheminement que précédemment. L'exemple de la firme Nokia est révélateur.
Cette firme a été le moteur de développement de l'économie finlandaise dans la première décennie de l'an 2000 qui a profondément misé et investi sur la recherche scientifique. Durant cette période, l'économie finlandaise a connu une forte expansion par le nombre d'entreprises créées pour accompagner cette innovation de téléphonie portable. Son cycle de croissance a permis une nette augmentation du PIB mais l'expansion a été freinée par la concurrence chinoise et sud-coréenne notamment. La firme a été obligée de se restructurer sans aboutir d'ailleurs aux résultats escomptés. Elle a, par la suite, été rachetée par Google.
La recherche scientifique est de nature endogène, d'externalités positives
Ce qui vient d'être exposé montre clairement que la recherche scientifique, génératrice d'innovations est inévitablement un facteur de croissance économique d'approche endogène où certaines activités généreraient des externalités positives profitables à l'ensemble de la société. En d'autres termes, toute innovation aura pour effet de provoquer une nouvelle situation économique profitable à l'ensemble de la population (l'exemple du futur vaccin contre le virus Covid-19 est révélateur de cette situation). Pour que ces externalités positives soient à forte résonance, l'Etat interviendra sur plusieurs fronts. Tout d'abord, il sera appelé à mettre en ?uvre une politique de recherche scientifique cohérente, résultat d'une analyse approfondie des besoins que d'un simple postulat ou constat, et investir dans les infrastructures lourdes, les technopoles et les dépenses publiques en recherche-développement. Il permettra aussi au secteur privé d'investir et de financer la recherche scientifique, en lui concédant des mesures incitatives concrètes pour une période donnée. Il assurera aussi la protection des productions scientifiques, car tout marché est imparfait et ne permet pas de protéger les découvertes ; sinon, certaines entreprises ne trouveraient aucun intérêt à faire de la recherche. S'il est amené à financer la recherche sur fonds publics, l'Etat veillera sur la destination des fonds consentis pour qu'ils ne partent pas vers des besoins non rentables ou des projets non structurants.
Et l'impact du Covid-19 '
La pandémie de Covid-19 compte désormais sur toute planification économique. D'un autre point de vue, cette pandémie a provoqué une variation imprévue et brutale aussi bien sur la demande des biens et des services que sur leur offre. On est en présence de chocs de demande et d'offre pour reprendre le langage des économistes. Le choc d'offre a eu pour conséquence le ralentissement de la production mondiale que les outils classiques de politique économique ne peuvent hélas amortir.
Un autre méfait attendu de ce choc est la désorganisation des chaînes de production qui entraînerait des ruptures de stock dont la conséquence est la paralyse temporaire de l'économie mondiale. Cela durera le temps que mettront les chaînes de production pour se réorganiser, laissant au passage nombre d'entreprises sur le carreau, condamnées à l'incapacité de produire.
Concernant le deuxième choc relatif à la demande, il n'est pas tout à fait visible car les revenus ne se sont pas effondrés bien que la demande pour de nombreux domaines ait fortement diminué (exemple : la restauration, l'hôtellerie, les agences de voyages, la formation continue des travailleurs) ; mais elle a amené les ménages à reconsidérer leurs dépenses et augmenter leur épargne car les agents et les ménages dépensent moins (magasins fermés, voyages suspendus...). La pandémie de Covid-19 si elle a permis une certaine réorganisation des affaires des ménages et des acteurs économiques, il n'en demeure pas moins qu'elle va entraîner des coupes budgétaires. La prudence des décideurs est de taille car réduire la part consacrée à la recherche scientifique, qui demande d'ailleurs à être augmentée, ne permettrait pas la naissance des innovations majeures capables de mettre fin aux malheurs de l'économie d'un pays.
Le rôle des structures institutionnelles, cas de l'Algérie
Dans les années soixante-dix, en Algérie, alors que l'économie du pays n'avait à peine qu'une douzaine d'années d'âge, la mise en place des moyens de production, de formation et de recherche n'a jamais été aussi retentissante que lors de cette période lorsque le commissariat au plan officiait par des plans quadriennaux et quinquennaux dont la mise en ?uvre avait marqué de réels progrès. Cette structure institutionnelle posait dans toute son acuité les problèmes de développement du pays tels que l'enseignement, la recherche, l'industrialisation, l'agriculture, la médecine et le paramédical, les équipements, les infrastructures lourdes et l'environnement. C'est dans cette période que sont créés les grands ensembles industriels ou de services (hôtellerie et tourisme, notamment) et les grandes entreprises qui tiennent la route jusqu'à aujourd'hui (Sonatrach, Sonelgaz,...). C'est dans cette période aussi que les grands ensembles de formation universitaire, d'apprentissage et d'éducation ont été créés et permirent le lancement de grandes filières de formation telles que l'informatique, les hydrocarbures, les sciences exactes, les sciences humaines, les sciences médicales... C'est dans cette période aussi que sont créées les entités de recherche scientifique. Toutes les réalisations ont abouti à la formation d'une génération de cadres et de scientifiques qui ont permis au pays de traverser les difficiles parcours marqués par des soubresauts et faits extra-économiques.
C'est aussi à travers cette génération que des pays étrangers ont su attirer un nombre conséquent de cette ressource humaine.
Aujourd'hui, le retour d'une structure du type commissariat au plan permettrait, sans aucun doute, une meilleure prise en charge des innombrables projets et initiatives tracés par le gouvernement.
Conclusion
La recherche scientifique est un facteur dominant de croissance. Elle s'inscrit dans un modèle classique de développement économique selon laquelle la recherche fondamentale nourrit la recherche appliquée qui, à son tour, permet des innovations capables de favoriser la naissance de cycles de croissance. Basée sur la production des connaissances soumises à l'amélioration rapide, la recherche scientifique est de nature endogène, apte à créer des externalités positives indispensables à l'amélioration des conditions de vie de ses habitants, comme elle le fait depuis des siècles. Les pays qui consacrent un faible pourcentage de leur PIB à la recherche scientifique sont automatiquement des pays qui souffrent de retards technologiques chroniques. Il est montré la forte corrélation entre dépenses publiques en recherche et développement et le taux de croissance moyen du PIB qui est un agrégat comprenant toutes les valeurs ajoutées de tous les agents économiques dans un pays, et dont la variation d'année en année montre la croissance économique. À cet égard et concernant l'Algérie, le pourcentage de la recherche dans le PIB est en augmentation constante depuis plusieurs années, mais reste toujours à un niveau faible, nettement insuffisant pour provoquer des externalités positives nécessaires au déclenchement d'un cycle de croissance économique durable. Pour l'année 2019, l'Algérie s'est classée 113e sur 129 pays que l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété individuelle) a analysés sur la base des brevets déposés.
C'est un classement qui a au moins un sens, celui de montrer que l'Algérie figure parmi les nations innovatrices. Il appartient aux différentes organisations concernées du pays de relever le défi par un réel projet de société qui incite à la science.
B. K.
(*) Professeur des universités. Université de M'Sila.


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