Dans la conduite
des affaires d'une nation, les démarches basées sur les choix stratégiques de
long terme, doivent être la règle. Dans ce sens, les historiens nous apprennent
que la sécurité alimentaire a toujours constitué un enjeu fondamental pour les
peuples.
Depuis toujours,
les besoins alimentaires ont été à l'origine de grands événements politiques,
de migrations, d'invasions et de colonialismes. En fait : toute la politique
part d'un grain de blé(1).
Selon la
définition donnée lors du Sommet mondial de l'alimentation de 1996. «La
sécurité alimentaire d'un pays est assurée quand toutes les personnes, en tout
temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation
suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et
leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et
saine». L'insécurité alimentaire conduit à l'insécurité sous toutes ses formes
mais surtout politique et sociale. Un pays qui n'a pas atteint sa sécurité
alimentaire n'a pas atteint sa stabilité. Les émeutes de la faim signent
toujours un échec des dirigeants d'un pays. Ces dirigeants qui ont été
incapables d'assurer le développement des productions agricoles notamment des
aliments de base servant à la nourriture du peuple. Pire encore, la dépendance
alimentaire mène tôt ou tard à l'ingérence extérieure. Les Etats-Unis,
n'ont-ils pas lancé dès le début de la guerre froide un programme politique
d'aide alimentaire à destination des pays pauvres. Cette forme d'assistance
s'est dans la majorité des cas transformée en opportunité pour asseoir la
politique d'intervention des USA dans ces contrées. L'objet de mon propos ici
est de poser la question : où se situe aujourd'hui l'Algérie par rapport à
cette donne?
La question est
d'autant plus judicieuse que les menaces géopolitiques qui guettent notre pays
sont tellement nombreuses. L'enjeu, pour nous, se traduit en termes de
fragilité sociale. Disposer de moyens financiers aussi confortables soient-ils
pourrait ne pas suffire pour se nourrir.
Les données mondiales sur les céréales, par
exemple, sont tellement opaques depuis quelques années qu'il est permis de
s'interroger sur les capacités des marchés internationaux à satisfaire la
demande mondiale toujours croissante. Il est également intéressant de rappeler
que ce sont surtout les puissances occidentales qui contrôlent ces marchés (ces
pays exportent 50% des céréales). Certains exportateurs traditionnels de
céréales comme l'Argentine, l'Inde ou la Russie n'ont pas hésité à restreindre
leurs exportations lorsque les marchés agricoles internationaux étaient tendus.
Cela a été le cas en 2008 notamment lors de la crise alimentaire et en 2009
après les incendies de Russie.
Notre économie est un leurre, notre
croissance démographique est vigoureuse et nous ne pouvons pas nous comparer
aux Etats-Unis, pourtant pour ce pays, les questions agricoles et alimentaires
relèvent carrément de la sécurité nationale. Les pays développés disposent d'un
secteur agricole bien conforté (sauf quelques exceptions comme le Japon mais
qui peut compter sur des alternatives convaincantes). Le développement
économique et technologique de ces pays a pour corollaire d'abord une sécurité
alimentaire consistante. D'autres pays vont jusqu'à acheter des terres ou
investir dans les terres étrangères pour sécuriser leur approvisionnement
alimentaire.
L'Algérie demeure un grand importateur de
produits alimentaires. La démocratie et l'économie ne fonctionnent pas bien,
les produits alimentaires sont importés et subventionnés par l'Etat.
Si nous ne nous obligeons pas un seuil
d'autosuffisance progressif de notre consommation alimentaire et avec les
recents rebondissements au niveau régional, nous allons vers des lendemains
incertains. Atteindre ce seuil d'autosuffisance parait de plus en plus ardu. En
effet, avec les politiques agricoles suivies jusque-là, le plafonnement des
rendements et de la productivité, la pluviométrie insuffisante, le matériel
agricole obsolète, mais surtout, la parcellisation et l'urbanisation du foncier
agricole (la taille moyenne d'une exploitation agricole en Algérie est de
8,5Ha), la faiblesse de la chaîne logistique de conditionnement et de stockage,
les techniques de gestion et de production désuètes, l'absence
d'investissements réels dans l'agriculture, etc. ...
L'adoption par l'Etat d'une politique
économique favorisant l'importation a été l'une des principales causes du
retard pris par l'agriculture et les IAA. Ce retard accentue le problème de la
dépendance alimentaire de l'Algérie. Ces dix dernières années, la facture
alimentaire de l'Algérie a plus que triplé, Les produits agroalimentaires
représentent 30% des importations du pays et 0,2% de ses exportations. Des
dépenses de plusieurs dizaines de milliards de dollars consommés dans le cadre
du PNDAR ont fait que l'Algérie reste aujourd'hui le premier importateur
africain de denrées alimentaires.
Les trois quarts
de ses besoins sont assurés par les importations dont les céréales, les
produits laitiers, le sucre, le café, le thé, les huiles, les graisses, les
légumes secs et les viandes représentent 80% des dépenses extérieures du pays
pour les produits alimentaires. Dix pays seulement nous fournissent 70% de nos
importations en produits agroalimentaires, avec, à leur tête, la France.
Pour ne pas avoir
peur d'un lendemain incertain, une importance particulière doit être accordée
aux capacités de production agricole. L'agriculture doit être classée
réellement et dans les faits comme priorité stratégique. L'adoption d'une
véritable politique cohérente sur la sécurité alimentaire, mûrement réfléchie
devient impérieuse.
A la clé, il
s'agit d'une nouvelle façon de gouverner. Celle ci doit considérer le travail
et le savoir comme seules sources de richesse. La rente inhibe les volontés. Il
n'y a donc d'autres issues que le développement de la production agricole et
des industries agroalimentaires en aval. A propos des industries
agroalimentaires, il faut savoir qu'elles sont aujourd'hui entièrement
dépendantes des importations. Elles fonctionnent avec des intrants et des
équipements importés. Il faut une mise à niveau intégrée de tout le complexe
agroalimentaire (production agricole, industrie alimentaire, distribution et
restauration). L'impact sur l'économie peut être très important.
Une industrie
agroalimentaire permettant d'assurer la transformation locale de ses produits
doit être encouragée. Si la transformation des blés a été résolue par la
création d'un nombre important de minoteries, ce n'est pas le cas pour d'autres
cultures. On assiste, ces dernières années, à une mode qui consistante à
tourner en dérision toute idée d'investir dans le domine des IAA. En clair, on
cherche à décourager les investissements dans les domaines agricole et
agroalimentaire et pourtant !
Certes, certains
produits comme le café et le thé restent, très difficiles du moins à grande
échelle à produire chez nous, mais les céréales, les oléagineux, les plantes
fourragères, la pomme de terre, les fruits et légumes, la betterave sucrière,
les élevages pour la production de viandes et de laits peuvent être développés
en Algérie. Un marché régulé fonctionnant de manière efficace sans être
perturbé par l'instabilité des prix internationaux., La préservation des ressources
naturelles et du capital productif et la recherche et l'innovation au service
de l'agriculture doivent retenir toute l'attention des décideurs.
La crise
alimentaire a permis de voir le bien-fondé de la régulation des marchés
agricoles. Les émeutes de la faim ont mis à nu la situation de notre pays dont
la dépendance vis-à-vis des produits importés s'est fortement accentuée. Cette
crise alimentaire, remet en cause le libéralisme de l'import à outrance, elle
met face à face les intérêts des PMEs locales et ceux des lobby de
l'import-import. L'agriculture doit rester à l'abri de la concurrence
internationale. Supprimer les mécanismes d'intervention et de régulation pour
laisser-faire les marchés nous a menés à plus d'une crise et nous mènera
sûrement à une catastrophe.
Réorienter notre agriculture c'est d'abord
nous donner les moyens de constituer des stocks stratégiques afin de stabiliser
les cours des denrées alimentaires les plus vitales pour la vie et la santé des
populations. Ne pas se soumettre au dictat de l'Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) pour définir une politique agricole en tenant compte de nos
propres besoins.
En réussissant
notre agriculture nous réussirons notre alimentation et subséquemment réduirons
le coût de la santé. Il faudrait réunir des scientifiques de toutes disciplines
pour établir région par région, les produits à encourager, analyser les
variables, faire des prévisions de production et de marché. La recherche
scientifique appliquée devra être intensifiée.
Il faut encourager
les proposions de formations universitaires approfondies liées à la sécurité
alimentaire. Il ne faut pas se fier aux organismes internationaux (Banque
mondiale, Fonds Monétaire International) qui préconisent, toujours des
solutions qui vont à l'inverse des intérêts des peuples. Comment peut-on
conseiller -sans être pervers- l'abandon des agricultures vivrières locales au
profit des importations alimentaires ? Ces organismes l'ont fait. Tout le monde
sait que l'abandon de la culture du riz par certains pays africains (tel le
Mali, le Bénin et le Burkina Faso) en raison de politiques favorisant
l'importation de ce produit est à l'origine des crises alimentaires dans ces
pays.
Les agriculteurs
ont besoin de visibilité et de stabilité des prix afin de produire de manière
efficace et régulière. Les agriculteurs doivent vivre de leur travail. La
question des prix des produits agricoles, de leur niveau et de leur stabilité,
est donc primordiale. Les marchés doivent être libres mais pas sauvages d'où la
nécessité de prévoir des mécanismes de régulation visibles, lisibles et adaptés
aux situations particulières de chaque produit.
Lorsque les prix
deviennent trop élevés sur les marchés internationaux, les pays développés
peuvent s'adapter grâce à plusieurs mécanismes dont la protection aux
frontières et la maîtrise de l'offre.
Ce n'est pas le
cas pour les pays comme le nôtre qui ne disposent pas d'une agriculture
productive. La question agricole a toujours été au centre des négociations
commerciales multilatérales (à l'OMC) en même temps qu'elle est au cÅ“ur du
problème de la faim dans le monde, donc des stratégies et politiques de
développement des pays en développement comme l'Algérie.
Pendant des
années, l'Algérie avait négligé l'agriculture. Un début de changement de
politique s'est produit avec le lancement du programme national de
développement agricole (PNDA) en 2000. Ce programme qui avait pour but de
diminuer la facture des importations et d'assurer la sécurité alimentaire n'a
malheureusement pas eu les résultats escomptés. Des insuffisances existent
toujours en matière de filialisation et l'union des paysans libres met sur le
compte des puissants lobbies s'adonnant au détournement des aides publiques
destinées aux agriculteurs tous les échecs successifs des programmes de soutien
à l'agriculture,
La demande
nationale pour les céréales n'est couverte en moyenne qu'à 30% par la
production locale. La filière lait est également déficitaire. En moyenne 60% de
la consommation nationale de lait sont assurés par les importations en poudre
de lait. L'Algérien détient d'ailleurs ici un record en consommant 3,1 kg de
poudre de lait par an.
Après des années
de marasme économique, l'Algérie est, aujourd'hui, confrontée à un grand défi :
diversifier son économie pour échapper à sa dépendance totale du marché
pétrolier international. Il faut que les autorités fassent le pari du
développement de la production agricole nationale. Les superficies disponibles
restent importantes et le coût de la main d'Å“uvre reste avantageux. Le
potentiel de productivité et de rentabilité a une marge confortable pour
augmenter des rendements encore très en dessous du potentiel agricole des
terres. Une meilleure organisation de la profession agricole est indispensable
pour qu'elle soit plus efficace sur le plan agronomique. Un appui technique
pour améliorer les pratiques culturales et des programmes de mise à niveau
pourront nous permettre d'avoir des produits répondant aux exigences de qualité
internationales. Le problème de disponibilité en eau et des infrastructures de
sa distribution doit également être réglé.
Nous avons
aujourd'hui besoin d'une industrie agroalimentaire capable de se positionner
face à la concurrence internationale.
Pour cela il faut
libérer les industriels de cette dépendance excessive envers leurs fournisseurs
étrangers. Il faudra favoriser des relations entre les IAA et les agriculteurs
grâce à de véritables filières.
Le développement
de la Recherche et le développement et de la communication reste fondamental
pour la diversification de la production. Il permettra de renforce le taux
d'encadrement particulièrement dans les fonctions essentielles.
Par ailleurs, Il
faudra en finir avec le règne des intermédiaires et des grossistes avec
lesquels il n'y aura jamais de stratégies à long terme. Nos entreprises
agroalimentaire ont aujourd'hui une faible capacité d'adaptation aux marchés
concurrentiels. Dans ce cadre, la concurrence de plus en plus forte, des
produits d'importation, doit être contenue par l'accompagnement au positionnement
de marques agroalimentaires nationales sur le marché (moyennant des aides à
l'investissement en communication et en structures marketing). En effet les IAA
sont fortement pourvoyeuses d'emploi, notamment dans des régions intérieures du
pays.
L'absence des
banques peu dynamiques, peu performantes dans l'accompagnement des PMEs et la
faiblesse de la gestion financière et comptable ont jusque là freiné le
développement des IAA. Si aucune initiative importante n'est prise par l'Etat.
Nous assisterons
à l'abandon d'un nombre conséquent d'agriculteurs et de PMEs de transformation.
Dans ces conditions, il sera difficile d'arrimer la production agricole
nationale à la hauteur des besoins du marché intérieur.
En conclusion, la
sécurité alimentaire qui doit revêtir sa dimension stratégique passe par la
mise en oeuvre d'une politique de développement et d'appui technique aux
agriculteurs, la définition et la réalisation de programmes nationaux de
recherche et de mise à niveau, L'instauration de pratiques partenariales et
contractuelles, le retour de la confiance des différents partenaires et
pourquoi pas la mise en oeuvre de politiques de communication pour la promotion
de la consommation préférée du produit national.
Cette question
engage la sécurité nationale qui incite à un recentrage du droit à
l'alimentation au niveau de l'Etat.
La politique et le grain de blé ne sont donc
pas étrangers l'un à l'autre.
Notes:
(1)Honoré-Gabriel
Mirabeau (1749-1791)
(2)Jacques Carles
et Paul-Florent Montfort ; Sécurité alimentaire et défense nationale : Une mise
en perspective géopolitique
(3)Momagri :
(Mouvement pour une Organisation Mondiale de l'Agriculture) : think tank ayant
pour objectif est de promouvoir une régulation des marchés agricoles en créant
de nouveaux outils d'évaluation (modèle économique,
indicateurs..).
(*) Maître de
Conférences en Sécurité des Aliments Directeur du LAMAABEUniversité de Tlemcen
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Posté Le : 17/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : B Moussa-Boudjemaa*
Source : www.lequotidien-oran.com