De l’analphabétisme, (les taux d’analphabétisme dans les pays arabes sont les plus élevés au monde — 70 millions d’analphabètes — avec une nette prédilection pour les femmes qui représente 45% ), au statut de mineure à vie, à l’absence d’autonomie, aux obstacles à la participation politique, sans parler des mariages forcés, et des crimes d’honneur dans certaines régions. Tous ces abus demeurent malheureusement l’apanage quotidien de nombreuses femmes musulmanes et sont dans la majorité des cas, cautionnés par une certaine lecture du religieux.
Ceci étant, il convient de faire la part des choses et réfuter l’assertion qui prétend que le message spirituel du Coran, texte sacré de l’islam, serait la source principale de la discrimination et de la dévalorisation des femmes. Le constat de la situation de la femme en terre d’islam est réellement accablant, mais il est important de différencier entre le fait culturel et l’essence d’une religion, entre un message spirituel et ses diverses interprétations.
Une règle commune consiste à incriminer fatalement le Coran comme source inéluctable de discriminations envers la femme. Or, le vrai problème qui se pose ce n’est pas tant le Coran en lui-même, mais plutôt ce que l’on a fait de ce Coran à travers des siècles et des siècles de lecture et d’interprétations sexistes envers la femme. Une interprétation rigoriste et complètement fermée du religieux qui a légitimé durant toute l’histoire musulmane volontairement ou non, une véritable «culture de discrimination» à l’encontre des femmes.
Il est évident et facile de retrouver des arguments coraniques qui infériorisent la femme – comme d’ailleurs dans tout texte religieux que cela soit la Bible ou la Torah – quand on pratique une lecture littérale, statique qui ne prend jamais en compte ni la dynamique historique des époques de la révélation, ni celle de la conjoncture actuelle.
Ceci dit, le constat d’une culture de discrimination envers la femme est rarement admis en terre d’islam, où l’on retrouve le plus souvent un discours islamique interne qui tente de répondre à ces allégations par la justification et la réaction passionnelle, affirmant que «l’islam protège la femme, qu’il l’honore et qui lui donne tous ses droits». Ce discours officiellement ressassé, toujours sur la défensive reste, malgré sa véracité dans le fond, très théorique, très superficiel voire insuffisant et surtout en contradiction flagrante avec la réalité de la majorité des sociétés musulmanes.
Le véritable problème dans les pays musulmans est que les femmes ont été marginalisées pendant des siècles au nom du sacré. Alors que le message spirituel a permis à ses débuts et par rapport au contexte de l’époque, d’instaurer une véritable dynamique de libération des femmes, qui sera rapidement détournée par les coutumes tribales discriminatoires et l’impulsion qu’a connu le statut de la femme musulmane avec la révélation coranique va petit à petit s’estomper en faveur d’une lecture strictement juridique complètement vidée de son éthique spirituelle.
Même si en islam il n’existe pas de Clergé, il y a eu à travers l’histoire de la civilisation islamique l’instauration tacite d’une institution savante exclusivement masculine qui s’est approprié le droit de légiférer au nom de Dieu. Ceci a d’ailleurs été spécialement perceptible à deux niveaux essentiels : la question de la femme et la question du pouvoir politique en islam, deux questions qui seront historiquement étroitement liées.
En effet, la femme musulmane fût victime d’un double despotisme : celui d’un système politique autocratique –véritable tare des sociétés islamiques – et celui d’un système culturel patriarcal, pouvoir autoritaire fortement enraciné dans les populations de cette région. Ce sont ces deux pouvoirs absolus qui ont bâillonné la femme pendant des siècles et qui ont participé activement à la régression irréversible de son statut entérinée d’autre part par le déclin de cette civilisation. Si l’on rajoute à tout cela le choc de la rencontre avec la colonisation occidentale, on comprendra aisément l’ampleur des dégâts dévastateurs sur le statut de la femme et dont on perçoit les séquelles traumatiques jusqu’à nos jours.
Concernant cette page de l’histoire, il faudrait dans ce genre de dialogue souligner l’importance de cette dimension coloniale qui explique en partie le rejet du monde musulman de certaines valeurs de la modernité et notamment celles relatives à l’émancipation féminine.
Le monde musulman en se protégeant contre le colonisateur a surtout emmuré la femme qui elle aussi en participant à l’entreprise anticoloniale a refusé la libération prônée par un certain modèle féminin occidental. Le projet d’émancipation de la femme occidentale a longtemps été – et le reste quelque part jusqu’à aujourd’hui — perçu comme un projet colonialiste, auquel il fallait résister car toute adhésion à ce modèle signifiait une certaine trahison vis-à-vis de l’identité musulmane.
Le modèle imposé par une colonisation foncièrement injuste ne saurait être crédible aux yeux des populations colonisées. Malek Ibn Nabi dira en connaissance de cause : «l’œuvre coloniale est un immense sabotage de l’histoire»
Il est primordial de saisir l’importance de cette symbolique féminine et de ce qu’elle comporte comme défis psychologiques pour le monde islamique : la femme constitue pour ce monde musulman meurtri et humilié le dernier rempart d’une identité fortement assiégée. Cela explique en partie le refus du monde musulman de débattre sur ce sujet de la femme en islam car les critiques occidentales, même si elles sont parfois et dans un certaine mesure fondées, il n’en demeure pas moins qu’elles sont perçues comme une ingérence intolérable dans le vécu culturel local.
En effet, les accusations adressées par un Occident souvent perçu comme irrespectueux vis-à-vis des valeurs islamiques touchent dans le fond un vrai problème de société, mais sont extrêmement maladroites dans la forme.
Ce type de réquisitoire, en effet, ne fait qu’exacerber des tensions très vives au sein de populations déjà fortement minées par une double tension : celle du sous- développement économique et intellectuel et l’autocratie des pouvoirs en place d’une part et par l’arrogance des politiques d’ingérence internationale (économique et politique) réellement injustes envers cette région du monde d’autre part.
Cette «hostilité occidentale» ouverte et déclarée contre l’islam et perçue comme telle par la majorité des musulmans, et finit par intensifier l’attachement de ces derniers à la religion, non pas comme moyen de ressourcement éthique et spirituel, mais plutôt comme une forteresse identitaire.
Ce qui irrémédiablement conduit à la radicalisation du discours religieux islamique qui devient par la force des choses une réponse réactionnelle à cette dialectique «dominants- dominés».
Ce qui explique, par ailleurs et en partie, l’immobilisme intellectuel et le refus de toute politique de réforme religieuse considérée comme un déracinement voire une occidentalisation dangereuse.
Et c’est dans ce cadre précis de la logique d’opposition qui alimente les ressentiments des musulmans envers tout ce qui peut venir de cet Occident que la femme musulmane devient malgré elle, l’otage idéal, entre deux perceptions extrêmes : Celle d’une option élitiste qui prône, sans véritable discernement , une farouche aliénation occidentale et celle non moins erronée d’une idéologie religieuse extrémiste et archaïque.
La femme musulmane représente à l’heure actuelle la première victime et la victime de choix de cette construction idéologique «en miroir» et qui se doit à elle seule d’incarner le «modèle» islamique idéal afin de contrecarrer le modèle occidental !
La problématique est certes complexe, mais force est de constater, actuellement, l’émergence d’une véritable conscience féminine musulmane qui, tout en contestant l’ordre social traditionnel, tente de faire la part des choses entre, l’apport positif d’un univers occidental source de savoir, de progrès et de droits et entre un référentiel spirituel et culturel revivifié et contextualisé.
De nombreuses femmes musulmanes intellectuelles, universitaires, femmes du terrain, vivant en terres d’islam ou en occident, tentent de prendre la parole au nom de leur engagement spirituel et essayent de se réapproprier ce qui a toujours été entre les mains des hommes musulmans : à savoir leur destinée.
On assiste à une véritable mobilisation sociale et intellectuelle destinée à promouvoir une nouvelle lecture féminine des sources scripturaires et à déterminer un statut d’autonomie pour la femme musulmane. Une dynamique qui sous-tend une dimension de nature féministe en termes de revendications de droits dans et par l’islam.
C’est donc un véritable mouvement de libération amorcé par un retour aux sources, mais qui se fait paradoxalement en rupture avec des traditions culturelles structurellement discriminatoires.
Cette dynamique qui se fait de l’intérieur s’exprime dans un langage qui lui confère une certaine légitimité puisqu’il ne se situe pas dans une logique d’exclusion mais plutôt dans une logique de réconciliation, aussi bien avec des valeurs occidentales universelles qu’avec des valeurs spirituelles revivifiées par la contestation féminine.
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Posté Le : 09/09/2007
Posté par : nassima-v
Source : www.algerie-femme.com