Algérie

La réalité coloniale dite par Maupassant



En cette époque de colonialisme triomphant, Maupassant est l'un des seuls à critiquer avec autant de vigueur le système colonial.L'immense écrivain et journaliste Guy de Maupassant a été envoyé en 1881 en Algérie pour faire des reportages au profit du journal Le Gaulois sur la révolte qui vient de naître. Il a sillonné le pays pour décrire une réalité autre que celle servie par la propagande colonialiste de l'époque. Guy de Maupassant va signer des articles incisifs sur la réalité coloniale, en dénonçant les excès dont il est le témoin. Grâce au pseudonyme qu'il s'est choisi («un colon»), il se permettra d'aller parfois très loin dans la critique. Il écrit ainsi, dans son premier article: «Il faut une connaissance approfondie de chaque contrée pour prétendre l'administrer (...) or, le gouverneur, quel qu'il soit, ignore totalement et absolument toutes les questions de détail et de moeurs. Il ne peut donc que se rapporter aux administrateurs qui le représentent.
Quels sont ces administrateurs' Des colons' Des gens élevés dans le pays, au courant de tous ses besoins' Nullement! Ce sont simplement les petits jeunes gens venus de Paris à la suite du vice-roi, les ratés de toutes les professions, ceux qui s'intitulent les «attachés» des grandes administrations. Or, cette classe d'«attachés» ou plutôt de déclassés ignorants et nuls, est pire ici que partout ailleurs. On ne nous expédie que les tarés».
Il ajoute: «Les soldats, qui ont besoin d'avancement (...) ont fait accepter par tout le monde cette doctrine que l'Arabe demande à être massacré et on le massacre à toute occasion. Quand on manque d'occasions, on le bat comme plâtre, on le pille, on le ruine et on le force à mourir de faim (...) Je suis colon et je me révolte, et je proteste, comme homme et comme colon, contre les moyens qu'on emploie pour livrer à l'Européen cet admirable pays où il y aurait de la place pour tout le monde.» Guy de Maupassant envoie au même journal un second article où il écrit toujours sous le pseudonyme « un colon» : «Rien ne peut donner une idée de l'intolérable situation que nous faisons aux Arabes. Le principe de la colonisation française consiste à les faire crever de faim (...). On connaît l'histoire des massacres de Saïda, l'évacuation des champs de l'alfa, les razzias des fermes et la déroute du colonel Innocenti, dont les approvisionnements sont restés aux mains des révoltés. C'est que les rebelles ne se battent aujourd'hui que pour les vivres, ou plutôt pour vivre... En somme, tout se borne à une guerre de maraudeurs et de pillards affamés. Ils sont peu nombreux, mais hardis et désespérés, comme des hommes poussés à bout. Mais comme le fanatisme s'en mêle, comme les marabouts travaillent sans repos la population, comme le gouvernement français semble accumuler les âneries, il se peut que cette simple révolte, insurrection religieuse avortée, devienne enfin une guerre générale que nous devrons surtout à notre impéritie et à notre imprévoyance.»
Lors de son séjour à Alger, il notera que «dès les premiers pas, on est gêné par la sensation du progrès mal appliqué à ce pays. C'est nous qui avons l'air de barbares au milieu de ces barbares, brutes il est vrai, mais qui sont chez eux,et à qui les siècles ont appris des coutumes dont nous semblons n'avoir pas encore compris le sens. Nos moeurs imposées, nos maisons parisiennes, nos usages choquent sur ce sol comme des fautes grossières d'art, de sagesse et de compréhension. Tout ce que nous faisons semble un contresens, un défi à ce pays, non pas tant à ses habitants premiers qu'à la terre elle-même». B.T.


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