Officiellement, l'esclavage est aboli partout dans le monde depuis près de deux siècles. Mais dans certains pays, en particulier ceux du Golfe, la traite des êtres humains est loin de disparaître. Pis encore, elle y est même profondément enracinée.
Les chiffres sont effarants. Plus de 27 millions de personnes dans le monde sont aujourd'hui exploitées.Le drame existe partout. Il ne se limite pas à une région spécifique. Il est connu et reconnu que dans les pays du Sahel, chez les Touareg, dans les pays du Golfe, en Mésopotamie et à Djibouti, l'esclavage se pratique ouvertement. Selon des études faites par différents organismes, il n'est, en effet, pas un lieu gagné par l'Islam où ne se soit jamais pratiqué le commerce d'esclaves. Au Yémen, l'un des pays les plus pauvres du monde arabe, le phénomène est encore plus vivace. Le pays compte une population de quelque 24 millions d'habitants. Certaines régions reculées échappent totalement à l'autorité de l'Etat. Certes, les marchés de la chair à ciel ouvert n'existent plus, mais il existe bel et bien d'autres formes « d'esclavage moderne », telles que le travail forcé, l'exploitation sexuelle, les domestiques non rémunérés et ceux réquisitionnés nuit et jour. La situation est dramatique dans ce pays. Elle est aggravée par un autre phénomène : celui des nombreuses familles yéménites qui, à cause de la pauvreté, vendent leur progéniture, des mineurs de surcroît, aux richards des pays du Golfe.« La faim justifie l'esclavage »La traite des mineurs dans ce pays se justifie par plusieurs facteurs : la famine et d'autres considérations d'ordre culturel sont à l'origine de la croissance alarmante du phénomène. En tout cas, l'exploitation des enfants est un véritable fléau dans ce pays. Chaque année, environ 1,2 million d'enfants sont vendus à des criminels, en Arabie Saoudite et dans les riches pays du Golfe. La vente des enfants yéménites, notamment les jeunes garçons, s'effectue plus particulièrement au niveau des frontières nord avec l'Arabie Saoudite. Certains d'entre eux sont également victimes d'exploitation sexuelle durant leur transit ou après leur arrivée en Arabie Saoudite. Ces « misérables » bambins candidats à l'esclavage viennent des provinces yéménites les plus reculées et les moins fertiles, où l'agriculture ne fait pas vivre les familles pour qui chaque enfant devient une bouche impossible à nourrir. De surcroît, dans une société patriarcale comme au Yémen, les fils doivent assumer des responsabilités dès leur jeune âge. Ce qui les pousse à recourir à tous les moyens pour subvenir à leurs besoins. Que ce soit à l'intérieur de leur pays ou au-delà des frontières, des millions de jeunes Yéménites vivent l'enfer : ils finissent par mendier dans les rues, travailler comme domestiques dans les foyers prospères, sont exploités comme ouvriers d'usine ou comme jockeys de chameau. A titre d'exemple, dans les villes d'Aden et de Sanaa, au sud du Yémen, les enfants sont exploités principalement dans les réseaux de mendicité, mais aussi pour la servitude domestique ou alors dans des boutiques.L'exploitation au su et au vu de tousAu Yémen, l'esclavage est un phénomène connu des pouvoirs publics. Ce n'est nullement un secret. De l'aveu même du gouvernement, il existe plus précisément dans le nord-ouest du Yémen une région à forte structure tribale. Toutefois, dans une déclaration publiée par l'agence de presse Reuters, un représentant de l'Unicef au Yémen a expliqué les difficultés rencontrées dans la maîtrise de cette traite. Un trafic qui se fait dans la clandestinité, avec la complicité des fonctionnaires. « Ce commerce expose les enfants à des risques de violence, d'abus et d'exploitation sexuels », a révélé le représentant de l'Unicef. Cette situation très critique a amené une organisation non gouvernementale locale à se pencher sur ce fléau. Elle a lancé, dans ce sillage, une campagne de lutte contre cette pratique. « Nous sommes en phase de recensement des cas de personnes acquises par la traite ou par filiation », a déclaré à l'AFP Mohamed Naji Allaou, coordinateur de l'Organisation nationale pour la défense des droits et des libertés (Hood), initiatrice de cette campagne.Selon une enquête menée en 2009 par le ministère yéménite des Droits de l'homme, l'esclavage y est encore pratiqué, notamment dans les provinces de Hajjah et de Hodeida (nord-ouest), sous trois formes : la première catégorie concerne les esclaves que « leurs propriétaires traitent à leur guise » ; la deuxième a trait aux ex-esclaves officiellement affranchis mais restant au service exclusif de leurs anciens maîtres, qui continuent à les nourrir sans jamais leur payer de salaire ; la troisième catégorie, expliquent les enquêteurs, est formée « de serviteurs, utilisés comme des domestiques corvéables à merci », ce qui est un phénomène très fréquent aussi bien dans les milieux ruraux qu'urbains, dans la province de Hajjah.Dans la pratique, les personnes appartenant à cette troisième catégorie sont traitées en esclaves. Si un serviteur tente de fuir son employeur, « il est traqué, battu et humilié », écrit le ministère dans son rapport, ajoutant que les autorités régionales de Hajjah avaient « officiellement admis que la traite et l'esclavage » étaient encore pratiqués dans leur province. Ces serviteurs « ne se vendent pas et ne s'achètent pas, mais dans la pratique, ils mènent une vie d'esclaves », note le coordinateur de Hood. De l'avis de ce dernier, les victimes des pratiques esclavagistes sont généralement des Africains noirs descendants de l'ancienne Ethiopie, qui ont dirigé des régions de l'actuel Yémen aux XIe et XIIe siècles avant d'être asservis à la chute de leur dynastie, celle des Béni Najah. « Un comité de dignitaires va visiter les régions où vivent ceux qui pratiquent l'esclavagisme pour les informer sur la gravité de leur crime », a annoncé le responsable de Hood, menaçant de « poursuivre en justice ceux qui s'estiment maîtres et qui asservissent d'autres citoyens ».Un crime passible de dix ans de prisonLa Constitution yéménite interdit l'esclavage et, selon le code pénal, ce crime est passible de dix ans de prison. « Le gouvernement a déjà effectué un recensement, malheureusement incomplet » et « nous espérons qu'il coopérera » avec Hood, d'autant que « les autorités dans la province de Hajjah cherchent à masquer ce phénomène », a encore déclaré M. Allaou, soulignant les difficultés rencontrées sur le terrain. « La campagne nécessite de l'argent et beaucoup d'efforts. Notre organisation a des moyens limités. Nous cherchons à coopérer avec ceux qui s'y intéressent », a-t-il lancé à l'adresse du gouvernement « en premier lieu », mais aussi des ONG locales et internationales. De son côté, l'Unicef, qui depuis des années tente de faire la lumière sur la situation, n'a pas été tendre avec le gouvernement yéménite. Elle a fait appel à la contribution des autorités yéménites, mais celles-ci ont toujours refusé d'examiner le problème pour des raisons ayant trait à la religion. L'Islam étant la religion d'Etat au Yémen, les enfants doivent être automatiquement protégés et il est inconcevable que la violation des droits des enfants dans ce pays extrêmement religieux soit à l'ordre du jour. Il s'agit-là d'un tabou et aussi d'un dossier à ne pas traiter afin de ne pas froisser les susceptibilités. Et cela se fait au détriment des enfants victimes de cette pratique. Pour l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), il semblerait que le gouvernement yéménite est de plus en plus conscient de la tragédie. « Il y a deux ans, nous ne pouvions même pas parler officiellement de ce problème », a confié à l'AF, Stefano Tamagnini, représentant de l'OIM. « Maintenant, il commence à accepter le mot trafic », dit-il. Mais le rythme auquel le gouvernement prend connaissance de la situation ne rejoint pas celui des trafiquants qui, mois après mois, poursuivent leur trafic sans être inquiétés.Ces dernières années, les langues se sont déliées, notamment après l'affaire du juge qui aurait approuvé la vente d'un esclave. Ce scandale, révélé par un groupe local de défense des droits de l'homme, a fait le tour du monde et a fait réagir les autorités et le ministre de la Justice du Yémen.Un comité judiciaire a été installé pour enquêter sur le rapport élaboré par le groupe de défense des droits de l'homme, qui a cité un contrat juridique pour la vente d'un homme de 26 ans nommé « esclave Qannaf » l'année dernière, portant la signature d'un juge et de plusieurs autres fonctionnaires de la cour. Le juge avait été convoqué pour interrogatoire et sera puni si l'histoire s'avère vraie.
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Posté Le : 25/07/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Nabila Amir
Source : www.elwatan.com