Algérie

La presse tunisienne opère sa mue



Nadia Hached et une vingtaine d'autres collègues attendaient beaucoup de cette réunion, mais leur nouveau PDG et chef de la rédaction allait les surprendre sur un ton tranchant : «Nous allons opérer une rupture totale avec le passé.» Le public restreint est resté scotché, attendant davantage de précisions. «Pendant 50 ans, nous n'avons rien fait à  part glorifier deux dictatures (…) et, jusqu'au 15 janvier 2011, La Presse était un scandale quotidien qui nous collait la honte», ajoutait encore Benromdane. A l'image de l'horloge en panne accrochée au mur de la salle de réunion, le temps était suspendu à  La Presse. Comme partout au sein des organes de la presse écrite tunisienne, c'est le premier quotidien en langue française (avec un tirage moyen de 70 000 exemplaires) qui excellait dans la brosse à  reluire l'image du pouvoir en général et du couple Ben Ali en particulier. «Le peuple nous a offert le cadeau de la liberté ; désormais, aucun type de censure ne vous sera imposé, sauf celui de la qualité et la déontologie.» A ces phrases fortes et sincères, les journalistes présents commencent à  se détendre. Il est vrai que même si La Presse n'a pas accompagné le mouvement de la rue, les journalistes ont fini par se révolter lundi dernier (trois jours après la chute du Président) et ont viré le rédacteur en chef, Jawhar Chatty, à  la solde du  pouvoir déchu. «Nous n'avons pas contribué à  la révolution populaire, au contraire, La Presse a continué jusqu'à la dernière minute à  soutenir Ben Ali», avoue le caricaturiste Lotfi Bensaci qui discutait, quelques minutes avant la réunion de rédaction, avec d'autres collègues sur le climat qui prévaut au sein du journal. Nadia, journaliste de la rubrique économique, dit souffrir de l'animosité et de la disparition de la confiance entre les journalistes. «Vendredi, une réunion de rédaction s'est terminée par un échange d'accusations, ce qui est regrettable», confie-t-elle. Mais le vent semble avoir tourné grâce au discours qualifié de révolutionnaire tenu, hier, par le nouveau dirigeant du journal. H'mida Benromdane a invité ses collègues à  œuvrer avec lui pour transformer radicalement le journal dans la forme et dans le fond. Il est applaudi par la salle qui s'anime ensuite par les interventions et les propositions. Le nouveau PDG n'omet pas de révéler qu'il a été appelé la veille par le Palais du gouvernement et nommé à  ce poste. Selon lui, il ne s'empêchera pas de critiquer les erreurs du gouvernement et ne sera pas obligé de lui offrir des dithyrambes quotidiens. Toute la presse tunisienne est prise, en ce moment, par cet élan de libération de la parole. Le ton change, les unes opèrent un virage de 180° et les éditoriaux rivalisent pour employer les termes les plus beaux et les plus forts pour décrire la révolution. Les chaînes de télévision publiques, Canal 21 et Tunis 7, ainsi que les deux télés privées Nessma TV et Hannibal, ont été obligées de prendre le train en marche ; elles offrent, chaque jour, des plateaux entièrement consacrés aux événements avec une liberté d'expression inédite. Une chose est sûre : les journalistes avouent n'avoir aucun mérite dans ce changement et en remercient le peuple.


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