La primauté de l'extérieur sur l'intérieur

Une des différences entre une démocratie et une autocratie tient dans cette dialectique entre l'apparent et le caché, el daher et el baten, pour reprendre la terminologie soufie. Dans une démocratie, personne n'est d'accord en apparence, d'où ces nombreux débats d'idées sur des programmes et des choix. A l'intérieur pourtant, chacun est unanime, partageant une vision globale commune pour un destin commun. Dans une autocratie, c'est le contraire, à l'intérieur, personne n'est d'accord sur le destin à choisir, islamiste, nationaliste ou démocrate, même si en apparence tout le monde l'est, ce qui s'appelle l'unanimisme de façade.
On aura eu un aperçu de cette fausse communion lors de l'enterrement de Ben Bella, le Président qui a eu l'étrange idée de mourir pour le 50e anniversaire de l'indépendance. Un vibrant hommage lui a été rendu, assemblage d'archives choisies et de larmes officielles qu'aura bien résumé Dilem dans un dessin, représentant une tombe, celle de Ben Bella, avec ce titre, «Encore un jeune Algérien qui décède», tombe sur laquelle est écrit sa date de naissance, 1962, et celle de sa mort, 1965. Pour la télévision officielle, Ben Bella n'aura, en effet, pas vécu au-delà de 1965, gommant toute la période entre 1965, année de sa violente destitution, et 1999. Rien sur le putsch, rien non plus sur sa longue détention, les récupérateurs ne montrant le Ben Bella récent qu'applaudissant longuement le président Bouteflika.
Ce jeu avec la mort, entre l'apparent et le caché, entre ce qu'il faut montrer et ce qu'il ne faut pas dire, n'aura pas servi le défunt Ben Bella, pas plus que le régime actuel et encore moins l'Algérie. Pour les amateurs, déçus de vérités et de réformes, antipatriotes avérés, selon la terminologie officielle, la révision des espérances est à l'ordre du jour. Il ne s'agit même plus d'écrire l'histoire d'avant 1962, mais celle qui a suivi l'indépendance.