C?est un grand paradoxe. L?Algérie est, dans le monde arabe, le premier pays producteur du légume le plus consommé au monde : la pomme de terre. Depuis 8 mois, il est pourtant l?un des plus chers du marché vendu jusqu?à 70 DA le kilo contre 30 DA en temps normal. Alors que le gouvernement a pris des mesures pour la rendre plus accessible (suppression des droits de douanes et de la TVA à l?importation) promettant une baisse des prix à partir d?octobre, certains professionnels du secteur pensent que la pomme de terre restera chère et que même une baisse ne pourra être que provisoire. La polémique tourne autour de la nature de la crise que le ministère de l?Agriculture juge « uniquement conjoncturelle » et que les spécialistes du marché qualifient de « beaucoup plus structurelle ». Bref, tout comme la crise du lait, celle de la pomme de terre risque de perdurer, symptomatique d?une économie agroalimentaire dépendante. On ne sait pas encore ce que va donner la récolte européenne Les producteurs nord-européens (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas) estiment que la production de la pomme de terre, à partir de laquelle on s?approvisionne, devrait être meilleure cette année qu?en 2006, mais ils n?en sont pas sûrs. « La campagne d?arrachage n?est pas encore terminée », nous explique-t-on à l?Union française des producteurs de pommes de terre. « On ne sait pas encore si le mildiou, relativement bien circonscrit, a touché les tubercules. Si c?est le cas, la pomme de terre ne pourra pas se conserver, car le mildiou va contaminer les autres tubercules. Or, si les industriels savent qu?ils ne pourront pas avoir de pomme de terre en mars, ils vont augmenter les prix de vente sur les lots stockables et cela aura même une incidence sur les autres pommes de terre. » Autre incertitude : le climat. L?arrachage se terminera vers la mi-octobre et jusque-là, le temps ne doit pas être trop mauvais pour garantir une bonne récolte. En Europe du Sud, d?après une autre fédération de producteurs, la récolte pourrait pâtir de la sécheresse. D?après nos sources, alors que la pomme de terre noire du Canada récoltée en 2006 revenait toutes taxes comprises à 25 DA, celle importée de Turquie se vend ce mois-ci entre 35 et 40 DA le kilo aux grossistes, et cela, sans la TVA et les frais de douanes, comme le permet l?ordonnance. Il suffit d?ajouter à ce prix entre 8 et 10 DA pour le distributeur et au moins 5 DA pour le détaillant et le kilo arrive à 50 DA sur les étals. La spéculation pourrit le marché algérien Ce n?est pas un secret : le marché de la pomme de terre manque de transparence. Les aides au stockage accordées par l?Etat pour éviter la pénurie en période creuse (d?août à octobre) ont donné lieu à d?importantes spéculations. « C?est une économie de bazar et de hasard, explique un membre de la filière. Certains producteurs ont gardé la pomme de terre en stock pour qu?au moment de la distribuer, la demande soit plus importante que l?offre, ce qui permet ensuite d?augmenter le prix de vente. » Le projet de loi adopté dimanche 9 septembre par le Conseil de la nation, approuvant l?ordonnance relative à l?exemption temporaire des droits douaniers et de la TVA, prévoyait aussi la saisie des stocks de pomme de terre conservés dans les chambres froides. D?après l?AFP, « cette opération a permis de réquisitionner plus de 1000 t de pomme de terre » et aurait aussi ruiné les espoirs des spéculateurs qui espéraient pour certains en tirer plus de 100 DA le kilo. Problème : les pratiques mafieuses toucheraient le marché en amont. « A en croire certaines informations, des personnes ayant obtenu le permis d?importation de la pomme de terre sont connues dans les milieux de la fraude fiscale », a précisé Ahmed Ouyahia, samedi 1er septembre, lors de l?ouverture de la journée parlementaire du Rassemblement national démocratique. On ne sait pas produire des semences A l?instar de la plupart des espèces cultivées, la pomme de terre exige des semences de qualité dont la production répond à un parcours technique complexe. Lorsqu?elle est cultivée dans nos conditions ? sans aucune maîtrise technique, ni suivi ni contrôle ?, cette espèce a tendance à perdre de sa vigueur génétique, ce qui se traduit par une chute drastique des rendements. C?est pourquoi l?obtention d?une variété nécessite pas moins de dix années de recherche et de manipulations en laboratoire. Une fois la variété testée et fixée, seul celui qui la met au point est capable de la multiplier. Malgré quelques tentatives avec les Canadiens, notre pays n?a jamais réussi à mettre en place un système performant de production de plants de pomme de terre. D?où le recours constant à l?importation de semences depuis les pays européens (Hollande, Danemark, France, Belgique, parfois Roumanie et Ecosse). Les semences importées sont en majorité de catégories A ou B dont la descendance n?est pas apte à produire de nouveaux plants. Elle est, de ce fait, destinée totalement à la consommation. Une faible quantité de semence SE (Super Elite) et E (Elite) sont cultivées en saison et donnent des semences qui servent à la production d?arrière-saison (récolte de novembre à décembre). Comme on le constate, la production de plants de semence dépend du bon vouloir de nos fournisseurs étrangers. Sans la SE et la E livrées pour la culture de saison, il nous serait très difficile de couvrir nos besoins de consommation au-delà du mois de novembre. Ainsi, notre dépendance est totale. Ahmed Aït Ameur, directeur des études au ministère de l?Agriculture, nuance : « Pour la pomme de terre primeur et la pomme de terre d?arrière-saison, la production nationale est de 100%. Ce qui pose problème, c?est la pomme de terre de saison. Parce que les semences, produites en été, demandent une très longue période de stockage pour une plantation de janvier à avril. C?est la raison pour laquelle les besoins sont couverts à 60% par l?importation. » Mais un autre problème a surgi depuis la surproduction de 2005 : les agriculteurs, qui se sont retrouvés avec des excédents, cédés à 6 DA, alors que le prix de revient est plutôt de 15 à 18 DA. « Ils n?ont donc pas pu acheter de semences », souligne un membre de la filière. Or, leur coût représenterait, d?après certains exploitants, jusqu?à 70% du coût total de production. Pourquoi alors ne produit-on pas davantage de semences locales ? « Parce que la multiplication exige un point d?eau à proximité de la parcelle et un terrain indemne de parasites, souligne un professionnel du secteur. Sur 2200 ha à Aïn Defla, presque 100% des parcelles sont infestées. Or, les traitements nécessitent plusieurs années. Les agriculteurs, qui louent les parcelles à l?année, ne peuvent pas prendre le risque de traiter si l?année d?après ils ne sont pas sûrs de pouvoir les louer. » Pour M. Aït Ameur, le problème est plus complexe : « Nous sommes en train de développer des programmes pour produire 80%. On forme des agriculteurs à faire de la double multiplication. Mais on doit aussi tenir compte des contraintes naturelles : l?Algérie est un pays aride où on ne peut pas faire tout ce que l?on veut. » Il y a des tensions sur les semences d?arrière-saison La semence d?arrière-saison ? plantée en août et récoltée à partir de novembre ? produite par les multiplicateurs algériens se ferait de plus en plus rare. D?une part, compte tenu de sa fragilité aux maladies, peu d?agriculteurs possèdent de la semence de bonne qualité. D?autre part, comme nous l?indiquent nos sources, certains producteurs ? à El Oued et à Mostaganem ? ont préféré acheter de la pomme de terre du Canada destinée à la consommation au lieu d?acheter de la pomme de terre de semence. Ils vont donc planter une pomme de terre qui n?est pas homologuée, qui, sur le plan phytosanitaire, n?est pas certifiée et qui, de toute manière, n?est pas destinée à être une semence. Non seulement elle donnera des rendements dérisoires, mais elle risque aussi de contaminer les sols. Sur les quelque 6000 ha consacrés à la culture de la pomme de terre, un tiers aurait été affecté par l?épidémie de mildiou qui a sévi au printemps. Alors que le mildiou est une maladie connue et ancienne, comment expliquer un tel désastre ? « C?est la faute aux agriculteurs, accuse un expert qualité de la pomme de terre. Ils ne sont pas préparés à faire face au mildiou qui, pourtant, n?est pas une nouvelle maladie. Donc l?épidémie du printemps s?est propagée très vite, touchant la récolte de pomme de terre de saison. » Une théorie qu?appuie un spécialiste du ministère de l?Agriculture. « Les agriculteurs traitent à l?aide de pulvérisateurs tractés. Mais après les fortes pluies de mars-avril, ils n?ont pas pu pénétrer dans les terres, trop lourdes. Comme ils n?avaient pas prévu d?équipes d?ouvriers pour un traitement manuel, l?épidémie s?est propagée. Entre 48 et 72 heures, avec les éclaboussures sur les feuillages, c?est parti trop vite. » Plus grave, des utilisateurs émettent des doutes sur la qualité des produits utilisés. Meziane Aït Ameur, directeur des études au ministère de l?Agriculture, préfère défendre les producteurs. « Traiter manuellement, c?est possible sur un quart d?hectare mais pas sur des dizaines, surtout quand le terrain est boueux. Par ailleurs, les traitements effectués sous la pluie ne servent à rien, car le produit part avec l?eau. » Les pluies ont été si fortes et la maladie s?est installée si durablement que même de bons produits auraient été lessivés. Reste que si l?Algérie est régulièrement touchée par le mildiou, cette année les régions productrices, comme celles de Aïn Defla ou de Chlef, ont subi jusqu?à 50% de pertes.
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Posté Le : 12/09/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mélanie Matarese
Source : www.elwatan.com