Algérie

LA RÉALISATRICE ET AUTEURE TUNISIENNE, SONIA SHAMKHI



«La place de la femme est très importante»
«Même si les lois changent d’un pays maghrébin à l’autre, au niveau de la mentalité, le combat est à mener de front dans nos trois pays», affirme la réalisatrice. On s’attache vite à cette femme. Elle semble avoir beaucoup de choses à dire. Et pas seulement sur la situation de la femme en Tunisie. Chercheur, universitaire, enseignante, spécialiste en cinéma, Sonia Chamkhi est une femme qui se plait à toucher à tout ce qui peut lui procurer une note de bonheur. Elle a plusieurs cordes à son arc, en plus d’être femme et mère accomplie. Un exemple à suivre quoi! Wara El Blaïk, cet attendrissant court métrage qu’elle présenta à Béjaia, est une histoire d’amour pas comme les autres. C’est le récit des mois de bonheur arrachés à la misère et à la privation d’un homme et d’une femme, tout les deux issus de l’exode rural et que le destin réunit au carrefour de la grande ville. Saâdia travaille comme femme de ménage, Mokhtar est le surveillant d’un immeuble encore squelettique, tout en ferraille et en piliers de béton. Leur rencontre est pour l’un comme pour l’autre la découverte de l’amour, de la plénitude, c’est ce que nous pouvons lire sur le blog de Sonia Shamkhi.Ce film est aussi le dernier-né d’une série de courts métrages réalisés par cette réalisatrice, docteur en lettres (cinéma, audiovisuel, télévision) et enseignante de design et pratique audiovisuelle à l’Institut supérieur des beaux-arts de Tunis et à l’Ecole des arts et du cinéma (Edac). Elle est aussi auteur dramatique et littéraire, elle a participé à l’adaptation de plusieurs longs métrages tunisiens. Actuellement elle édite son premier roman Leïla ou la femme de l’Aube (Elyazid/ Claire-Fontaine) qui flaire encore l’amour doublé de mélancolie, cette effluve si chère à Sonia. Dans cet entretien, la réalisatrice passe au scalpel la situation de la femme, à fortiori, cinéaste en Tunisie...«Même si les lois changent d’un pays maghrébin à un autre, au niveau de la mentalité, le combat est à mener de front dans nos trois pays...», explique cette femme qui a su concilier à merveille entre tradition et modernité.L’expression: Vous êtes invitée aux rencontres cinématographiques de Béjaïa afin de présenter votre court métrage intitulé Wara El Blaik. Pourriez-vous vous présenter un peu plus à nos lecteurs?Sonia Shamkhi: Je suis invitée en tant que cinéaste, mais je tiens à dire que je suis aussi professeur. Je suis pédagogue de l’image à l’Ecole des beaux-arts de Tunis, puis à l’Ecole du cinéma de Tunis. J’ai également été dans l’écriture, puisque j’ai travaillé en tant que journaliste pendant assez longtemps. J’ai été la correspondante du journal La Presse à Paris, pendant 5 ans, durant mes études de cinéma à Paris. Et je suis auteur scénariste qui écrit pour les autres et qui adapte des longs métrages, qui écrit pour les autres des courts et pour moi aussi.Vous avez présenté un court métrage qui raconte une histoire d’amour, reflet peut-être un peu de la situation sociale des femmes en Tunisie. Pourriez-vous nous en dire plus?C’est un film qui possède deux protagonistes importants. La femme et l’homme. Ce n’est pas un parti pris de rapport d’exclusion. Au contraire, c’est une quête de rapport de réciprocité entre la femme et l’homme. Je ne suis pas la seule qui traite de ce sujet en Tunisie. La femme est un cheval de bataille dans le cinéma tunisien. Je pourrais citer le Silence des Palais de Moufida Tlatli qui a été l’un des premiers films dont les personnages principaux sont des femmes et dont le film traite de la situation des femmes recluses, astreintes dans le silence à subir l’autorité excessive de la société patriarcale. Avant cela, il y avait déjà des sujets de films qui traitent de la situation de la femme, notamment Aziza de Abdelatif Benameur. Dans les films de Nouri Bouzid, les protagonistes ne sont pas nécessairement des femmes, mais la place accordée à la femme est très importante. Il a fait dans Bent Familia le portrait de trois femmes actuelles dont une Algérienne pour dire que la condition est commune. Même si les lois changent d’un pays maghrébin à un autre, au niveau de la mentalité, le combat est à mener de front dans nos trois pays.Les lois ne fondent pas un rapport de vie, elles encadrent peut-être, mais si on a recours à la loi, c’est qu’on a beaucoup de problèmes dans le quotidien. La loi c’est toujours un instant de rupture où les choses vont si mal qu’on a recours à elle, pour recouvrir sa dignité. Cela en dit long sur ce qu’il y a avant. C’est à dire, la mentalité, l’éducation, l’instruction, les représentations quotidiennes mais également les représentations imaginaires. Autrement, une mémoire collective qui peut vivre cette période de mutation, de recherche, de réciprocité, d’une égalité comme quelque chose de très douloureux. Ceci pour rectifier cette idée qui dit que les films traitent de la femme en dehors de l’homme..., je ne pense vraiment pas. Je suis certaine également qu’il ne faut pas sous-estimer cette période de mutation que vivent les sociétés maghrébines, où des femmes qui étaient réellement à la maison, qui n’étaient pas forcément instruites, qui n’avaient pas droit au travail et qui étaient dans un rapport assez défini à l’homme, d’un coup sortent à l’extérieur, travaillent, et deviennent indépendantes. Elles sont instruites et connaissent leurs devoirs. D’un coup, c’est vrai que les hommes sont un peu désarçonnés par un changement de situation total. Et si on ajoute à cela, la situation de l’homme n’est pas forcément meilleure, sur le plan économique, sur le plan de la liberté de pensée, d’agir, de la dignité humaine tout court; on réalise qu’on est aussi dans un drôle de pétrin. Eux-mêmes, ils subissent beaucoup de violence. Cette violence subie par les femmes est d’abord subie par les hommes et elle se transmet sur un être historiquement plus faible..Estimez-vous que ce droit acquis en Tunisie et qui donne plus de liberté à la femme tunisienne qu’ à l’algérienne est une liberté factice ou déguisée?Je ne dirais pas cela. Le Code du statut de la femme en Tunisie est réellement un acquis national et historique. Mais il faut être d’abord très vigilant avec les acquis qui ne sont jamais définitifs. C’est un cadre législatif que les hommes ont décidé et qui peut changer comme les hommes changent. Les hommes et les femmes évidemment. Ceci est pour l’aspect légal même si je suis optimiste en Tunisie et je ne pense pas qu’il puisse y avoir en Tunisie un recul sur des thèmes aussi importants que le divorce, la garde des enfants, le droit à l’égalité, au salaire entre hommes et femmes etc. Sur cela je suis optimisme, ce n’est pas une fausse liberté. Là où la réalité est nettement nuancée, c’est dans la vie quotidienne. La loi peut vous garantir le droit d’occuper un poste important et de dire non, par exemple. La vie réelle n’est pas de l’ordre d’un cadre prédéfini. La vie réelle dit que si tu t’obstines trop tu peux perdre ton conjoint, tu peux te retrouver en rupture avec ton père, tu peux ne pas avoir de bonnes relations avec ton frère. Et là ça empoisonne ta vie. La mentalité est quelque chose qui s’acquiert avec le temps, où la conviction personnelle s’accompagne d’un bien-être. Pour changer les rapports il faut plus qu’une loi. Mais quel bonheur de recourir à la loi pour se retrouver seule, sans homme, ni enfants, sans père, sans famille?!. Cette période de transition demeure encore en Tunisie. Les douleurs qui l’accompagnent me font parfois douter de l’efficacité de la manière choisie. Si la loi a la prééminence sur les mentalités, cela ne veut dire nullement qu’il faut se reposer sur les lois. Il faut réfléchir et s’interroger comment l’accompagner au quotidien, dans l’école, dans le travail, dans les relations amoureuses, dans le choix des partenaires du conjoint, dans le rapport à l’amour...En Tunisie, les femmes doivent être très pédagogues. Elles doivent tendre un peu plus la main vers l’homme pour le faire partager et ne pas lui faire subir ce que nous avons légitimement gagné comme droit.Vous, en tant que femme doublée de cinéaste, comment vivez-vous cette situation et quelle place accorde-t-on à une cinéaste ou, a fortiori, à une femme artiste en Tunisie'Une femme cinéaste c’est d’abord une cinéaste. Il nous est demandé de faire preuve d’autant de compétence que les hommes. C’est naturel. Je dirais même un peu plus. C’est une histoire de mentalité, de représentation. Il n’est pas très aisé pour une équipe d’hommes, même si on le cache un peu, d’avoir comme chef une femme. Il va falloir vraiment que tu fasses preuve de compétence, d’intelligence sociale, être dans un rapport où tu imposes la réciprocité. C’est la chose la plus dure, c’est d’être égaux. On est dans des sociétés essentiellement et historiquement patriarcales, basées sur l’autorité. Alors, les gens te demandent presque d’être autoritaire avec eux mais pas d’être égaux, ils ne comprennent pas. Et on ne sait pas comment faire. D’abord, il faut être très patient pour être admis dans un milieu très masculin. Les postes qu’occupent les femmes dans le cinéma restent quand même la script, la maquilleuse et l’habilleuse. Les grands départements sont menés par des hommes. J’attends cette génération et je la vois venir, où une femme peut être chef opérateur, cadreur...Le seul poste déterminant pour une femme en Tunisie reste la réalisation, et pour accéder c’est un chemin très dur déjà pour les hommes, alors que dire pour les femmes! Une femme cinéaste cela veut dire que c’est une femme qui est sortie à l’étranger. Cela reste encore minoritaire. Nous avons encore une vision très citadine du monde arabe, comme si tout le monde est instruit et a les moyens etc. Or, ce n’est pas le cas. C’est la face apparente de l’iceberg. Imaginez toutes les femmes rurales qui vivent dans des conditions économiques difficiles. Comment faire ce parcours de formation et de parcours d’université si long, partir à l’étranger, avec le risque de rater le mariage car il y a un âge où la femme se marie sinon tu loupes le bateau. Il part sans toi. Et moi, je ne conseille à aucune femme de rester seule. Il faut être très imaginative. Il faut qu’on soit conscient de nos devoirs, de ce qui est important à l’instruction, la liberté de réfléchir, mais il faut accompagner cela de beaucoup de douceur, d’intelligence de vie. Je ne suis pas pour l’idée de la provocation. Je suis pour «comment l’autre adhère à ma position». Je ne ferais pas violence à mon père. Il faut être par moment discrète, réconciliatrice; par moment légèrement fâchée. Je crois que les positions radicales ne sont pas intelligentes. En fait, elles appellent la rupture, or, on a besoin d’une mutation, pas de rupture. Ça nous sert à quoi d’être entre nous des femmes libres mais sans enfant, sans amoureux? Ca sert à quoi? A être aigrie de l’intérieur. Il me semble que c’est cette démarche, qui est la plus importante, occuper sa place; la mériter, l’estime de soi, cette intelligence par rapport à l’autre, à ce qui t’entoure...Il ne faut pas renier sa mère, je veux dire et trouver ce pont de contact, avec sa mère, son père, sa grand-mère, son conjoint et ceci est un travail de longue haleine plus déterminant que le travail de la loi.Comment voyez-vous donc ce cinéma à travers vous? Quels sont vos projets en perspective et la femme constitue-t-elle un centre d’intérêt dans vos films'En réalité, j’ai un regard assez critique sur cette bataille qui a été menée, et que je peux reconnaître dans le cinéma tunisien, pour la liberté de la femme. Je pense que l’intention a été très bonne au départ, mais elle n’a pas été suffisamment réfléchie pour devenir un enjeu. Car quand je regarde la représentation de la femme dans le cinéma tunisien, je vois quand même une opposition très nette entre les femmes libérées et du coup très dévergondées, entre la fille de joie ou de cabaret et les femmes soumises, recluses, battues, violées, etc. Il me semble que l’enjeu réel est de proposer une femme qui n’est ni l’une ni l’autre. Cette femme qui incarne de nouvelles valeurs, qui peut être libre mais pas forcément dévergondée, des femmes qui nous ressemblent tout simplement. Proposer ce nouveau modèle d’identification est l’enjeu auquel j’adhère. Une femme indépendante mais digne, mais pas dans un rapport de colère vis à vis de l’homme. Au contraire. Dans ce sens-là, oui, ce sera un prétexte d’un sujet de film à raconter. J’ai aussi deux projets en vue. Un documentaire sur la musique populaire tunisienne et un scénario de long métrage où justement le rapport à l’homme, à l’amour, à la liberté et à la dignité est déterminant. Le titre encore provisoire est Divorce à l’amiable.
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