Algérie

La politique du pré-emploi : Les Jeunes embourbés dans la précarité



La politique du pré-emploi : Les Jeunes embourbés dans la précarité
Ces jeunes sont titulaires de diplômes universitaires ou fraîchement sortis des centres de formation professionnelle. Les bénéficiaires des différents types de contrats de pré-emploi se battent aujourd'hui pour une régularisation et mettent les pouvoirs publics devant leurs responsabilités, conscients qu'ils sont en train de payer les frais des recrutements massifs et surtout politiques, sans aucune vision à  moyen et à  long termes. Petit aperçu du drame vécu au quotidien par ces  millions de jeunes.
Une bouteille d'essence pour laver l'affront
Youssef, titulaire d'une licence en droit, bénéficiaire d'un des dispositifs de l'ANEM, touche à  peine 9000 DA. Il travaille à  plein temps dans une institution relevant des services sociaux de la wilaya d'Alger. «Mon salaire sert uniquement à  payer mes déplacements quotidiens entre Réghaïa (à l'est d'Alger) et Alger-centre. Je ne mange pas à  midi. Quand je perçois mon salaire, c'est pour payer les dettes contractées le mois précédent. Si j'ai tenu le coup, c'est en partie pour bénéficier d'une régularisation au cas où un poste permanent se libérait. Mais cela fait plusieurs années que cette situation dure. Certes, je bénéficie d'une couverture sociale, mais il m'est impossible de continuer à  trimer comme cela, sans aucun résultat. La dernière fois, j'ai voulu m'asperger d'essence et me brûler vif pour leur faire payer toutes ces années parties en fumée. Ils se payent nos têtes, le malheur c'est qu'ils ont des relais partout, donc aucun espoir», confie-t-il. Par «ils», Youssef désigne les responsables du recrutement dans les différentes institutions. «Dernièrement, j'ai voulu me renseigner sur l'état d'avancement de mon dossier au niveau de notre direction. Le responsable ne voulait même pas me recevoir. Je prenais rendez-vous chaque semaine, en vain. Après plusieurs mois d'attente, je l'ai enfin rencontré. Le monsieur, sans même  prendre la peine de me regarder, m'a signifié que je lui faisais perdre son temps. Je n'ai pas à  courir derrière mon dossier. Des phrases du genre 's'il y a du nouveau, vous le saurez' servent justement à  se moquer de nous à  chaque fois que nous voulons exposer le problème lié au retard accusé dans le versement des salaires», confie le jeune employé, qui essaye de nous décrire le drame qu'il vit au quotidien. «Quand on réussit à  obtenir un rendez-vous, le responsable concerné vous conseille d'en prendre un autre pour parler d'un autre aspect. C'est-à-dire que vous ne pouvez pas prendre rendez-vous pour vous renseigner sur votre cas et exposer le problème du retard du versement du salaire le même jour.» «Incompétence, bureaucratie, manque d'éducation, mépris, je ne sais pas sur quel compte mettre ces propos ! En tout cas, je voulais mourir à  l'instant même. L'idée de m'asperger d'essence et d'allumer m'a traversé l'esprit. Que dois-je faire ' Tant d'années passées à  attendre patiemment et sagement quelque chose qui ne viendra jamais», désespère-t-il. «J'ai pleuré comme un gamin. Mon esprit était hanté par l'idée de m'immoler par le feu pour me venger d'eux, pour qu'ils aient mon cas sur leur conscience, mais je n'en avais pas le courage. Le visage de ma mère a fini par ressurgir. Je suis croyant, je ne peux pas faire ça. Je ne veux pas commettre un péché.»
Le bureau des ressources humaines de cette institution, à  Alger-centre, est quotidiennement pris d'assaut par des milliers de fonctionnaires attendant la régularisation de leur situation.
«Si seulement on atteignait le SNMG !»
D'autres diplômés insérés dans les mêmes dispositifs ont carrément renoncé à  leur quête de régularisation. «J'ai négocié mes rêves !», plaisante un employé de l'APC de Sidi M'hamed. «On ne cherche plus à  àªtre titularisés. C'est apparemment impossible. Après les augmentations de salaire de plusieurs catégories de fonctionnaires et l'annonce de la revalorisation de la retraite, nous souhaitons que le Président annonce une décision en notre faveur», espère notre interlocuteur. «Si seulement nos salaires étaient revus à  la hausse, ce serait vraiment une aubaine», estime Farida, psychologue, employée dans le cadre du dispositif ANEM dans une maison de jeunes. «Je sais que c'est utopique de viser une permanisation, mais avec le SNMG, ce serait un pas non négligeable», estime-t-elle.
Graves dépassements
C'est ainsi que les déclarations les plus fantaisistes des responsables, reprises par les journaux ou entendues à  la télé, sont prises. «La dernière fois, le Premier ministre a déclaré que tous les travailleurs, y compris ceux de l'ANEM, sont touchés par la hausse du SNMG», fait remarquer un jeune employé d'une APC de l'Algérois. «Apparemment, ils vont reconduire les contrats ! Ce n'est pas trois ans, mais c'est renouvelable», pense Karim A., ingénieur en informatique, employé dans le filet social comme adjoint d'éducation.  
Le secteur public n'est pas le seul recruteur dans le cadre des dispositifs ANEM. 150 000 emplois seront créés dans le privé dans les prochains mois. L'annonce en a été faite par le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh, en septembre 2011. Le secteur économique privé tirera profit d'une main-d'œuvre payée gracieusement par l'Etat. Les entreprises bénéficient également d'avantages fiscaux, au même titre que celles qui effectuent des recrutements «classiques». Des jeunes travaillant dans le cadre du dispositif de l'ANEM font part de dépassements graves, qui n'ont suscité jusque-là aucune réaction des pouvoirs publics. Les gérants des entreprises, qui comptent parmi les effectifs des insérés du pré-emploi, ne s'acquittent pas tous du versement de l'indemnité prévue par les concepteurs du dispositif. «A l'ANEM, on nous a expliqué que 12 000 DA seront versés mensuellement par l'ANEM et que l'employeur privé doit s'acquitter du reste de la somme pour atteindre au moins le SNMG», rappelle Fatima, 32 ans, employée dans une école maternelle. «Rares sont les patrons qui appliquent cette disposition. Pourquoi le feraient-ils puisqu'il n'y pas de contrôle '», s'interroge un syndicaliste. Saliha a 27 ans. Elle est avocate. Elle défend les clients du cabinet qui l'emploie. Elle est toute contente de discuter avec les anciens avocats qui ont «roulé leur bosse» dans les tribunaux. Elle sent une fierté «indescriptible» à  chaque fois qu'elle gagne une «affaire» devant les juges : «Tout cela est malheureusement éphémère. Mon contrat prendra fin dans trois mois et il est illusoire de croire que le cabinet envisage une quelconque titularisation. Je suis dans l'obligation de chercher un poste ailleurs, ce qui n'est pas facile, ou me contenter de l'offre de mon patron consistant à  travailler sous contrat comme stagiaire pour 4000 DA !»
Micro-entreprise
Des chefs d'entreprise (de PME en particulier) font fi de la réglementation. Les employés n'ont parfois même pas de week-end pour se reposer ni aucune compensation. «Nous effectuons le même travail que nos collègues. Nous sommes aussi compétents qu'eux, mais si l'un de nous réclame un jour de repos ou une prime après un quelconque effort supplémentaire, le patron menace de mettre fin au contrat et de nous faire remplacer le lendemain», témoigne une jeune fille, employée dans une structure d'entretien. «Les employés évitent donc de se plaindre pour ne pas perdre le petit salaire et la sécurité sociale dont ils bénéficient», soutient-elle. «Des chefs d'entreprises recourent à  ce type de recrutement pour s'assurer une main-d'œuvre gratuite et tirer profit des avantages fiscaux, mais ils ne sont guère inquiétés par les dépassements qu'ils commettent», remarque Mme Falil, secrétaire générale du Comité des travailleurs du pré-emploi. La réglementation prévoit que 15% seulement devraient àªtre issus des dispositifs du pré-empoi, mais «allez interroger les employées des salons de coiffure, des ateliers, des cabinets d'avocat, des bureaux d'études et faites votre constat», nous conseille une jeune avocate travaillant à  Alger dans le cadre de l'ANEM.
Pratiques esclavagistes
Le comité des travailleurs du pré-emploi et du filet social évoque «des pratiques esclavagistes». Dans le secteur public, l'Etat enfreint lui-même la réglementation. Effectuer plusieurs renouvellements du même type de contrat constitue une violation de la législation du travail. Le retard dans le versement des salaires, les restrictions des libertés syndicales sont les «dépassements» relevés par Mme Falil, qui dénonce le black-out concernant les recrutements dans le secteur économique. «Nous voulons nous faire représenter dans le secteur économique ou le privé, mais l'autorisation nous a été refusée. Il y a des pratiques déloyales. Les jeunes subissent en silence pour ne pas perdre le peu qu'ils ont. Mais où est le contrôle de l'Etat '», s'interroge-t-elle.
A la fin de l'année dernière, Tayeb Louh a annoncé que 150 000 postes seraient créés. Les organisations patronales se sont engagées à  intégrer ces postulants moyennant une aide mensuelle de l'Etat de 12 000 DA pour chaque poste de travail créé. Encore une annonce pour les jeunes en quête d'emploi.     Salaires, couverture sociale, avantages   Selon le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, initiateur des dispositifs de pré-emploi à  travers l'Agence nationale de l'emploi (ANEM) et la direction de l'emploi de wilaya, les bénéficiaires perçoivent une rémunération mensuelle fixée, pour les diplômés de l'enseignement supérieur, à  15 000 DA net, pour les techniciens supérieurs à  10 000 DA net et les bénéficiaires de contrats d'insertion professionnelle à  8000 DA net. Les bénéficiaires des contrats formation-insertion perçoivent une rémunération mensuelle dont le montant est de 12 000 DA net. Les jeunes insérés dans le cadre de ces dispositifs bénéficient de l'assurance sociale (maladie, maternité, accidents de travail et maladies professionnelles). Les employeurs et les maîtres-artisans qui recrutent les jeunes bénéficient des mêmes mesures incitatives d'ordre fiscal et parafiscal prévues. Le recrutement des jeunes insérés auprès des entreprises publiques et privées donnent lieu à  une contribution de l'Etat de 12 000 DA net par mois pour les universitaires pour un contrat de 3 ans renouvelables, de 10 000 DA net par mois pour les techniciens supérieurs pour un contrat de 3 années renouvelables, de 8000 DA net par mois pour les contrats de travail aidé conclus dans le cadre du contrat d'insertion professionnelle pour un contrat de 3 années renouvelables. Le contrôle de l'ANEM et de la direction de l'emploi de la wilaya portera sur l'affectation du jeune inséré à  un poste de travail en rapport avec sa formation et sa qualification ; l'encadrement en milieu professionnel ; la transmission mensuelle des feuilles de présence visées par l'employeur ; le recrutement du bénéficiaire à  l'issue de la période d'insertion, à  travers la transmission d'une copie du contrat de travail et de l'affiliation à  la sécurité sociale ; la remise de l'attestation d'insertion pour les bénéficiaires qui n'auront pas fait l'objet de recrutement.
 


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