Algérie

"La recapitalisation des banques publiques passe par leur fusion"



MOURAD GOUMIRI
ECONOMISTE
Liberté : Le gouvernement vient d'annoncer son intention d'introduire en Bourse deux des banques publiques. Au-delà de la question liée à la faisabilité de l'opération et aux préalables nécessaires à son succès, ne révèle-t-elle pas des fragilités au sein des banques publiques '
Mourad Goumiri : Le problème des banques publiques est ancien et ne date pas d'aujourd'hui ; il se résume, d'une part, au management de ces dernières et, d'autre part, au portefeuille toxique de leurs livres essentiellement constitué par les entreprises publiques qu'elles financent.
Les banques publiques sont-elles autonomes vis-à-vis des entreprises publiques qu'elles sont obligées de financer ' Peuvent-elles appliquer les règles prudentielles imposées par la Banque d'Algérie pour assainir leurs comptes ' Les banques publiques ne sont pas fragiles par nature ; on les a fragilisées par les injonctions des autorités économiques qui édictent les règles à suivre en la matière.
La solution proposée par le propriétaire unique via leur privatisation directe ou par la Bourse est une fausse solution, car elle ne prend pas en charge le vrai problème qui se situe dans la performance des entreprises publiques et privées sur le marché algérien ou à l'export. Mises face à une concurrence déloyale, à travers la signature, par les pouvoirs publics, d'accords d'association multiples et iniques, les entreprises nationales sont condamnées à disparaître à court et moyen terme.
Le sursis qui leur reste est le financement sans fin par les banques publiques qui ne fait que prolonger leur agonie ! La recapitalisation des banques publiques passe par leur fusion, en deux banques publiques, et un assainissement de leur portefeuille. Il n'y a pas d'autres solutions pour l'instant. La Banque centrale doit contribuer à leur consolidation en organisant le marché monétaire et celui financier de manière à desserrer l'étau dans lequel elles sont prises.
En temps de crise exceptionnelle, il faut des mesures exceptionnelles. Rappelons-nous de la crise des subprimes de 2008 et de l'actuelle, liée à la pandémie ; que croyez-vous que les autorités économiques et financières des plus puissantes économies au monde ont fait, sinon renflouer leurs banques publiques et... privées, en explosant leur déficit budgétaire !
Cependant, cette action doit obéir à une vision stratégique et à un plan d'action global et cohérent, sans lesquels tous les efforts consentis seront vains. C'est justement ce qui manque à notre pays : des réformes structurelles que nous appelons de nos v?ux depuis plus de vingt ans.
Même si les banques demeurent suffisamment capitalisées, les liquidités bancaires ont beaucoup diminué, tout comme le ratio de solvabilité des fonds propres. Comment les établissements bancaires devront-ils se comporter face à cette situation '
La liquidité bancaire est une des missions régaliennes de la Banque centrale ; elle doit la mettre en ?uvre dans le cadre d'une politique monétaire responsable et assumée. Lorsque la liquidité est insuffisante, la clé de voûte du système monétaire et financier doit "ouvrir le robinet" par les instruments classiques dont elle dispose ; c'est ce qu'a fait la FED pendant des années pour relancer l'économie américaine.
Pourquoi devrions-nous nous en priver ' Mais à cet endroit également, des objectifs précis doivent être affichés de manière claire et indiquer aux flux réels les conditions de leurs prises en charge. Sans le concours de la Banque centrale, les établissements bancaires seront contraints de restreindre leurs concours, ce qui se traduira par une récession à coup sûr.
La proportion brute des prêts improductifs a beaucoup augmenté depuis 2016, alors que la croissance du crédit à l'économie durant ces dernières années a eu comme effet indésirable la hausse des créances sur les grandes entreprises des secteurs public et privé. Quelle solution faut-il préconiser pour venir à bout de ce casse-tête qui mine les bilans des banques '
Le problème est au niveau des entreprises et non au niveau des banques. Si les pouvoirs publics veulent subventionner les entreprises publiques et même privées, qu'ils le fassent, mais la sujétion publique doit être inscrite dans les comptes de l'Etat, non pas dans ceux des banques publiques qui financent par force les entreprises publiques.
À ce moment, les pouvoirs publics seront forcés à faire des arbitrages, leurs ressources n'étant pas infinies. Ils devront donc mettre en ?uvre une politique d'allocation des ressources rares, parcimonieuse, en revisitant, en d'autres termes, la politique des subventions.Propos recueillis

Par : A. TITOUCHE


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